L’Exercice de l’État
Les monologues du Gourmet (1)

Interviewe-t-on Olivier Gourmet? Oui, en théorie. On l’oriente vers des thèmes, on lui pose des questions, on relance son intérêt, mais en fait Olivier, en promo, se suffit à lui-même. Il parle, s’emballe, s’enthousiasme, réfléchit (beaucoup), analyse, captive. Lorsque nous l’avons rencontré au FIFF namurois, il nous a expliqué comment on lui avait proposé ce rôle de ministre dans l’Exercice de l’État, dans quelles circonstances  il avait connu le réalisateur Pierre Schoeller et comment s’était déroulé le tournage. Entre autres.

Première partie d’un monologue riche et savoureux, plein d’enseignements. Qui reflète l’énergie du film et son exigence.

 

 

LA DÉCOUVERTE DU RÔLE

 

J’étais à Lille et Denis Freyd, le producteur français, m’a téléphoné pour  savoir si j’étais disponible à une certaine période. Il avait un scénario dans les mains et pensait à moi pour un des personnages. À ce moment, le projet était encore en financement.  J’étais libre et quelque temps plus tard, il m’a envoyé le texte, me demandant de le lire et de donner mon avis.

 

Lorsque je le reçois, je le dévore très vite. Comme le producteur ne m’avait pas précisé le rôle que j’endosserais éventuellement, je me suis dit que Pierre Schoeller avait pensé à moi pour incarner Gilles, le directeur de cabinet. Ça me semblait logique: souvent on me fait jouer des hommes discrets, silencieux, dans l’ombre. Pas toujours, bien sûr, mais je sais qu’on m’aime bien pour cela également. Je l’appelle donc pour donner mon accord: « oui, il me plaît bien le personnage de Gilles ». Là, Denis Freyd a l’air étonné : « non, non, il ne s’agit pas de Gilles. Je ne te l’aurais pas proposé pour Gilles. On pensait à toi pour incarner St Jean ». Le ministre, le personnage principal. Je crois que j’ai juste répondu : « Ha bon??? ».

 

Comme vous, je trouve que le scénario est terriblement bien écrit, détaillé, précis, concis. À la fois sur l’exercice de l’état parce que c’est un film qui porte bien son titre et aussi sur l’homme, l’état de l’homme dans l’exercice de l’état. Ces ressorts humains, la nature humaine, c’est cela qui m’attire en priorité : pas un héros, pas un homme politique existant ou l’image d’un fait politique connu, mais les affres de Monsieur tout le monde. Or, c’est vraiment un film sur les ressorts humains, sur l’âme humaine et donc cela m’excitait terriblement. Il y avait, en plus, une gamme de couleurs et d’émotions qu’on m’a peu donnée jusqu’ici dans mes différents personnages, même dans certains grands rôles comme celui du Fils qui m’a valu des prix et une reconnaissance internationale: le personnage des Dardenne était plus enfermé, plus monocorde, fait d’une seule pièce et d’une seule teinte. La palette qu’on m’offrait ici n’était pas galvaudée. C’était très précis, très juste.

 

 

LA RENCONTRE AVEC PIERRE SCHOELLER

 

J’ai rencontré pour la première fois Pierre Schoeller à Bruxelles, dans un café-restaurant. J’ai mangé avec lui, Denis Freyd, le producteur français, et la directrice de production des frères Dardenne, Delphine Thomson. On s’est retrouvé là juste avant que le trio aille présenter le film à la commission pour essayer d’avoir un soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La première chose qu’il m’a dite alors est: « je vais faire un film d’humeurs ». Il ne voulait surtout d’un film didactique comme peuvent l’être certains films politiques: il aime le cinéma populaire, il veut du rythme, du spectacle et il y en a ici. Énormément d’émotions aussi. De vraies émotions, réelles. Pas de recettes fabriquées et cliché pour  cueillir le spectateur, mais des émotions qui vont dans le sens de l’histoire et du propos du film. C’est très rare. Et toutes ces dimensions cinématographiques sont présentes ici.

 

 

LE TRAVAIL SUR LE PLATEAU

 

Pierre a une oreille musicale. Dès l’écriture, il a donc essayé de ciseler ses dialogues pour qu’ils coulent dans l’oreille. Il a quand même mis huit ans pour parvenir à cette version. Ce n’est pas anodin. Même s’il n’y a pas constamment travaillé puisqu’il a par exemple tourné Versailles entre-temps, ce projet a eu l’occasion de mûrir. Le scénario et les dialogues étaient remarquables. Il y a eu de petits changements, bien sûr. Pierre et moi avons fait une lecture et nous avons adapté certains détails. Le réalisateur est tellement plongé dans son sujet que de petites récurrences ou incohérences peuvent lui échapper. Cela mis à part, c’était si bien rédigé, qu’il n’y avait plus qu’à se laisser glisser dans le rôle, à se laisser porter, à s’abandonner

 

On aurait donc pu tomber dans l’illustration de scénario, mais Pierre n’est pas ainsi : il est conscient que rien n’est jamais gagné sur un plateau. Pour emporter son texte dans une autre dimension, il recherche l’étincelle, l’épaisseur, l’intensité; il guette le rythme intérieur de la scène. Il sait aussi que c’est pendant le tournage qu’un film se réussit ou se perd. On peut, bien sûr, tenter de gommer certains défauts plus tard, au montage, mais c’est parfois tout simplement impossible.

 

J’ai croisé certains réalisateurs très décontenancés pendant la post production qui me disaient: « c’est quand même extraordinaire, on filme scène par scène, on retourne ces séquences jusqu’à ce qu’on les imagine parfaites, on regarde les rushes, on est ravi. Et puis au montage, patatras, rien ne fonctionne: le rythme qui semblait bon, au fil des jours, s’écroule. On a beau le bousculer, couper, réagencer, on n’arrive pas à trouver le mouvement juste.  »

 

Il faut donc découvrir le rythme interne de chaque scène, et là, Pierre laisse faire les acteurs. On a discuté de tout cela avant, bien sûr. Chacun sait ce que le réalisateur attend de lui. Mais pendant le tournage, dans un premier temps, il laisse faire, il observe. Il ne joue pas d’emblée au chef d’orchestre sur de simples convictions. Ensuite, lorsqu’il a analysé la scène, il nous recadre, il intervient ponctuellement: « toi réagis plus vite; toi fais plutôt ceci ou cela. » Il écoute, donne le timbre, demande à un acteur de parler plus vite, plus bas, plus fort. Le rythme se construit à ce moment-là. Pierre veut alors resserrer les émotions, les réactions. Pour la première fois, la scène prend vie et il tente de tirer le meilleur parti des comédiens qui incarnent ses personnages.

 

Le fait de laisser-faire apporte parfois des changements, des accidents, une fraîcheur,  des choses inattendues que le réalisateur n’imaginait même pas.

C’est ce qu’on appelle… la magie du cinéma!

 

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