Nous avons rencontré Laurent Micheli, qui nous parle de son nouveau film, Lola vers la mer, portrait d’une jeune fille transgenre de 18 ans qui doit faire la paix avec le passé et se réconcilier avec son père pour aller de l’avant. Présenté cette semaine au Festival du Film Francophone d’Angoulême, le film met en vedette la jeune comédienne transgenre Mya Bollaers, dont c’est le premier rôle, et le comédien français Benoît Magimel.
D’où vient l’envie de faire ce film?
C’est une double envie. J’avais envie de parler du rapport au père, de retourner dans mes souvenirs, mes propres conflits, et rendre un hommage je crois à la figure du père, à ces relations pas toujours faciles mais qui finalement s’avèrent souvent plus maladroites qu’autre chose. J’avais aussi envie aussi de parler de la transidentité. Etant homosexuel, je suis très sensible à toutes les questions LGBT, et la question trans me semble aussi importante qu’actuelle. J’y vois aussi une belle façon de parler des minorités de manière générale, de leur place dans la société, ou plutôt, de la place qu’elles n’ont pas toujours.
Comme un besoin aussi de contribuer à briser les lignes, les frontières, de tendre à plus de fluidité.
Qui est Lola, votre héroïne?
J’ai essayé d’imaginer le personnage le plus moderne, le plus contemporain possible. J’ai voulu qu’elle soit en elle-même très libre par rapport à ce qu’elle est, mais très entravée par la société, qu’elle dégage une énergie d’héroïne, prête à tout faire exploser, bien décidée à ne pas être une victime. Une jeune fille rebelle, décidée à aller contre, avec l’énergie de ses 18 ans.
Elle cherche sa place dans le monde, un monde pas tout à fait prêt à accepter les personnes comme elles.
Mais je ne voulais pas que Lola soit caricaturale dans sa féminité, je rêvais d’une féminité plus fluide. Même si Lola se considère comme une fille trans, de manière binaire donc, je voulais flouter les frontières du genre telles qu’on les conçoit.
Elle veut être libre d’inventer sa féminité, en somme?
Oui, parce que je trouve qu’aujourd’hui, qu’il s’agisse de féminité ou de masculinité d’ailleurs, c’est quelque chose qui prend du temps à trouver, à inventer pour soi-même, qu’on soit transgenre ou cisgenre. Le mode d’emploi qu’on nous donne est le fruit d’une construction sociale, et chacun devrait être libre d’inventer sa propre façon d’être au monde. Comment peut-on se ré-approprier sa propre féminité, sa propre masculinité? Peut-on même être mouvant en fonction de sa vie, de ses humeurs, de son âge? Il faudrait rendre les choses plus poreuses, et moins catégoriser.
Je voulais aller vers ça avec ce personnage. J’ai été choqué quand le film Lola Pater est sorti. Dans un article, j’avais lu que le réalisateur avait dit à Fanny Ardant qu’une femme trans se distingue par son maquillage et ses ongles.
Mais la féminité, c’est un état d’esprit, un état d’être, pas un costume.
Pour autant, je ne voulais pas non plus que Lola soit un garçon manqué, mais je voulais qu’elle définisse sa propre féminité. Il y a autant de transidentités qu’il y a de personnes trans, et c’est cette personne-là que nous voulions montrer.
Il fallait face au personnage de Lola que celui de son père puisse créer l’empathie. Comment l’avez-vous imaginé?
C’était le personnage le plus compliqué à écrire pour moi. J’étais dans l’archétype au début, et j’ai dû déconstruire le personnage et ses clichés au fil de l’écriture. Peut-être même que c’est ma propre idée de la masculinité et de la paternité que je déconstruisais d’ailleurs! Il fallait appréhender ce que pouvait représenter la paternité, quand on a un enfant trans en particulier. Cela reste complexe, quel que soit le degré d’ouverture du père concerné.
Je ne voulais évidemment pas d’un personnage trop manichéen. Il fallait trouver la dureté, la fermeture, mais aussi rendre compte de sa fragilité face à cette situation, pour que le spectateur puisse partager ses interrogations. Benoît Magimel me semblait très interessant pour le rôle, il est à la fois très masculin, viril, limite macho, et en même temps, il est à fleur de peau. J’adorais ce contraste.
En tant que parent, on se met une pression de dingue, on veut tout réussir, mieux faire que ses propres parents, on part avec un postulat de base beaucoup trop grand. Et parfois, notre enfant nous empêche d’y arriver, d’être le père qu’on a toujours rêvé d’être. Cela crée de la souffrance, évidemment.
Il fallait avoir accès à sa fragilité.
Le film propose à Lola et son père un voyage aussi bien sur la route que dans le temps…
J’avais très envie qu’ils ré-interrogent leur passé, et qu’ils se le ré-approprient, surtout pour le personnage de Lola. C’est presque son conflit principal finalement, faire la paix avec son passé, et l’enfant qu’elle a été. Mya, mon actrice, m’a beaucoup dit sur le tournage que le petit garçon qu’elle avait été lui avait volé son enfance, et je trouve ça tellement fort et émouvant.
C’est un peu ma propre nostalgie aussi que j’ai injectée dans l’histoire. Je trouvais ça beau qu’au fur et à mesure de leur voyage, de leur avancée, on soit de plus en plus dans quelque chose de l’ordre de l’univers mental, du souvenir. Qu’il y ait ce décalage avec le réel, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup dans la vie et au cinéma, quand tout à coup, quelque chose d’invisible surgit, et change la donne, au point parfois de contribuer à régler des conflits. La problématique en jeu ici, c’est que Lola et son père n’ont pas vécu le même passé, ils n’en ont en tous cas pas le même souvenir. C’est ce qui crée le conflit, ils n’ont pas la même lecture de leur histoire. En en confrontant leurs histoires, ils peuvent en réécrire une nouvelle, et jeter de nouvelles bases à leur relation.
