Laurent Micheli, « Even Lovers Get the Blues »: « Plonger dans l’intime d’une génération »

Even Lovers Get the Blues, le premier long métrage de Laurent Micheli, que nous vous présentions à l’occasion de sa projection au Be Film Festival, sort ce mercredi 30 août. Rencontre avec son réalisateur, qui se confie sur cette extraordinaire expérience. 

Bonjour Laurent, d’où venez-vous?

Je suis né à Bruxelles. Je fais du théâtre depuis l’âge de 7 ans, je me suis construit avec le théâtre, c’est un univers qui m’a toujours accompagné. J’ai fait des études de comédien à l’INSAS, j’ai joué pendant presque dix ans, j’ai fait de la mise en scène aussi. C’est un projet de mise en scène de théâtre qui m’a attiré par hasard vers le cinéma. Ca a été une révélation. Je me suis senti à ma place, à cette place de réalisateur. Du coup j’ai fait dans la foulée une formation en écriture de scénario à la Fémis.

Si vous deviez présenter le film en quelques mots ?

Je dirais que c’est un film choral sur une bande de trentenaires qui traite de questions d’amour et de sexualité de manière un peu frontale et qui plonge dans l’intime d’une génération.

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Les personnages se demandent comment se libérer à travers le corps, l’amour, l’amitié ?

C’est effectivement une quête de liberté qui motive ces personnages, une quête pour essayer d’être au plus proche de soi malgré ses propres empêchements, ses propres démons, ses propres contradictions. Je remarque qu’une partie de ma génération a vraiment du mal avec les questions amoureuses et sexuelles. C’est surement dû au libéralisme qui s’immisce jusque dans la sphère de l’intime, des questions amoureuses et sexuelles… D’autant que les possibilités sont de plus en plus grandes à ce niveau-là, on rencontre des gens de plus en plus facilement, et on peut encore plus facilement se perdre… J’ai aussi l’impression qu’il y a une sorte  d’état latent semi-dépressif chez une grande partie de ma génération. On se cherche beaucoup. Je voulais parler de tout ça, en créant des archétypes de personnages amoureux, et les observer dans leur quête et leurs questionnements.

On parle de sexualité, mais c’est aussi un film sur le couple…

Le film parle beaucoup d’amour, ou d’absence d’amour. Le couple n’est pas forcément une situation naturelle pour tout le monde. Est-ce que le couple est une construction sociale ? Est-ce qu’on est tous faits pour être en couple ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres possibles tout aussi valables ? C’est quelque chose à déconstruire, non ? Ce sont des questions dans  l’air du temps, on parle beaucoup de polyamour en ce moment par exemple. Et puis parler d’amour, de couple, c’est aussi parler de notre place dans la société.  J’ai longtemps vécu le couple comme un dictat, l’impression que ne pas être en couple, c’était ne pas exister aux yeux de la société, surtout pour les filles. Mais est-ce que ce ne sont pas des schémas que l’on nous impose, finalement ? Et puis finalement, le couple, c’est aussi une aventure, vivre avec l’altérité, c’est le challenge ultime. C’est aussi une notion qu’il m’intéressait de déconstruire, comme dans le couple Leo/Louis, où c’est le garçon qui rêve de paternité, quand la fille elle rêve d’indépendance, de voyages…

Il y a une vraie liberté dans la forme, entre la caméra à l’épaule et les scènes quasiment chorégraphiées…

Je voulais que la liberté formelle se fasse l’écho de la recherche de liberté des personnages. En fait, j’aime les décalages, les décrochages du réel, ses petites poétisations. Et je ne voulais pas que nous nous encombrions avec un dispositif hyper lourd.

C’est une approche très pop, post-moderne, où on voit la patte de l’auteur, tout en construisant l’empathie avec les personnages

C’est vrai que plus jeune, j’ai été très impressionné par le cinéma de Christophe Honoré par exemple, les films chantés comme Les Chansons d’Amour me parlent, tout comme des films comme La Guerre est Déclarée de Valérie Donzelli où là aussi le chant fait irruption dans un réel tragique. C’est aussi une comédienne d’ailleurs à la base. Il y a une vraie liberté de ton. Je crois que quand on n’a pas fait d’école de cinéma, on est plus libre.

Le film se déploie sur plusieurs mouvements…

J’avais envie de travailler avec les saisons, débuter avec un mouvement plus sombre, plus introspectif en hiver, souligner le côté un peu anxiogène de la ville, dans une atmosphère très nocturne, puis arriver à l’été, être témoin de la renaissance, des corps qui se libèrent des vêtements, une sensation de légèreté, en phase avec la nature. On a beaucoup travaillé là-dessus au montage son pour créer de vrais contrastes, pareil à l’étalonnage. Mettre les personnages à l’épreuve des éléments, c’est un truc qui me plaisait. Evidemment, avec un budget légèrement plus élevé, on les aurait mis sous la pluie, sous la neige ; là c’est un peu plus subtil (sourire).

Justement, on voit beaucoup Bruxelles à l’écran, et c’est une ville qu’on voit généralement peu au cinéma, comment l’as-tu abordée ?

En fait, c’est une question que je ne me suis posée qu’à moitié. La présence de Bruxelles ressort très fort dans le film, mais c’est surtout parce que je suis Bruxellois ! J’ai surtout eu envie de parler des gens que je voyais autour de moi. Comme c’est un film qui nait aussi des acteurs, j’avais envie de les placer dans un contexte que l’on partage eux et moi, dans leur environnement. J’adore cette ville, et j’avais envie de la montrer dans ce qu’elle a de plus cinématographique. C’est une ville tellement diverse ! 

 

Even Lovers Get The Blues, Prix de la Critique lors du dernier Festival de Namur, sort ce mercredi 30 août en Belgique. 

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