On fait le point aujourd’hui sur les nominations pour le Magritte du Meilleur premier film. 5 films très différents sont en lice cette année: Cavale, Escapada, Nuestras Madres, Pour vivre heureux et Seule à mon mariage.
Si beaucoup ont souligné que l’on ne retrouvait aucune réalisatrice cette année dans la catégorie Meilleure réalisation, on retrouve ici 4 films signés ou co-signés par des réalisatrices. Si ce n’est pas forcément une victoire pour la parité (on sait que les réalisatrices sont en partie cantonnées aux secteurs les moins « lucratifs » ou coûteux, d’où leur présence accrue au niveau du documentaire, du court métrage ou des premiers films), saluons néanmoins la qualité et la diversité des films nommés cette année dans cette catégorie Meilleur premier film, qui développent autant d’univers que de créateurs et de créatrices. Coup de projecteur sur ces 5 films.
Cavale de Virginie Gourmel
Avec Cavale, Virginie Gourmel revisite le thème de la fugue adolescente en suivant la course folle de trois jeunes filles en quête de sens.
Kathy, une adolescente secrète et rebelle n’a qu’une idée en tête : fuir l’établissement psychiatrique dans lequel on l’a enfermée. Très vite elle s’en échappe pour retrouver son père, le seul à pouvoir la libérer de « cette prison ». Contre toute attente ses compagnes de chambrée, Nabila et Carole, aussi barges que loufoques, s’invitent dans cette fugue improvisée. Mais rien ne se passera comme prévu…
Après Stagman et Aïe, deux courts métrages aux univers fantastiques, Virginie Gourmel s’est associée à Micha Wald (Voleurs de Chevaux, Simon Konianski) qui signe le scénario, pour retracer l’itinéraire de Kathy, jeune fille fragile en perte de repères, qui cherche par tous les moyens à réécrire son histoire. Sur sa route, elle croise deux autres solitudes, Nabila et Carole, tout aussi paumées. Toutes trois se reposent l’une sur l’autre, mais quel soutien peuvent-elles bien espérer avec des appuis aussi bancals?
Dans ses deux premiers films, Virginie Gourmel s’intéressait à des monstres dont la difformité était visible, un vampire et un homme-cerf, des personnages à la marge, différents, abîmés par la vie. Avec Cavale, elle opère un basculement dans le réel en mettant en scène des personnages dont la monstruosité est toute intérieure: des freaks, des jeunes un peu givrés, lourdement médicamentés, des adolescences agitées.
Cavale parvient le temps de quelques scènes gracieuses à incarner l’adolescence au féminin. En filmant le rapport au corps de trois jeunes filles prises dans un tourbillon moral et hormonal, qui tentent avec énergie et maladresse de trouver des réponses aux questions qui les taraudent, Virginie Gourmel propose un portrait à multiples facettes de cette période si éphémère, tout en questionnant notre rapport à la folie.
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Virginie Gourmel: le road-movie comme une évident
Escapada de Sarah Hirtt
Après avoir déjà mis en scène une fratrie en conflit en En attendant le dégel, Sarah Hirtt creuse le sujet avec son premier long, Escapada, qui aborde la question sous l’angle de l’héritage, et pose notamment cette question: c’est quoi, un héritage? De l’argent? Des terres? Une histoire?
Gustave, Jules et Lou peinent à s’accorder sur l’héritage familial : une maison délabrée entourée de vignes, au Sud de l’Espagne. Gustave, transporteur au bord de la faillite, ne parvient pas à sauver l’entreprise familiale. Jules le militant anarchiste, a coupé les ponts avec sa famille, et vit en communauté à l’autre bout de l’Europe. Quant à Lou, la cadette, elle est perdue entre ses deux frères et ses envies d’ailleurs. Chacun a sa vision du monde et des projets pour ce lieu qui va réveiller les contentieux familiaux et mettre un joyeux désordre dans la vie des personnages.
Au-delà des relations distendues entre frères et soeur par le temps, les convictions et la vie qui passe, le film interroge aussi nos modes de vie contemporains, la course à la réussite et à la consommation, et confronte différentes visions de la société: individualisme vs force du collectif, propriété privée vs communauté, réussite sociale vs marginalité.
