Rencontre avec le comédien français Karim Leklou (Les Géants, Bac Nord, Un monde, Hippocrate), à l’affiche du film d’Eve Duchemin, Temps mort, sorti cette semaine.
Comment décririez-vous le film, en quelques mots?
C’est un temps mort qui est un temps de vie. C’est un film qui amène une autre vision du film carcéral. Souvent on y parle faits criminels, là on y parle humanité. Le film ne traite pas les personnages comme des détenus, mais comme des hommes. C’est un film qui parle de sortie, très peu de prison en fait, si ce n’est dans la façon dont elle existe à l’intérieur même des personnages même quand ils sont à l’extérieur. Les dommages aussi pour toutes les vies autour de ces prisonniers.
Le scénario m’a beaucoup marqué, et la rencontre avec Eve, qui vient du documentaire et sait de quoi elle parle, tout en étant une superbe directrice d’acteur, a achevé de me convaincre.
Qui est Anthony? Qu’est-ce qui le meut, quelles sont ses contradictions?
C’est quelqu’un qui a un manque affectif très fort. Il a un enfant à l’extérieur qu’il ne voit pas grandir. Pourtant sa famille est très présente. Souvent, Eve me parlait de la notion de meute, il y a quelque chose de cet ordre autour de lui. J’ai joué avec des acteurs magnifiques en plus, je me suis régalé. Anthony, c’est quelqu’un qui essaie de lutter contre ses démons. On peut même se demander si sa place est vraiment en prison, tant ce dont il a besoin est surement avant tout d’un traitement. Le personnage essaie de faire face à sa vie et de rattraper le temps perdu, mais est-ce possible en 48h? Avec cette personnalité?
Le plus grand défi par rapport à ce personnage?
Maintenir une continuité, on a travaillé physiquement pour le rôle, j’ai pris un peu de poids. C’était le corps d’un homme sous médicament. Et puis il fallait garder la continuité d’un personnage qui a des états émotionnels très forts, et très variants. Il fallait trouver sa cohérence, tout en allant dans des endroits parfois extrêmes. Arriver à créer la sensation de meute familiale aussi.
Comment avez-vous préparé le rôle?
On a beaucoup travaillé autour du scénario avec Eve. Je lui ai beaucoup pris la tête je crois. J’aime beaucoup l’objet scénaristique, qui me donne vraiment une première vision de l’incarnation.
Et puis je l’ai dit, mais Eve est une magnifique directrice d’acteur, elle est avec vous, c’est physique, elle vous pousse. Elle a été la garante de la justesse sur l’ensemble du parcours du personnages, alors que c’était dur de l’emmener tous ces états.
Et puis Eve a fait des répétitions, ce qui a permis de créer un sentiment de proximité, de famille. C’est compliqué à faire surgir quand on n’a jamais rencontré les partenaires de jeu. Je me suis senti très à l’aise quand j’ai dû jouer. Comme c’était trois personnages, et trois histoires distinctes, on avait chacun un temps court de jeu, deux semaines, deux semaines et demi, il faut être tout de suite dans l’action. Tout de suite entrer dans les scènes. Les répétitions m’ont beaucoup aidé.
Quelle était votre ligne directrice, qu’est-ce qui vous a guidé?
Je voulais d’abord faire le travail du corps, me sentir dans un corps qui était un peu différent du mien. Et puis je me suis dit que je voulais jouer beaucoup l’instant T. C’était très cadré pour les dialogues, mais je voulais accéder à un sentiment de liberté dans le jeu, jouer avec ce que me donnaient mes partenaires. Il fallait être dans l’instant présent, pas fabriquer, mais incarner, être sur le moment. Eve n’hésitait pas à bouger les scènes en fonction de la réalité du plateau, elle était prête à bousculer son écriture pour qu’on puisse accéder à un sentiment de vraisemblance et de vérité.
Qu’est-ce que vous trouvez de plus fort en tant que spectateur dans le film?
J’ai pris tellement de plaisir à découvrir le travail d’Issaka et Jarod. L’humanité qui se dégage d’eux m’a beaucoup touché. Je pense qu’on peut tous être touché par la problématique de la prison, il s’agit de pas grand chose en fait, un pouvoir politique qui change… On peut tous un jour passer par cette case.
L’impact mental que ça a m’a bouleversé. J’était très heureux de trouver un film qui traite les hommes comme des hommes, pas comme des détenus, qui ne traite pas la prison comme un objet de fantasme, et s’intéresse à la réalité sociale, la réalité humaine derrière les détenus. Ca interroge sur notre société. Mon personnage se sent agressé par le monde extérieur, plus que par la prison. Le film soulève de vraies questions sur le sujet. Ce traitement très réaliste, ça m’a touché.
Comment choisissez-vous vos rôles?
Le scénario, d’abord. C’est difficile d’expliquer pourquoi, les films épousent votre vie… Ensuite on se demande: est-ce qu’on se sent capable de défendre un rôle, est-ce que ça nous parle, est-ce qu’on a envie de s’inscrire dans ce film? Je n’ai pas de ligne directrice stricte, je suis très curieux d’explorer des univers différents.
Quels sont les artistes ou les oeuvres qui vous nourrissent, vous inspirent?
C’est étrange, parce qu’il y a bien sûr des oeuvres de cinéma ou de littérature, mais c’est aussi la société qui m’inspire. J’aime m’inscrire dans mon époque, aborder des thématiques auxquelles je suis sensible. C’est un mélange entre l’art et la vraie vie.
Quels sont vos projets?
Pour la France de Rachi Hami avec Lubna Azabal vient de sortir en France, pas encore sorti en Belgique. Je suis également à l’affiche de Goutte d’or de Clement Cogitore, C’est mon homme de Guillaume Bureau, et puis je serai dans Vincent doit mourir de Stephan Castang, qu’on découvrira à Cannes, qui est coproduit par Frakas et Gapbusters en Belgique. L’histoire d’un gars que tout le monde veut tuer, mais personne sait pourquoi, avec Vimala Pons.