Avec Maldoror, Fabrice Du Welz signe une fresque d’une grande ampleur sur la Belgique des années 90, ses dysfonctionnements et ses traumas collectifs, mais aussi sur la tentaculaire perversité du mal
On connait le cinéma de Fabrice Du Welz, un cinéma radical, hanté par le Mal, dans son horreur, sa folie, mais aussi parfois sa dimension grotesque. De Calvaire à Inexorable en passant par Vinyan, Alleluia ou Adoration), c’est un cinéma de bruit et de fureur, très stylisé, volontiers sanguinaire. Avec Maldoror, il s’échappe vers de nouveaux territoires de cinéma, et livre son film policier, doublé d’une fresque naturaliste qui nous plonge au coeur de la communauté sicilienne de Charleroi, au mitan des années 90. Un film surement plus populaire que les précédents par sa forme comme par son fond, puisque le cinéaste s’attaque à un sujet toujours brûlant dans l’imaginaire collectif belge: l’affaire Dutroux.
L’histoire, c’est celle de Paul Chartier, interprété par Anthony Bajon (voir notre interview), jeune gendarme idéaliste qui se retrouve happé par un drame qui le dépasse. D’origine plus que modeste, son père est taulard, sa mère prostituée, le jeune homme cherche son salut dans l’ordre et la justice. Ayant coupé les ponts avec son milieu, il navigue entre ses aspirations professionnelles au sein de la gendarmerie, et la large famille sicilienne de sa fiancée, Gina (Alba Gaïa Bellugi, déjà à l’affiche de Inexorable). Quand il a l’opportunité de rejoindre une opération secrète visant à surveiller Marcel Dedieu, un pédophile notoire, nom de code Maldoror, il s’investit corps et âme dans la mission. Petit à petit, l’intensité de l’enquête déborde sur sa vie personnelle, celle-ci va comme parasiter son intimité, véritable interférence dans sa vie de famille.
Alors qu’en coulisses, la guerre intestine qui oppose la gendarmerie, la police judiciaire et la police communale grippe l’enquête au point de la fragiliser dramatiquement, Chartier s’implique de plus en plus, jusqu’à entendre des voix, un jour, dans la cave de Dedieu lors d’une perquisition. A moins que ce ne soient de vraies voix…
Toute la première partie, relatant la « jeunesse » de Chartier, livre un portrait ultra-réaliste de la communauté qu’il s’est choisie, servi par le casting de « vrais » Siciliens de Charleroi, qui nourrissent de leur authenticité la démarche naturaliste du cinéaste, qui raconte aussi un territoire désindustrialisé et abandonné du politique.
D’abord cantonné à la périphérie, Dedieu émerge peu à peu, étoile noire d’une galaxie du mal composée de pauvres types comme de puissants. C’était une gageure de fictionnaliser Dutroux, figure absolue du mal. Contournant l’obstacle, Maldoror fait le choix de le réinventer, aidé par la partition de Sergi Lopez (voir notre interview), qui comme toujours excelle quand il s’agit de jouer les méchants. Le mal contamine peu à peu le récit comme la psyché d’un Chartier rongé par la culpabilité, jusqu’à déboucher sur une confrontation finale dans le dernier tiers du film qui transcende le réalisme du début pour s’appuyer sur le pouvoir cathartique de la fiction, comme une possibilité collective de réparer l’histoire.
Un film incandescent, sur l’histoire traumatique de la Belgique.