Les différentes étapes du road movie permettent aussi de créer le dialogue, de forcer l’intimité?
J’avais envie de provoquer la parole entre ces personnages qui ont des années de non-dits derrière eux. C’était un bel artifice narratif pour créer le dialogue. Je voulais montrer la violence de leur rapport, une violence qu’avaient d’ailleurs mes deux acteurs en eux. Je voulais saisir l’électricité de ces confrontations. Jusqu’à l’affrontement final.
C’est aussi une violence que connaissent les personnes trans, au quotidien. Oui, notre société est progressiste. Pour autant, on constate une vraie recrudescence des agressions homophobes et transphobes. Il faut alerter sur les droits qui se perdent, pas que sur ceux qui sont acquis.
C’est une violence de système, une violence sociétale, et le prisme de la famille, qui est elle-même un système, permet de décrire, de mettre en scène cette violence dans un microcosme narratif.
Pour incarner cette minorité essentiellement absente des écrans, il fallait une actrice elle-même issue de cette minorité?
Dans notre cas, ça demandait un certain courage, parce que Mya n’avait jamais joué. Elle n’avait aucune technique, et pour autant, elle devait incarner une histoire très proche de la sienne, toucher des endroits hyper fragilisants pour elle. En tant que réalisateur, je ne cache pas que ça a pu être un peu angoissant! Mais c’était un pari que je voulais relever, avec Mya. C’était notre pacte. On savait pourquoi on était là, tous les deux.
Mya, c’est mon option de mise en scène la plus forte. C’est ça qui a fait autorité tout au long de l’écriture, du tournage.
C’est une question très large, qui fait débat. Je n’ai personnellement pas fini de répondre à cette question. Mais moi, j’avais besoin de raconter cette histoire de cette façon, avec cette actrice. C’est évidemment militant, ce choix. Cela vise à une ré-appropriation par les minorités des histoires qui leur appartiennent. Cela ne doit pas forcément faire autorité ad vitam aeternam, mais c’est important aujourd’hui que des personnes trans, ou encore racisées, aient des premiers rôles au cinéma. De beaux premiers rôles.
Même si le cinéma est un art, et pas juste de la politique, c’est un travail important à mener aujourd’hui. Montrons ceux que l’on n’a pas l’habitude de voir. Et même que parfois on ne veut pas voir.
Quelles étaient vos inspirations pour ce film?
Il n’y a pas de film en particulier, mais plutôt un imaginaire californien, les voitures, les routes, les lumières, les ciels. Bon, évidemment, ramener ça à l’échelle de la Belgique, ce n’est pas une évidence, mais je trouve que parfois on y est.
Et puis le skate, ça ramène surement au cinéma américain des années 90, Larry Clark par exemple. C’est un cinéma qui m’a toujours intrigué, comme les photos de Nan Goldin. Des univers marginaux traités de façon intime, où les photographes font partie de la vie de leurs modèles. Cette intimité, ça me plait. On est dans la nostalgie, surement, et dans un plaisir esthétique de l’époque. J’ai aussi beaucoup aimé la douceur et le côté brut d’un film comme American Honey d’Andréa Arnold.
Comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur Olivier Boonjing?
Il fallait travailler sur le mouvement. On est dans un road-movie, on va donc de l’avant, tous comme les personnages, en route vers leur nouvelle vie. Nous voulions aussi travailler sur la couleur, pour contourner ce que l’histoire aurait pu avoir de sordide. Je voulais de la vie, de la joie, de la lumière à l’écran.
Les personnages sont en train de se libérer de leur fardeau, ils vont vers la lumière.
Et puis il y avait le 4/3. J’avais très envie de tester ce format, avec deux personnages. Je voulais les rapprocher, les scruter, réduire le champ de vision du spectateur, forcer son regard et lui éviter de se perdre dans les décors, en quelque sorte. Et puis ça isole un peu les personnages aussi. Finalement, ils sont tout le temps l’un à côté de l’autre, mais rarement dans le même cadre, sauf à la fin.
Il faut dire aussi que le découpage et le montage du film étaient très conditionnés par le fait de travailler avec une actrice débutante. On testait beaucoup sur le plateau, pour se laisser de l’air au montage.
Qu’attendez-vous de la diffusion du film?
Je voudrais que les gens voient le film pour ce qu’il est. On nous a beaucoup parlé de Girl depuis que le film est sorti l’année dernière. Evidemment, on voit tellement peu de personnages trans à l’écran, que quand deux films sortent coup sur coup, et belges en plus, les gens le remarquent. Cela se comprend. Mais ce qui est dingue, c’est quand on nous demande pourquoi faire un autre film. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire? Un film sur le sujet, ça suffit?
J’ai entendu: « Oh, il y a eu Girl l’an dernier, revenez dans 10 ans. »
Mais il ne peut pas y avoir qu’un seul récit de la transidentité, quelles que soient les qualités de Girl!
C’est quand même complètement transphobe. Personne n’a jamais dit: « Ah ben non, Lelouch a déjà fait un film d’amour l’année dernière, revenez dans 10 ans! ». Girl aurait dû ouvrir des portes, pas en fermer!
Aujourd’hui, j’espère donc que le film rencontrera un large public, et surtout, continuera à ouvrir des portes.
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