Bruxelles, octobre 2020. Rendez-vous est pris en fin de journée dans un immeuble de bureaux désaffecté, où se trouve le set de L’Employée du mois, premier long métrage de Véronique Jadin. Covid oblige, c’est une fois le plateau déserté que l’on retrouve la cinéaste, et ses deux comédiennes principales, pour faire le point sur ce tournage haut en couleur, et visiblement en rires.
« Qu’on rit un peu moins fort derrière le combo, merci! » Quand les ingés son s’agacent gentiment parce qu’on s’amuse trop bruyamment pendant les scènes, c’est plutôt bon signe pour une comédie, et c’est une anecdote qui revient à plusieurs reprises alors que l’on rencontre Véronique Jadin, qui tourne ici son premier long métrage (on se souvient des courts métrages En fanfare, Comme des héros et Ingrid fait son cinéma, et du doc consacré à Tsilla Chelton, On est loin d’avoir fini), et ses deux héroïnes, Jasmina Douieb (grande actrice et metteuse-en-scène de théâtre, découverte par le grand public grâce à son rôle du Dr Orban dans La Trêve) et Laetitia Mampaka (coach en éloquence, récemment finaliste de l’émission de France 2 Grand Oral).
L’Employée du mois, c’est la folle journée de deux femmes que rien ou pas grand chose ne prédisposait à faire équipe. Inès, c’est l’employée modèle. Ca fait 17 ans qu’elle travaille dans une entreprise de nettoyage, et à bien des égards, c’est une véritable petite fée du logis. Alors c’est vrai, parfois, on lui marche un peu sur les pieds. Surtout ses collègues masculins d’ailleurs. Mais que voulez-vous, on ne se refait pas. A moins que…
A moins que ne déboule dans le bureau une jeune stagiaire, Mélody, qui elle, a visiblement bien d’autres buts dans la vie que devenir l’employée du mois, et va renvoyer en pleine face à Inès ses propres contradictions. Alors un peu malgré elles, la faute à pas de chance (ou coup de pouce salvateur du destin, allez savoir), les voilà plongées dans un revenge movie doublé d’une farce cosmique…
« Inès, c’est une petite femme un peu soumise, aux hommes avec lesquels elle travaille en particulier, et au patriarcat en général. Ces hommes la considèrent un peu comme leur boniche. Quand débarque Mélody, elle lui renvoie une sorte de miroir, puisqu’elles sont toutes les deux à leur niveau victime de discrimination. En fait, c’est l’histoire d’une prise de conscience féministe, chez une femme qui n’en avait aucune espèce d’idée, déclare Jasmina Douieb. »
Féministe, le mot est lâché. Car c’est bien d’une comédie féministe qu’il s’agit ici. Autant dire que le patriarcat en prend pour son grade, avec une jubilation que l’on imagine déjà communicative. D’autant que la cinéaste revendique un second degré assumé. « En fait, L’Employée du mois, c’est l’univers de The Office qui rencontre Breaking Bad et Thelma & Louise, nous confie Véronique Jadin. Une comédie noire, avec un fond social et politique. On n’hésite pas à se moquer de tout le monde, des mecs du bureaux, comme des filles. » Ca sent bon la vengeance et le pétage de plombs.
Et visiblement, l’équipe s’est bien amusée à filer la métaphore de la fée du logis, jouant de la prétendue prédisposition des femmes pour le ménage. On a donc affaire à deux nettoyeuses, mais dont les compétences se rapprochent peut-être plus de celles de Léon (oui, celui de Luc Besson) que de celles de Monsieur Propre.
« L’idée est de contribuer à faire changer les choses à travers le biais de la comédie. En tous cas c’est le pari du film, et j’y crois, poursuit Jasmina Douieb dans un sourire. C’est très fort l’humour, ça permet d’aller très loin. Et de dire des choses profondes sans avoir l’air. »
« Le film permet de rigoler dans le sérieux. Ou de sérieusement rigoler! En fait, c’est la rencontre de deux femmes venues de deux mondes différents, et la collision de leurs deux univers va faire des étincelles, se réjouit Laetitia Mampaka, qui interprète Mélody dans le film. »
C’est la première expérience de la jeune femme au cinéma. « Je découvre des choses à chaque instant. Je n’oserai plus critiquer un film maintenant, ou pas avec la même légèreté en tous cas, autant dire que je regarde mes séries d’un autre oeil (rires). Tout le monde en plus est tellement patient, les acteurs sont tellement incroyables. J’ai l’impression d’être passée de la maternelle à l’université en quelques jours. » C’est une vraie découverte Laetitia Mampaka. La jeune femme délivre l’air de rien avec une douceur ingénue punchline sur punchline.
Les deux comédiennes principales vont assurément surprendre le public. « Ce qui m’a vraiment excitée quand on m’a appelée pour le casting, c’est qu’on me propose une comédie. Je pensais que j’étais estampillée pour toujours « actrice grave ». En fait dans le regard des autres, j’ai l’air de quelqu’un de très sérieux, alors que j’ai aussi un côté clown. Finalement, j’ai fait tellement de personnages dramatiques, que j’ai fini par croire que je ne savais pas faire de comédie! Mais c’est très gai, j’ai l’impression de retrouver un peu d’enfance, confie Jasmina Douieb. »
« Je crois que ce qui fait que les comédien·nes ont tout de suite adhéré, et que le film s’est monté assez facilement, c’est qu’il y a du second degré partout, y compris envers le rôle principal, explique Véronique Jadin. » Les deux comédiennes sont entourées par un casting de seconds rôles de première catégorie, jugez plutôt: Alex Vizorek, Peter Van Den Begin, Laurence Bibot, Ingrid Heiderscheidt, Christophe Bourdon, Achile Ridolfi, Philippe Résimont, Philippe Grand’Henry…
Le film fait partie des projets retenus dans le cadre de l’appel à projets en conditions légères, comme Losers Revolution, ou Une vie démente. On le sait, les conditions logistiques et financières y sont complexes, « mais la vraie joie de ce format, c’est la liberté artistique complète dont on bénéficie, explique la cinéaste. »
Le mot de la fin revient à Jasmina Douieb: « Il y a un truc qui m’impressionne très fort chez Véro, c’est la façon dont elle parvient à rester hyper détendue malgré la pression, tout en sachant très bien où elle va. Je crois qu’elle maîtrise très bien son sujet, et que dans le film, elle dit beaucoup de choses d’elle-même, et de sa prise de conscience féministe. »
L’Employée du mois est produit par Sébastien Schelenz pour Velvet Films. On espère découvrir le film d’ici la fin 2021.