Après la Présidence attribuée à l’électrique duo formé par Patar & Aubier, champions du cinéma d’animation, les Magritte du Cinéma viennent d’annoncer que le Magritte d’honneur 2019 serait remis au cinéaste belge Raoul Servais, première Palme d’or du cinéma belge en 1979. Il succède ainsi à Sandrine Bonnaire, André Dussolier, Vincent Lindon, Pierre Richard, Emir Kusturica, Costa-Gavras, Nathalie Baye et André Delvaux.
Première Palme d’Or du cinéma belge, Lion d’Or à Venise, inventeur de la servaisgraphie… Raoul Servais a marqué de son empreinte le cinéma d’animation belge et mondial. Aujourd’hui âgé de 90 ans, le cinéaste déborde encore d’énergie et de projets. Il a ainsi récemment publié L’Eternel Présent, roman dystopique qu’il a lui-même illustré, et une aile permanente lui étant dédiée a récemment ouvert au Mu.ZEE à Ostende.
Le teaser du DVD récemment édité par le Cinematek qui a remastérisé 14 de ses courts métrages donne une idée de l’étendu de ses talents et de sa créativité.
Raoul Servais est né en 1928 à Ostende. Son enfance s’écoule, heureuse, dans cette grandiose ville victorienne, tout à la joie de jouer avec ses crayons de couleur, et à la fascination de découvrir les petits dessins animés de Felix le Chat ainsi que les films de Charlie Chaplin projetés par son père dans la résidence familiale sur un petit projecteur de table. Mais cette félicité est brutalement interrompue par la guerre, qui le fait passer de l’opulence à la peur et la misère, et qui viendra hanter son oeuvre avec la régularité d’un métronome.
Après la guerre, il intègre les Beaux-Arts de Gand, et sa spécialisation en peinture monumentale l’emmène sur les pas de René Magritte, qu’il accompagne lors de la réalisation de sa fresque géante, Le Domaine Enchanté, pour le casino de Knokke. Avec son ami le peintre Maurice Boel, il relance le Ciné-Club d’Ostende, une véritable institution créée avant la guerre par le cinéaste Henri Storck et le peintre surréaliste Félix Labisse. Il réalise son premier film, Les Lumières du Port, en 1953 avec l?aide financière et logistique de sa famille et de ses amis. Le film remporte le Grand Prix du Festival du Film Belge, lui confirmant ainsi que là est bien sa voie…
Il enchaîne alors les oeuvres et les prix. Tout au long de sa carrière, il remet sans cesse en question son art, développant de nouvelles techniques (les éléments découpés de Fausse Note, l’hommage à la peinture expressionniste flamande dans Pegasus), jusqu’à l’invention de la servaisgraphie, « un système de trucage permettant d’une part l’incrustation de personnages filmés en vues réelles dans des décors de création graphique et, d’autre part, un système augmentant la qualité de ces décors », lors de la réalisation d’Harpya, court métrage qui lui valut sa Palme d’or. Il développa ensuite la technique avec son seul long métrage Taxandria, film devenu culte sorti en 1994, qu’il perfectionna pour l’amour de l’art dans Papillons de Nuit.
L’éternel jeune homme apparaissait récemment dans le documentaire La belge histoire du Festival de Cannes, chevauchant son scooter à trois roues sur les routes de Flandres, et y présentant sa Palme d’Or précieusement conservée. Son film Harpya avait d’ailleurs l’insigne honneur d’être à nouveau programmé sur la Croisette en 2017 à l’occasion des 70 ans du Festival de Cannes. Dans Raoul Servais, mémoires d’un artisan, il se confie sur son « passage » au digital, qui le fait redevenir débutant et s’en remettre avec curiosité et bienveillance à la maîtrise de ses assistants. Alors qu’il travaille encore aujourd’hui sur une série de films pour la télévision, il y confiait regretter néanmoins l’odeur et le toucher de ses vieilles feuilles de cellophane. En 2015, son dernier film en date, Tank, était primé au Festival de Valladolid.
Rendez-vous le 2 février prochain pour cet hommage qui s’annonce chargé en émotion.