Les cowboys : en quête d’identité(s)

Une grande prairie, un rassemblement country western quelque part dans l’est de la France avec les montagnes en fond de décor. Il y a de la musique, des chevaux, des sourires, tout le monde a l’air de se connaître.

On le sent immédiatement : Alain est l’un des piliers de cette communauté. On l’invite à chanter, il danse avec Kelly, sa fille de 16 ans, sous l’œil attendri de sa femme et de leur jeune fils Kid.

 

Alain est français, mais son univers, ce sont les films de John Ford, le Middle West, Nashville…

Dans ce simulacre populaire de culture américaine, il se sent enfin chez lui, il se sent lui. Heureux.

Dans ce monde trop grand pour l’homme chacun cherche sa voie, cherche un sens à sa vie à travers ce qu’il est, ce qu’il se sent être : c’est clairement le thème du film qui résonne en écho chez de nombreux personnages.

 

 

Hélas pour Alain, la fête, ce jour-là, sera de courte durée. Quand on replie les stands, Kelly, sa fille chérie, n’est plus là. Personne ne l’a vue durant la dernière heure.

Peu à peu, le doute, puis la peur s’installent ; enfin la panique quand on apprend que Kelly ne fréquente plus les endroits qu’elle prétend fréquenter, qu’elle ne voit plus ses copines et qu’elle a un petit ami qui semble posséder sur elle une certaine emprise.

Rapidement, ses parents découvrent même qu’elle s’est initiée  à la langue arabe. Pourquoi ces secrets ?

Pour Alain, la quête commence : pas question d’abandonner la chair de sa chair. Une course folle, aveugle et insensée, s’engage alors qui le conduit au nord de l’Europe, et dans des pays lointains. K.O. debout, le voilà projeté dans le fracas d’un monde qu’il feignait d’ignorer. Un monde en plein bouleversement où son seul soutien sera désormais Kid qu’il traîne avec lui dans cette quête sans fin. Au risque de sacrifier sa jeunesse.

Commencée dans les années 90, rythmée par l’actualité qu’on suit sur les écrans de télé ou via des radios, la recherche est effrénée, désespérée, truffée de surprises aussi.

 

 

Même si l’envie d’être plus précis nous tenaille, il est clair que le plaisir qu’on prend en regardant le film est décuplé par l’ignorance qu’on a de son scénario. Un scénario signé par Thomas Bidegain qui réalise ici son premier long métrage.

Pour mémoire, Thomas Bidegain est le coscénariste des plus grands succès de Jacques Audiard (Un Prophère, de rouille et d’os, Dheepan), mais aussi un script doctor prisé qui est intervenu notamment sur La Famille Bélier , Saint Laurent et sur A perdre la raison de notre compatriote Joachim Lafosse.
Avec un pareil pedigree on est forcément en droit d’attendre une histoire de haut niveau et le moins qu’on puisse dire est qu’on n’est pas déçu.

 

 

Abordant une situation macropolitique par le tout petit bout de la lorgnette, sans que rien au démarrage nous fasse prendre conscience que nous nous embarquons pour un tel trip, le développement du scénario s’avère d’une folle audace.

En deux occasions au moins (nous n’en dirons pas plus, inutile d’insister), Thomas Bidegain nous décontenance totalement. De telles prises de risque sont très peu coutumières dans des films qui ont par ailleurs une vocation à se tourner vers le grand public, mais elles séduiront tous ceux qui aiment qu’on les considère comme des gens intelligents et surtout qu’on les secoue un peu alors qu’ils ne s’y attendent pas.

 

 

Outre la coproduction assurée en Belgique par Les films du fleuve (la société des frères Dardenne), l’autre angle cinevoxien du film est bien sûr la prestation de François Damiens qui est ici tout simplement sidérant.

 

François s’agace souvent qu’on ne le prenne que pour un acteur comique alors que la moitié de ses compositions au moins sont plutôt dramatiques.

Ici, pas l’ombre d’un sourire, François signe son Tchao Pantin (juste formule empruntée à l’ami Freddy Tougaux) avec une énergie, un charisme et une force tout simplement épatants.

François ne joue pas à l’acteur sérieux : il se fond dans un rôle sombre, dans une quête obsessionnelle, il incarne un père blessé en intégrant toute la dimension tragique de ce personnage, sans fioritures, sans tenter de séduire le spectateur par des artifices : il est brut, presque bestial, froid, antipathique à l’occasion.

 

 

De plus en plus épatant au fil des films qui s’égrènent (dans un autre registre, il était déjà assez génial dans Je fais le mort), François Damiens élargit encore sa palette. Et alors qu’on le voyait plutôt comme un Jerry Lewis capable de jouer aussi dans La Valse des pantins (le mot clef de l’article ?), il évoque plutôt ici un De Niro de la meilleure veine jonglant avec aisance sur un fil tendu au-dessus du vide.

 

Malgré l’angle belge classique de notre approche, on s’en voudrait de ne pas mettre aussi en exergue la prestation d’un autre comédien du film, Finnegan Oldfield, qui tient ici un rôle clef, équivalent, mais chronologiquement opposé (ou presque) à celui de Damiens comme vous le découvrirez avec surprise en voyant le film.

 

 

De plus en plus régulièrement mis en avant par les réalisateurs qui l’emploient, Finnegan est indiscutablement un des comédiens les plus doués de la jeune génération. Sa contribution à la réussite des Cowboys est finalement aussi importante que celle de son père dans le film, ne fût-ce que pour l’enchevêtrement des scènes finales, et l’ultime séquence, bouleversante d’audace une fois encore, bien loin des sentiers battus d’un genre qu’on croyait balisés.

 

A un moment où les médias n’ont que les mots Star Wars dans la bouche, Les Cowboys, à l’affiche dans nos cinémas depuis une semaine déjà, est la pépite à découvrir de toute urgence; sans aucun doute un des films de l’année qui s’achève.

Un choc !

 

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