Lukas Dhont: « Montrer la beauté et la fragilité de l’amitié »

On a rencontré Lukas Dhont il y a quelques jours à Gand, à quelques heures de la projection en ouverture du Festival de son deuxième long métrage, Close, Grand Prix au Festival de Cannes. Une projection chargée en émotion, dans la ville où il y a quelques années seulement, le jeune homme découvrait le cinéma…

Comment vous sentez-vous à quelques heures de la première belge du film?

Content, même si je suis un peu fatigué, on a beaucoup voyagé ces dernières semaines ave le film. J’essaie de le partager avec le monde avec la même énergie que celle qu’on a déployée pour le faire. Je suis heureux et un peu nerveux, j’ai hâte que le film rencontre un public plus large. Gand, c’est la ville où j’ai grandi, où j’ai commencé à aller au cinéma, celui-là même où on va montrer le film ce soir. C’est un lieu lié à la mémoire et à l’enfance et c’est un film qui parle en partie de ma jeunesse. C’est donc un sentiment particulier qui m’étreint, un peu rétrospectif, qui m’engage à me replonger dans mon passé. J’étais très nerveux à Cannes, c’était la première fois que l’on montrait le film, et je ne voulais pas décevoir.

Ici c’est autre chose, il y aura plein de gens que j’admire et que j’aime personnellement qui vont voir le film, c’est toujours un peu fragile comme moment. Il est toujours plus difficile de faire un discours devant des gens que l’on connaît que devant des gens que l’on ne connait pas. Cette fragilité, je veux l’accepter, parce qu’après tout, mon film parle aussi de fragilité. Mais je vous avoue que c’est un peu compliqué!

Quand vous écriviez cette histoire, qu’est-ce qui sous-tendait votre désir, qu’est-ce qui vous tenait le plus à coeur de transmettre?

Il y a deux choses je pense. D’abord, je voulais créer des images qui donnent à voir une vraie intimité, et une vraie tendresse entre deux jeunes garçons. On vit dans un monde où il y a beaucoup d’images d’hommes entretenant des relations brutales entre eux, qui semblent déconnectés de leur fragilité. Je voulais créer des moments de tendresse, dans un univers masculin. Avoir deux jeunes garçons dans un lit, proches l’un de l’autre, complices, les voir courir dans un champ de fleurs. 

Et par ailleurs, je voulais parler de la brutalité. Comment elle peut faire disparaitre ces choses si fragiles, si tendres. Dans le monde, mais aussi à l’intérieur de nous. Comment on coupe les fleurs, comment les couleurs disparaissent, à l’intérieur. 

En fait c’est vraiment un film sur l’amitié. Sur la beauté mais aussi la fragilité de l’amitié. En choisissant deux jeunes garçons, je voulais aussi parler aussi d’une société où la tendresse entre adolescents ou entre hommes est très vite regardée sous le prisme de la sexualité. On cherche à tout compartimenter. Et ça brime certains élans, et certaines amitiés. 

Cest un projet très personnel?

Cest effectivement un film très personnel, même si je pense que cest une expérience universelle, nous avons tous et toutes connu des amitiés qui ont évolué au fil des années. On a tous perdu un ami à un moment de notre vie. Javais envie de plonger dans cette thématique. Et puis certains thèmes qui me sont chers et que l’on pouvait déjà rencontrer dans Girl reviennent, notamment la violence que cela représente de devoir se conformer à une certaine norme, de ne pas pouvoir être soi-même, d’être soumis à une certaine vision de la masculinité, ne pas pouvoir assumer sa fragilité.

Arrivés à un certain âge, les jeunes garçons sont coupés de leurs sentiments, les sentiments, on les laisse aux filles…

Oui, des recherches qui ont été faites sur cette question, je me souviens avoir lu le travail dune psychologue américaine, Niobe Way, qui avait suivi des garçons entre 13 et 18 ans. Ce qui mavait bouleversé, cest quelle avait constaté qu’à 13 ans, les garçons parlaient encore de leurs amitiés, ils parlaient de leurs histoires damour, sans gêne. La relation à lautre restait très importante pour eux, ils étaient encore dans une certaine pureté de cette relation, mais à ladolescence, tout changeait pour eux. Soudain il fallait être dans la performance, il fallait être cool. Et être stoïque, étranger aux sentiments, sûr de soi, cest vu comme cool. Javais envie de parler de ça, de la perte de cette relation dintimité entre deux jeunes garçons.