Alors que Gustave veut revendre la maison pour renflouer les caisses de la société familiale, Jules veut y installer un projet social avec son groupe altermondialiste. Lou de son côté semble affronter ses démons intérieurs, et observe l’affrontement entre ses frères en interrogeant leurs visions du monde, nous poussant à la suivre dans ses interrogations: peut-on vivre en marge de la société? Peut-on inventer de nouveaux modèles de collectivité? Peut-on s’affranchir de la propriété privée et du système capitaliste? Cette utopie pas toujours si douce peut-elle survivre aux destins individuels, et est-elle soluble dans la vie de famille?
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Sarah Hirtt: « J’avais envie de cette échappée pour repenser le vivre ensemble »
Nuestras Madres de Cesar Dìaz
Avec Nuestras Madres, César Diaz dresse à travers le portrait de son héros Ernesto et de son entourage, le portrait d’une résilience collective, celle des victimes de la dictature militaire guatémaltèque.
Guatemala, de nos jours. Ernesto, jeune anthropologue à la Fondation médico-légale, travaille à l’identification des disparus de la guerre civile, et oeuvre pour rendre une dignité aux morts en leur offrant une sépulture, et permettre le processus de deuil indispensable de toute une nation. Lui-même est porteur d’une quête, celle de son père qu’il n’a pas connu, guérillero disparu pendant le conflit.
De la dictature militaire instaurée à la fin des années 70 au Guatemala est née une guerre civile qui n’a pris fin qu’une vingtaine d’années plus tard, jonchant derrière elle plus de 200.000 cadavres, et ensevelissant la mémoire de 40.000 disparus. Avec Nuestras Madres, sélectionné en Compétition dans le cadre de la Semaine de la Critique à l’occasion du 72e Festival de Cannes, Cesar Diaz fait oeuvre de mémoire et de résilience. Son film surgit comme un cri dans le silence historique qui entoure ce massacre méconnu, dont les victimes furent essentiellement des Indiens, et dresse le portrait déchirant d’une mère et son fils.
« Nos mères », celle du titre Nuestras Madres, convoquent ainsi les gardiennes de la mémoire qui ont préservé jusqu’ici une histoire méconnue de beaucoup, mais aussi les personnages de fiction qui entourent Ernesto, à commencer par sa propre mère. Car si cette plongée intime au coeur de la violence de la grande Histoire du Guatemala porte un regard interrogateur sur le pays, elle n’en est pas moins traversée par un vrai souffle de fiction, porté par le destin singulier d’Ernesto et sa mère, magnifiquement interprétés par Armando Espitia, qui campe un jeune homme plein de questions et de fragilité, et Emma Dib, qui porte en elle tout à la fois le chagrin d’une nation, et la souffrance d’une femme.
Le film, sélectionné à la Semaine de la Critique, a remporté la Caméra d’or lors du dernier Festival de Cannes.
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Cesar Dìaz: « Ce sont les femmes et les mères qui tiennent le pays »
Pour vivre heureux de Salima Sarah Glamine et Dimitri Linder
Avec Pour vivre heureux, Dimitri Linder et Salima Glamine offrent une relecture contemporaine du mythe des amoureux maudits, en se penchant sur l’impact de leur transgression sur leur entourage. Le film a reçu le Prix Cinevox au Festival de Namur.
Amel et Mashir, deux jeunes bruxellois, s’aiment en secret. Ni leurs parents, ni leurs amis ne se doutent de leur relation et encore moins de leur projet de passer l’été ensemble à Londres. Le jour où la famille de Mashir décide de le marier à sa cousine Noor, qui est aussi l’amie d’Amel, c’est tout leur monde qui s’écroule. Comment pourront-ils sauver leur amour sans faire souffrir tous ceux qui les entourent ?
