L’Hiver Dernier, c’est d’abord un cadre, une région qu’on n’identifie pas au premier regard. Surtout, nous les petits Belges qui n’avons pas forcément été traîner là-bas. Le paysage est un personnage à part entière par sa beauté exceptionnelle, et sa formidable ampleur. John Shank a tourné son film dans l’Aubrac, un vaste plateau d’environ 800 km² qui s’étale sur trois départements (Cantal, Lozère et Aveyron) au sud du Massif Central, donc.
« J’ai découvert l’Aubrac grâce à ma femme et à Vincent Rottier qui m’ont dit d’aller voir cette région, qu’elle collerait parfaitement à ce que je voulais raconter et montrer. J’ai fait des repérages tout autour du Massif central et en arrivant là j’ai été frappé par la splendeur des lieux, mais aussi par l’architecture, ces vieilles bâtisses qui portent en elles l’existence de plusieurs générations, un enraciment, une nature très sauvage. Et puis, on a été accueilli très chaleureusement. Les habitants nous invitaient à venir prendre un café, discutaient, puis invariablement finissaient par nous raconter leur histoire. L’histoire du film, ces gens-là la vivent concrètement au quotidien et il devient vite évident que c’est là que nous devons tourner parce que tous les paramètres sont réunis. L’histoire a vraiment trouvé sa maison. Ce film aurait pu être tourné en Ukraine, en Pologne ou aux États-Unis, mais au final, il est lié à l’Aubrac et c’est parce qu’on s’est installé là que le film ressemble à ce qu’il est… »
Ce qu’il est… Un drame social? Un drame humain ? Une odyssée? Un western? On imagine bien cette lutte de fermiers et de propriétés allant à vau-l’eau, transposée dans l’Ouest américain au 19e siècle.
« Effectivement, le personnage principal est une espèce de figure de lonesome cowboy, mais ça reste assez doux. Je n’ai pas été très loin dans cette direction, je n’ai pas pris sciemment le western pour le distordre. En même temps, les choses constitutives du western sont là : le rapport à la terre, un ennemi plutôt invisible, quelque chose contre quoi il faut se battre, un homme seul, une communauté… Mais c’étaient des choses qui étaient là bien avant que je pense au genre du western. Les références sont plutôt pour moi ailleurs, fondamentalement. »
Outre la présence de Vincent Rottier, icône qui, par la force de son interprétation et la nature du scénario, porte le film sur ses épaules, l’autre élément essentiel que tout le monde souligne est la splendeur de l’image.
« Hishame Allaouie (le chef opérateur) et moi, nous travaillons ensemble depuis des années. On a fait mes courts de cette façon, en opérant une démarche picturale, parfois en envisageant d’abord l’image, parfois en privilégiant la narration. L’idée est souvent de raconter des évènements relativement durs et âpres, de façon sèche et contenue. Mais en cherchant une ampleur dans sur l’écran. Finalement, l’histoire de l’Hiver Dernier est assez violente, mais j’avais envie qu’elle soit beau. On me dit régulièrement que le film est magnifique d’un point de vue photographique ou pictural. Mais ce n’est pas que la mise en images qui est saisissante, c’est aussi l’univers dans lequel vit le héros. C’est d’ailleurs une partie de ce que le film raconte. Dans un monde d’une stupéfiante beauté, des personnages se débattent au milieu de transformations radicales et inéluctables, car dictées par un système qui leur échappe. C’est ça le vrai sujet.
L’image, on l’a bâtie à trois : le chef opérateur, la chef décoratrice du film et moi-même. Il est impossible de faire une belle lumière sans un décor juste. Tout comme le décor n’apparaîtra pas juste si la lumière n’est pas bien dedans. Tout ça, c’est, on le construit vraiment ensemble. »
L’hiver dernier n’est pas un film moderne. C’est une œuvre intemporelle qui évoque un certain cinéma rugueux des années 70. Sans surprise il a été tourné de façon classique, en 35mm. On l’imagine très mal autrement.
« J’ai écrit L’Hiver Dernier en pensant au 35mm : c’est le seul support qui pouvait vraiment soutenir le film. Tout comme un peintre décide de faire une aquarelle alors qu’un autre choisira l’huile. On ne raconte pas la même chose, on ne travaille pas la même matière. On peut prendre un même sujet, une même figure, par contre la sensation qu’on donne au spectateur est différente. On loue aujourd’hui, à raison, la qualité de l’image numérique, mais je reste persuadé que ça influe sur le genre de films qu’on peut faire nettement plus qu’on ne veut le croire. Ce n’est pas tellement une question de qualité, c’est une question de nature. Le cinéma va peut-être maintenant devenir vraiment différent, il y a des choses qu’on ne pourra plus faire, parce que ça ne reposera plus sur ce support, sur sa texture, sur son grain, sa matière, sur son côté physique. Je n’ai rien contre l’arrivée de nouvelles technologies, mais elles ne permettent pas la même chose. C’est une fausse idée. Elles permettent autre chose. Je pense que le spectateur ne recevrait pas autant et surtout très différemment le film s’il avait été tourné en numérique. »
Le film est travaillé et écrit comme des successions d’images, il avance en faisant confiance à la narration picturale. C’est un film destiné à la salle, à cette expérience-là. La pluie, le vent, le soleil qui se couche, le visage, les mains ne sentent pas, ne racontent pas la même chose en vidéo qu’en 35mm. Je ne pense pas être passéiste ou conservateur, mais je ne crois pas non plus être issu de nulle part. J’ai des liens au passé, il y a des choses qui m’ont été transmises, données et que je me sens appelé à reconnaître et pour certaines de continuer à les porter. Le 35mm, la pellicule au cinéma en fait partie.
Ce sont des choses auxquelles je tiens. »