« La Mesure des choses »: après l’hubris

"La Mesure des Choses"

Avec La Mesure des choses, son nouveau documentaire, Patric Jean propose une réflexion à la fois urgente et poétique sur la démesure de l’homme, l’hubris d’une humanité qui aurait outrepassé les limites de la terre et semé le désordre dans le monde. 

Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. La Mesure des Choses est dédié « à la jeunesse qui se soulève ». Et il faut dire qu’elle en a des raisons, cette jeunesse, de se soulever…

Mais revenons au commencement. La film débute avec de minuscules fourmis, puis nous emmène à la cime d’immenses arbres. Le très petit et le très grand se côtoient. De quoi s’interroger sur le sens de la mesure. Ou faire écho au mythe d’Icare, que son père Dédale encourage à ne voler ni trop bas, ni trop haut.

Contée par Jacques Gamblin, l’adresse de Dédale à son fils va servir de fil d’Ariane à la réflexion menée par Patric Jean. L’inventeur grec met en garde son fils, et à travers lui, l’humanité, contre le danger qui les guette, source annoncée de catastrophes. Ce danger, c’est l’hubris, autrement dit, la démesure de l’homme face aux Dieux (que l’on pourrait aujourd’hui « remplacer » par l’éthique) et à la nature.

L’homme, enivré de pouvoir, a fait du monde son esclave. Mais le monde n’a pas dit son dernier mot, et sa vengeance est en marche.

Derrière ce décor mythologique aux accents philosophiques, la réalité scientifique rattrape l’humanité. Ce que certains appellent l’anthropocène, soit une ère géologique marquée par l’action de l’homme comme force de changement sur terre, est caractérisé par une dégradation de plus en plus nette de la planète.

Au fil d’une promenade en Méditerranée, le cinéaste écoute des pêcheurs, des migrants, des océanographes, des sauveteurs, autant de voix inquiètes qui creusent le tombeau d’une humanité délirante, aveuglée par son hubris, coupable d’avoir dénaturé la nature, et déshumanisé une partie de ses enfants.

Les jeunes hommes croisés sur le port de Tanger crient leur faim et le sentiment permanent d’humiliation qui ne les fait rêver que d’une seule chose, partir. « Quand ta maison brûle, tu sautes dans la mer. » Les pêcheurs qui les côtoient constatent jour après jour la mer qui se vide de ses richesses, tandis qu’une scientifique alerte sur la prolifération des méduses suite au réchauffement climatique, qui pourrait bien pousser quelques 500 millions de personnes à s’engager sur les routes souvent funestes de la migration.

« On a échappé à une souffrance pour venir en trouver une autre ». Qu’ils soient parqués dans les camp de réfugiés ou Moria, ou qu’ils s’épuisent dans les champs du « jardin de l’Europe », comme on appelle le Sud de l’Espagne, ces hommes, ici, qui ont fui la misère en quête d’une plus grande humanité, ne peuvent que déchanter. Et soulignent les évidences, et nos folies. Quand on paye une tomate moins d’un euro le kilo, comment peut-on payer celles et ceux qui la ramassent?

Patric Jean alterne ces témoignages, bouleversants, les conseils inspirés de Dédale à son fils, et des tableaux visuels à la fois sublimes et profondément inquiétants, qui par leur nature profondément géométrique et souvent symétrique, porteuse d’ordre et d’agencement dans le désastre, font écho au désordre du monde, au carnages en cours des différents champs de bataille de l’humanité sur lesquels s’abat la démesure et son cortège de drames, la question migratoire, la catastrophe écologique, les dérives du capitalisme.

Le film est à découvrir ce mercredi 6 octobre en Compétition Officielle au Festival International du Film Francophone de Namur.

 

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