« L’Empire du Silence », la guerre qui ne dit pas son nom

Ce mercredi sort en Belgique L’Empire du Silence, le nouveau film de Thierry Michel, qui revient sur 25 ans de conflit en République Démocratique du Congo, 25 ans d’une guerre qui ne dit pas son nom, une guerre importée, qui laisse les populations exsangues, et profite aux criminels impunis. Un film à la première personne, qui vient conclure presque trois décennies d’exploration documentaire en RDC. Un projet cinématographique et une croisade personnelle, pour contribuer à faire cesser le règne de l’impunité. Un documentaire urgent réalisé sous l’impulsion et le parrainage du Docteur Mukwege, qui vient clore son travail consacré au Congo

Fermer les yeux. C’est ce que semble faire la communauté internationale sur la situation dramatique qui se déploie en République Démocratique du Congo depuis près de 25 ans. Une succession de massacres, de pillages, de viols, conséquences, entre autres choses, de l’importation sur le territoire congolais des suites du conflit rwandais, puis de l’avidité des seigneurs de guerre, qui poursuivent leur oeuvre meurtrière en toute impunité.

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Au début des années 90, Thierry Michel se rend au Congo pour filmer les troubles qui soulèvent Kinshasa.Très vite, il développe pour le Congo un intérêt de cinéaste qui donne lieu à une douzaine de films, qui explorent l’histoire comme la géographie, l’industrie comme la politique de ce pays vaste comme l’Europe, véritable bijouterie à ciel ouvert dont les ressources sont pillées inlassablement, décennie après décennie. Il y tourne Mobutu, Roi du Zaïre, Congo River, Katanga Business, et en 2016, L’Homme qui répare les femmes: la colère d’Hippocrate, film à l’occasion duquel il rencontre un homme qui va changer sa vision du Congo: le Docteur Mukwege. 

Ce dernier lutte notamment pour faire reconnaître les violences faites aux femmes comme des crimes de guerre, et y parvient. Il reçoit en 2018 le Prix Nobel de la Paix pour son action. Ce compagnon de route va alerter le cinéaste. S’ils ont contribué à donner la parole aux victimes avec le premier film, il est temps désormais de dénoncer les bourreaux, connus de tous, dont les noms circulent en cachette. Il est temps aussi de faire cesser l’impunité. Alors Thierry Michel retourne au Congo, avec pour objectif d’alerter la communauté internationale, et de faire parler les victimes, innombrables, celles qui se terrent au fond de la forêt. Avec pour objectif de faire tomber l’empire du silence. 

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Le film remonte le fil de l’histoire, une histoire qui bégaye et se répète. Une histoire qui commence en 1994 suite au conflit rwandais, quand les génocidaires se réfugient au Congo, et se mêlent aux populations civiles déplacées de l’autre côté de la frontière. La tragédie congolaise s’enclenche, une succession de massacres qui peu à peu s’étendent à tout le pays, au rythme des colonnes de réfugiés, des populations chassées par les conflits, d’abord initiés par des puissances étrangères, puis perpétués par des rebelles et des militaires congolais. La succession des carnages, et la complaisance des pouvoirs en place, quels qu’ils soient donne le tournis. Le film souligne la façon dont les anciens miliciens criminels sont intégrés à  l’armée, cela porte même un nom, le brassage. Corruption et indifférence sont à l’oeuvre au niveau national.

Mais ce que le film s’efforce également de mettre en lumière, c’est l’inertie de la communauté internationale face à l’horreur. Au fil des ans, les témoins se succèdent. L’ONU a mis en place une force spéciale chargée du maintien de la paix, appellation ô combien ironique quand on prend conscience de l’état de guerre permanent dans lequel vit le pays. A cette impuissance des soldats de l’ONU s’ajoute le scandale du rapport Mapping, qui liste les massacres et les noms des criminels, mais « moisit dans un tiroir », pour reprendre les termes du Docteur Mukwege.

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L’Empire du Silence, parcourt le Congo, dans le temps et dans l’espace, cartographie la scène d’une tragédie aux accents shakespeariens, en introduit les spectres et les fantoches, et revendique le choc des images, des images d’archives rassemblées et récoltées par le réalisateur, qui font la lumière sur l’inimaginable. Le film fait oeuvre de mémoire, et nourrit la révolte, avec pour ambition d’éveiller les consciences pour contribuer à mettre fin au règne de l’impunité. 

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