Le regard des autres a un impact très fort sur la façon dont ces deux jeunes garçons sont en train de s’inventer, les faisant renoncer à ce lien d’amitié qui leur a permis de se construire. On voit aussi comment la responsabilité s’abat sur les victimes de cette situation: Léo, ainsi que Sophie, la mère de Rémi. 

On a choisi un âge très précis, entre l’enfance et l’adolescence. Ce moment très concret où on arrive dans une cours de récréation, dans une nouvelle école, et où se forment des groupes qui répondent à des normes très contraignantes. Il y a une grande verticalité, qui miroite celle de la société. Il y a les groupes populaires, les groupes des laissés-pour-compte. 

Le personnage de Léo est victime de cette pression, mais je voulais aussi montrer la façon dont il désire appartenir au groupe. Cette attraction est très forte, on comprend des choses sur nous et sur le monde, qui nous amènent à vouloir nous conformer. Ce besoin de conformité est une violence, pour certains. 

Je me souviens très bien, quand j’étais enfant, avoir ressenti pour la première fois que mes actions avait des conséquences, et que parfois, on peut se sentir responsable d’avoir fait quelque chose. Ce n’est pas une évidence pour les enfants, c’est quelque chose qui s’apprend. Pour moi c’est un souvenir très fort. Je m’en souviens comme d’une expérience très physique aussi. Ce sentiment de culpabilité ou de responsabilité nous enferme dans notre corps, on n’arrive pas à en parler. Surtout que notre monde a tendance à catégoriser les gens, de façon tranchée, il y a les protagonistes et les antagonistes, les héros et les méchants. 

J’avais envie de voir un jeune garçon qui évoque ce sentiment de responsabilité. C’est aussi quelque chose que l’on voit peu. J’ai l’impression que l’on ne voit jamais des gens parler de ça. Pourtant on les a tous, ces sentiments, la responsabilité, mais aussi la perte. 

Comment sest fait le casting?

En fait cest une histoire assez amusante. Il y a deux ans, alors que je commençais à écrire les premiers lignes de Close, j’étais dans un train où était assis à côté de moi un jeune garçon de 11 ans. Je lobservais, je l’écoutais parler, il discutait avec ses amis. Je n’étais quau tout début de l’écriture, mais sur le coup, jai eu une révélation. Je lui ai demandé sil serait daccord de venir passer un casting, et il a accepté. C’était Eden Dambrine.

Quelques semaines plus tard, on a commencé le casting. On a vu plus de 750 garçons, vraiment beaucoup de jeunes. Et malgré toutes ces rencontres, cest lui que jai choisi. Cest surement le destin qui la mis sur ma route. Gustav je l’ai rencontré via les castings, et là aussi ça a été une évidence.

Face aux jeunes, on retrouve des comédien·nes plus expérimentées comme Lea Drucker ou Emilie Dequenne, c’était important pour moi de combiner ces très jeunes talents, et des personnes plus expérimentées, de combiner leurs énergies.

Le film dit beaucoup de choses, mais avec peu de mots, le discours passe autant par les gestes, les regards et les silences, par la façon dont les corps interagissent sans parler, les mots qu’on ne dit pas aussi.

Je pense que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre, et c’est notamment le cas des dialogues. Je dois encore trouver comment écrire des dialogues! Je trouve que c’est un exercice très compliqué. Quand on écrit des dialogues, on essaie autant de transmettre ce que le personnage veut dire que ce que le spectateur doit comprendre. 

Adolescent, j’étais plutôt bon pour le mime! Je copiais les mouvements, les comportements des autres. Je suis très inspiré par la danse, le travail des chorégraphes et des danseur·ses, qui parviennent à exprimer des sentiments avec leur corps et leurs mouvements. Très vite dans mon rapport au cinéma, je me suis dit que c’était le langage avec lequel j’avais envie de me lancer dans cet art, le langage du corps. Avant de vouloir devenir réalisateur, je voulais devenir danseur. Je sens que j’essaie de réaliser une partie de ce rêve de danse à travers mon langage de cinéma. Exprimer ce que je veux exprimer sans mots.

Et puis je viens de la campagne flamande un endroit de peu de mots, où l’on se parle peu. Peut-être aussi que le non-dit fait partie de mon histoire personnelle et familiale. Les silences, les non-dits permettent aussi au public de projeter son imagination. D’ajouter des choses. J’aime bien cet état actif du public. 

Les mots peuvent bien sûr être très forts quand ils sont bien choisis, mais moi pour l’instant, j’adore quand je parviens à exprimer des choses fortes avec le moins de mots possible. Peut-être que développer les dialogues dans mon cinéma sera un nouveau challenge pour moi! Je sens que j’ai là une grande marge de progression!

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