Pour vivre heureux, qu’ils vivent cachés, ne peut-on s’empêcher de penser… Car la fougue d’Amel alliée aux hésitations de Mashir vont vite prendre un tour dramatique. Comment choisir quand on a 17 ans, entre l’amour et la loyauté, l’avenir et l’amitié? Comment rester fidèle à son sang et suivre l’élan de son coeur?
Nombreuses sont les victimes dans cette situation. Si Noor n’a pas choisie d’être promise à Mashir, elle sait qu’elle pourrait rencontrer encore pire destin si elle refusait cette union. Elle est prise au piège, face à un choix cornélien. Comme Amel, qui assaillie par un violent sentiment d’injustice et de jalousie, se retrouve au pied du mur. Quitte à trahir peut-être celui qu’elle aime et ceux qui la soutiennent…
L’une des forces de Pour vivre heureux réside en partie dans cette capacité à montrer la caisse de résonance que peut avoir cette histoire d’amour interdite. Les répercussions de ces amours empêchées vont bien au-delà des deux amants, et se propagent au sein de la communauté et du cercle familial. Les motivations des parents sont d’ailleurs subtilement exposées, entre respect de la tradition et honneur familial.
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Salima Sarah Glamine et Dimitri Linder: « Ce sont de véritables doubles vies que mènent ces jeunes »
Seule à mon mariage de Marta Bergman
Avec Seule à mon mariage, Marta Bergman livre un premier long métrage de fiction comme un coup de vent frais et vivifiant, qui suit l’envolée de Pamela, jeune femme forte, déterminée, touchante et mordante à la fois, partie trouver la vie qu’elle mérite. Le film était sélectionné au Festival de Cannes dans le cadre de l’ACID.
Pamela vit dans un petit village situé à quelques kilomètres de Bucarest, confinée dans une vie qui n’est pas celle dont elle rêve. Elle partage avec sa fille qu’elle a eu trop jeune et trop seule la maison de sa grand-mère, qui s’attriste de la voir vouloir échapper à son destin, de peur surement de la voir malheureuse. Ou du moins encore plus malheureuse. Car Pamela ne trouve pas sa place au sein de cette communauté où elle étouffe à petit feu. Pour (sur)vivre, il faut partir.
Faute de moyens, elle trouve une voie, quitte à devenir l’une de ces filles de l’Est bonne à marier, prête à offrir leur coeur pour s’exiler. Ces filles dont on parle tant, et qu’on connaît si peu. Dans le secret, elle abandonne momentanément aïeule et progéniture pour s’installer en Belgique chez Bruno, pas encore vieux garçon mais plus tout jeune non plus. Bruno, qui s’apprête à se laisser unir par les liens du mariage, alors qu’il n’a pas encore coupé le cordon. Leur mariage tente l’alliance impossible de deux solitudes, de deux êtres en pleine quête de sens et d’identité. Mais si chacun oeuvre et contribue à la transformation de l’autre, on ne force pas l’amour. Et Pamela va découvrir que son émancipation de femme ne passe ni par le couple, ni par le refus de la maternité ou de ses origines.
Avec ce premier long métrage de fiction, Marta Bergman creuse le sillon d’une oeuvre commencée du côté du documentaire, notamment avec Clejani, Heureux Séjour, et surtout Un jour mon prince viendra. Le début de Seule à mon mariage d’ailleurs présente à bien des égards une trame proche du documentaire, suivant au plus près les errances de Pamela dans son village trop étroit pour ses rêves, une vie rude et âpre dans le froid et la neige. Au milieu de ce paysage glacé, une tornade. Alina Serban déploie une énergie dévorante et communicative, tour à tour butée ou vulnérable, ancrant son personnage aussi bien dans son village que dans ses rêves d’ailleurs.
L’arrivée en Belgique, dans le foyer qu’essaie de créer Bruno, va mettre à jour le fossé émotionnel et culturel qui oppose les deux âmes esseulées. Si cette découverte de l’autre génère une curiosité qui nourrit leur relation, Pamela et Bruno finissent par se trouver eux-mêmes en pensant chercher l’âme soeur. Et s’éloigner par la même occasion…
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Marta Bergman: « Pamela est une jeune femme qui découvre qu’elle peut s’émanciper par elle-même »