On a cherché. On n’a pas trouvé.
Pas la moindre critique qui égratignerait un tout petit peu La Tortue Rouge, premier long métrage de Michael Dudok de Wit, le Hollandais volant de l’animation.
À l’actif de ce sexa sexy, cinq courts métrages. Quand il est entré dans la grande salle de projection au Festival du film d’animation d’Annecy où l’œuvre était présentée en ouverture de la manifestation, le public l’a pourtant acclamé comme s’il accueillait les Beatles, fantômes de Lennon et Harrisson compris. L’homme est en effet un mythe dans le circuit, depuis qu’il a été sélectionné aux Oscars en 1995 avec Le Moine et le Poisson. Cinq ans plus tard, non seulement, il retournait à Los Angeles, mais cette fois il emportait carrément la précieuse statuette avec son nouvel opus : Père et Fille.
Considéré comme un visionnaire par de très nombreuses figures de proue de l’animation, Michaël Dudok de Wit a également travaillé comme animateur sur Transit, L’Enfant au grelot, Fantasia 2000 ou La Prophétie des grenouilles. Avant d’être carrément adoubé par les mythiques Studios japonais Ghibli chers au désormais retraité Hayao Miyazaki qui lui ont proposé de produire son premier long métrage.
Au départ, Michaël Dudok de Wit n’avait pourtant pas d’idée précise, mais c’est au Japon qu’il a écrit le scénario déroutant de Red Turtle et travaillé ensuite à sa réalisation sous la supervision d’Isao Takahata (l’autre créateur de Ghibli) qui fut le directeur artistique du projet.
Michael Dudok de Wit et Toshio Suzuki (producteur)
Sélectionné et récompensé au tout récent Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, La Tortue Rouge conte l’aventure touchante d’un homme échoué sur une île tropicale déserte qui forge une relation ambivalente avec une tortue géante qui s’échine à l’empêcher de quitter sa prison végétale.
Une nouvelle variation sur l’histoire de Robinson ? Oui… Et non.
Car si le récit a recours à la thématique classique du naufragé, il se concentre surtout sur l’exploration méticuleuse des étapes essentielles de la vie d’un être humain : tomber amoureux, fonder une famille, regarder son enfant grandir puis s’en aller, vieillir, mourir. Émotion garantie.
Conçue entre le Japon et l’Europe, la création est forcément singulière. Elle n’a rien à voir par exemple avec le formidable Robinson Crusoé de Vincent Kestelot et Ben Stassen qui, spectaculaire et haletant, doté d’une 3D époustouflante, visait à séduire un très large public de 4 à 99 ans.
Bien moins classique, loin des standards imposés par les studios d’animations américains, La Tortue Rouge est plutôt une œuvre d’art minimaliste où des personnages très « ligne claire » se démènent dans des paysages presque monochromes, d’une infinie douceur. Ce qui ne signifie pas que l’animation est rigide. Elle est au contraire d’une étonnante subtilité.
Si des voix sont créditées au générique, le film ne compte pourtant aucun dialogue. Seuls quelques cris viennent scander la bande-son essentiellement composée de bruitages et d’une envoûtante musique signée Laurent Perez Del Mar (Loulou, l’incroyable secret, L’hiver dernier…).
Là-dessus, on vous imagine hausser un sourcil. Si le rythme est lent, s’il n’y a pas de dialogue, ne va-t-on pas s’ennuyer à la vision de La Tortue Rouge ? Eh bien non. Aucune chance. Car au-delà de l’originalité du propos, de la beauté de chaque plan, le scénariste/réalisateur a su créer une émotion palpable. Dès la scène de la chute dans une crevasse, après à peine une dizaine de minutes à peine, nous comprenons que nous sommes déjà profondément attachés au personnage. C’est une vraie surprise. On n’a rien vu venir. C’est d’ailleurs une des forces de ce film d’avancer sans outrance et sans fureur pour nous cueillir sans crier gare.
Poétique et touchant, La Tortue Rouge nous offre en fait le meilleur des univers d’animation européen et japonais, un équilibre déroutant et magique, fascinant. Une expérience qu’on retiendra longtemps.
Coproduit en France par Wild Bunch et en Belgique par Belvision, La tortue rouge a été en partie réalisé dans les studios Dreamwall. Une équipe d’animateurs belges réunie à Marcinelle a ainsi pu travailler pendant 460 jours sous la supervision de Michaël Dudok de Wit. Une partie du labo image et du labo son a également effectuée en Belgique. De quoi développer un peu plus une industrie en plein essor chez nous, décrocher des prix en festivals, séduire un public qui risque d’être fort surpris… et pourquoi pas aller titiller les grands studios américains aux prochains Oscars. De l’avis de tous les spécialistes, La Tortue Rouge pourrait bien d’être le favori de la compétition.
En attendant, le film est à l’affiche depuis une semaine et vous feriez bien d’aller le découvrir avant que les blockbusters de l’été le dévorent.