Les Chevaliers blancs : sur la corde raide.

Depuis la sortie d’A perdre la raison, Joachim Lafosse a tourné deux films. Très différents. Le premier d’entre eux, qui a fait la tournée des festivals cet été et cet automne (Angoulême, Toronto, San Sebastian…) arrive sur nos écrans ce 27 janvier.

 

 

Jacques Arnault, président de l’ONG « Move for kids », a convaincu des familles françaises en mal d’adoption de financer une opération d’exfiltration d’orphelins d’un pays d’Afrique en proie à la guerre. Entouré d’une équipe de bénévoles dévoués à sa cause, il a un mois pour trouver 300 enfants en bas âge et les ramener en France.

Pour réussir, il décide de faire croire à ses interlocuteurs africains et aux chefs de village qu’il va installer un orphelinat et assurer un avenir sur place à ces jeunes victimes de guerre, dissimulant le but ultime de son expédition…

L’enfer est pavé de bonnes intentions.

 

 

Le pitch officiel des Chevaliers Blancs circonscrit parfaitement l’action et les enjeux du projet.

Ce qu’il ne dit pas explicitement c’est que ce récit est directement adapté de la réalité. L’affaire a pourtant grand bruit. Elle démarre en 2007 et ne s’est achevée que récemment dans les tribunaux.

Le groupe impliqué dans la véritable histoire est connu sous le nom de l’Arche de Zoé et si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, vous pouvez consulter ICI un excellent article rétrospectif publié par Libé. Si les patronymes ont été changés, tout le reste est quasi identique, jusqu’à la structure de l’équipe œuvrant dans un désert inhospitalier pour ramener en Europe des enfants pour l’adoption.
On imagine évidemment que si la source n’a pas été citée, c’est clairement pour des raisons juridiques délicates : l’affaire a été jugée, rejugée en appel (lire ICI, l’article du Monde) et Joachim Lafosse, comme il l’a fait avec A perdre la raison (l’auteur y réfutait autre chose qu’une vague proximité narrative avec l’affaire Lhermitte), nous livre ici son interprétation des faits.

Mais aussi bien plus que cela.

 

Si on connaît l’histoire, le contexte et même la silhouette des personnages impliqués dans Les Chevaliers Blancs, la dimension artistique de cette l’œuvre de fiction, nous permet de nous immiscer dans la tête des protagonistes, de confronter les points de vue dans une situation de (très) haute tension.

Héros ou zéros ? Bienfaiteurs ou malfaiteurs ? Le spectateur devra se faire une opinion sur les motivations qui agitent les membres de l’équipe de Move for kids. Car autant vous le dire tout de suite, Joachim Lafosse ne tranche pas totalement (ouvertement en tous cas) et c’est aussi la force de son film.

Les Chevaliers blancs est donc l’histoire d’une poignée d’hommes et de femmes, animés au départ par de nobles idéaux qui vont progressivement perdre leurs certitudes dans un contexte étranger, inhospitalier, plus compliqué à gérer qu’ils ne l’attendaient.

Partis pour « sauver » des orphelins avec l’espoir de les confier à des parents avides d’enfin fonder ou agrandir une famille, ces hommes et ces femmes qui sont tous plutôt sympathiques vont se heurter à la réalité du terrain, un univers trop grand pour eux où on ne les attend pas, où ils n’ont pas leur place.

 

 

Clandestins du désert, les membres de Move for Kids association fantôme créée comme un leurre, sont vite obligés de mentir à tout le monde : aux autorités françaises qui les encadrent, aux villageois qu’ils rencontrent pour trouver des jeunes orphelins et même aux autochtones qu’ils emploient dans leur camp de base pour accompagner les enfants qu’ils recueillent.
Plus le mensonge est gros, plus il a de chances de réussir à tromper tout le monde, mais il suffit parfois d’un infime grain de sable pour gripper la mécanique. Et dans ce désert, le sable ne manque pas.

Peu à peu, les hommes et les femmes impliqués dans l’opération vont devoir reconsidérer leur mission à l’aune de la réalité qu’ils découvrent sur place. Certains vont trancher rapidement d’autres être tentés de transiger avec la vérité et avec eux-mêmes. À charge pour le spectateur que le réalisateur présuppose intelligent et ouvert (merci pour ça) de faire le tri dans les éléments contradictoires qui s’amoncellent.

 

 

À ce niveau, le choix des acteurs est une vraie réussite, car chacun peut jongler sur l’image qu’il véhicule d’emblée pour nuancer le propos : Vincent Lindon, toujours irréprochable, est le mec sympa du cinéma français, mais il excelle aussi à jouer des rôles plus ambigus auxquels il apporte une formidable humanité (quelques heures de printemps), pareil pour Louise Bourgoin définitivement actrice loin des clichés de la miss Météo de Canal, comme on peut également le voir dans Je suis un soldat.

 

Au-delà de la dimension « film d’aventures » (décors impressionnants, action, figuration importante) qui est une nouveauté chez Joachim Lafosse, Les Chevaliers Blancs pose des questions récurrentes dans l’univers du réalisateur : quel est la place d’enfant dans ce monde des adultes qui souvent ne pensent qu’à eux ? Comment accepter le rapport que les Européens entretiennent par rapport à l’Afrique ?

 

Il y a trois ans, dans notre critique d’A perdre la raison, nous avions d’ailleurs avancé cette thèse qui était apparue originale ou bizarre à certains : « Dans cette relation triangulaire, il est question d’amour, de bienveillance, de paternalisme aussi. Un paternalisme qui laisse transparaître ici et là les mécanismes pernicieux du colonialisme. »

Cette phrase semble aujourd’hui prémonitoire, comme un préambule à la réflexion plus large menée dans Les Chevaliers Blancs.

 

 

Mis en scène avec efficacité et élégance, Les Chevaliers Blancs est aussi un difficile exercice de direction d’acteurs tant le noyau de comédiens ayant un rôle à défendre est important. Dans ce contingent, Joachim Lafosse a fait appel à ses fidèles qu’il a par ailleurs essentiellement regroupés dans un clan qui fera sécession quand la situation deviendra moralement compromettante à leurs yeux. De là à penser que Stéphane Bissot, Yannick Renier, Catherine Salée (top !) ou Raphaëlle Bruneau incarnent le point de vue objectif du réalisateur, il n’y a qu’un pas que nous franchirons en toute subjectivité.
Captivant, intense et interpellant, Les Chevaliers Blancs invite à la réflexion en évitant soigneusement de susciter l’ennui. Le débat est ouvert…

 
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