En Europe, trois festivals dominent l’actualité du 7e Art. Cannes, bien sûr, home sweet home des frères Dardenne, mais aussi de Bouli Lanners qui s’y sent désormais comme un merlan dans la Méditerranée.
En février, le monde du cinéma n’a d’yeux que pour Berlin que sont plutôt en train de s’approprier nos amis du nord du pays. Après le passage remarqué de Rundskop il y a quelques mois, on ne serait pas étonné d’y retrouver bientôt Nic Balthazar et son très attendu Tot Altijd.
Et puis il y a Venise : fameux pour son cadre mirifique et son palmarès fascinant qui excelle dans le grand écart entre cinéma d’auteur et films plus commerciaux, mais très ambitieux. Après Ang Lee et Quentin Tarantino (qui avait couronné son ex-copine Sofia Coppola), c’est Darren Aronofsky présent l’an dernier en compétition avec Black Swan (qui n’a obtenu qu’un prix mineur) qui sera bientôt le président du jury.
Du coup, on se prend à regretter que Le Gamin au Vélo n’ait pas patienté jusqu’à Venise pour se présenter au public, puisque Aronofski est sans doute le fan ultime des frères Dardenne: il suffit pour s’en convaincre de regarder le plan porté de The Wrestler où Mickey Rourke, de dos, marche à travers les coulisses du supermarché qui l’emploie, un bonnet en plastique sur la tête : la séquence est directement empruntée à Rosetta. Aronofski ne s’en est d’ailleurs jamais caché: sa découverte de l’œuvre des Dardenne a radicalement changé sa vision du cinéma. À ses côtés, on retrouvera notamment le réalisateur français André Téchiné, son collègue américain Todd Haynes et l’ex-leader des Talking Heads David Byrne. Cette année encore le plateau vénitien est admirable avec les nouveaux films de Georges Clooney, Roman Polanski, David Cronenberg, Abel Ferrara, William Friedkin, Todd Solondz, Steven Soderbergh, Al Pacino (à la mise en scène) et… Madonna. Entre autres…
Mais si les frères ont choisi Cannes, une brochette de productions belges sera néanmoins sur la ligne de départ en Italie, entre le 31 août et le 10 septembre. En tête de liste, La Folie Almayer de Chantal Akerman. Produit chez nous par Artemis, le dernier film en date de l’immense Chantal sera une des attractions de la sélection officielle de cette 68e édition du festival de Venise. Le film sera présenté hors compétition. Il s’agit là d’une merveilleuse nouvelle pour la réalisatrice qui a tourné cette adaptation du tout premier roman de Joseph Conrad en Asie du Sud Est, fin 2010. Longtemps annoncé comme l’oeuvre ultime de Chantal Akerman, La Folie Almayer est surtout son premier long métrage de fiction pour le cinéma depuis 2004 et Demain, on déménage. Totalement investie dans le tournage malgré des conditions parfois difficiles, il semble que la réalisatrice a pris un immense plaisir à composer cet univers et n’envisage plus de mettre un terme à sa carrière. En attendant de reprendre la direction des plateaux, elle ira défendre son travail devant la presse internationale dans la lagune vénitienne.
Comme Cannes, la Mostra propose depuis 2004 une prestigieuse section parallèle baptisée « Horizons ». L’occasion de sortir des sentiers battus, de présenter des œuvres formellement plus aventureuses et aussi de nombreux premiers films. C’est précisément sous ce double étendard que sera projeté L’Envahisseur de Nicolas Provost, le destin tragique et angoissant d’Amadou, clandestin africain prêt à tout pour échapper à sa condition qui débarque à Bruxelles dans l’espoir d’y trouver une vie décente. Mais la réalité est différente: seules la misère et l’exploitation l’y attendent. Car nous ne sommes pas dans un conte de fées : L’Envahisseur est réaliste, dur, à l’image de notre temps. Pour son réalisateur, épaulé par Versus à la production, il s’agit d’un premier long métrage après avoir tourné dix-sept (17 !!!) courts, ponctués par Stardust starring John Voight, Dennis Hopper et Jack Nicholson. Preuve que notre homme n’a peur de rien et qu’il est un Artiste avec un grand A, passionné et prêt à tout pour s’exprimer.
Un troisième film coproduit en Belgique par Tarantula a été sélectionné parmi les douze films retenus pour la 8e édition des Venice days qui se concentrent sur le cinéma indépendant: le premier long métrage de John R. G. Shank, né en 1977, aux États-Unis et qui a fait de la Belgique son pays d’adoption depuis qu’il a intégré en 96, l’Institut des Arts de Diffusion à Bruxelles en 1996. Il oeuvre aujourd’hui chez nous et jouit d’ailleurs de la double nationalité.
Pour L’Hiver Dernier, John a eu le nez fin en confiant le rôle principal du film à Vincent Rothiers, un des jeunes acteurs français les plus intenses et prometteurs de sa génération. Le rôle? Celui de Johan, 25 ans qui a repris la ferme de son père et y vit seul. Du matin au soir, il travaille, prenant soin de ses bêtes. Mais le labeur et la vie sont pénibles. Alors que les terres s’enfoncent dans l’hiver, Johan perd pied. Il refuse de voir les difficultés financières de son exploitation, et tente, au-delà de la raison, avec son corps et ses mains, de tenir ce qui ne peut être retenu.
Trois films de chez nous, fort différents, présentés dans trois sections fort différentes à Venise : cela fait, trois bonnes raisons de se réjouir et de décompter les jours qui nous séparent de ce festival mythique. Il va de soi que nous reviendrons plus longuement sur les œuvres sélectionnées. Il n’y a pas de mal à se faire (très) plaisir…