Sortie ce mercredi dans les salles belges du nouveau film de Delphine Leherice, Le Milieu de l’horizon, un coming-of-age estival sur fond de fin de l’agriculture traditionnelle, et d’émancipation féminine.
La réalisatrice suisse installée en Belgique Delphine Lehericey revient 6 ans après Puppy Love avec Le Milieu de l’horizon, le parcours initiatique d’un jeune garçon qui va s’émanciper en voyant sa mère et les femmes qui l’entourent revendiquer leur liberté envers et contre tous.
1976. Un été de fournaise et de sécheresse dans toute l’Europe. Dans la modeste ferme familiale, Gus, jeune garçon de 13 ans, sent bien que la chaleur n’affecte pas seulement les animaux ou les champs, mais vient aussi perturber le comportement des adultes qui l’entourent. En quelques mois, il aura définitivement laissé derrière lui l’innocence de l’enfance.
C’est un double mouvement qui se déploie au fil de ces quelques semaines qui vont changer la vie de Gus. D’un côté, son père (impressionnant Thibaut Evrard) voit son monde s’effondrer. Un monde rural, encore lié viscéralement à la terre, qui voit le spectre du profit et du capitalisme planer sur ses champs et ses étables. Le paysan, sommé de rattraper le train de la modernité, s’est lancé dans un élevage intensif (pour l’époque) de poules, qui va précipiter sa chute, et symboliser la dangereuse déconnexion de l’homme et la nature. Le milieu paysan, un milieu d’hommes, perd peu à peu ses repères. Les hommes d’ailleurs sont aux abois dans le film, cherchent leurs marques alors que tout ce qu’on leur a appris de leur place dans la société et de leurs rapports aux autres, et en particulier aux femmes, semble voler en éclats.
Les femmes justement sont quant à elles bien décidées à reprendre leur liberté sensuelle et intellectuelle, physique et politique. Peinant à s’épanouir dans cette ruralité en danger, lasse d’apporter les plats à table et de taire ses sentiments les plus profonds, la mère de Gus (bouleversante Laetitia Casta) observe avec une admiration qui va se muer en adoration le vent de liberté qui souffle sur la vie de son amie Cécile (Clémence Poesy, tout en retenue). De leurs côtés, la grande soeur de Gus et sa meilleure amie ne comptent pas s’en laisser compter et prennent leur destin en main.
Le regard porté par la cinéaste pourrait être cité pour illustrer les notions souvent abstraites de male gaze et female gaze. Ici les comédiennes ne sont pas filmées comme des objets de désir, mais comme des sujets qui désirent. Laetitia Casta, icône sensuelle mondiale, trouve ici un rôle au naturel, de femme et de mère, active et désirante.
Le jeune Luc Bruchez, une révélation, apporte sa vulnérabilité mais aussi sa force et sa bienveillance au personnage de Gus, spectateur du petit théâtre des adultes, mais acteur de sa prochaine révolution. Il incarne avec puissance et subtilité ce moment si particulier où l’on sort de l’enfance sans encore être entré de plein pied dans l’adolescence. Un moment fragile et ténu, sur le fil, qui nourrit le récit de sa dimension d’absolu.
Ce vent chaud, aussi violent que libérateur, souffle sur l’écran grâce à l’image superbe délivrée par Christophe Beaucarne. Tourné en pellicule, le film exsude, plan après plan, la torpeur de cet été tropical. Une force mystérieuse, dévastatrice pousse les personnages dans leurs retranchements – et leur permet de renaître.
Sous ses abords classiques et sa facture visuelle impressionnante, le film, adapté d’un roman suisse de Roland Buti, met en scène en filigrane un moment charnière de l’histoire récente, où les fondations du patriarcat tremblent sous le coup de la libération des femmes, mais aussi de l’avènement d’un capitalisme à outrance qui va broyer le coeur des hommes.
Le Milieu de l’horizon est coproduit en Belgique par Entre chien et loup, et sera distribué par Cinemien. On en reparle très vite.