Joely Mbundu: rêver en grand

On a rencontré Joely Mbundu, la jeune héroïne de Tori et Lokita, le nouveau film des frères Dardenne qui sort cette semaine dans les salles belges. Elle a l’irresistible « irrévérence des jeunes filles », pour citer Lola Lafon, cette spontanéité toute particulière, et cette admirable capacité à rêver en grand et se projeter. Elle se confie sur cette expérience déterminante, et sur ses belles ambitions. 

Bonjour Joely, pouvez-vous vous présenter en quelques mots?

Je m’appelle Joely, j’ai 17 ans,  et je veux faire du cinéma depuis que je suis adolescente! Tout a commencé il y a trois ans, j’ai rencontré une jeune fille avec qui j’avais des amis en commun. Elle était dans une école de cinéma à Bruxelles, et cherchait des comédien·nes pour son film de fin d’année. J’ai travaillé avec elle, puis on est devenues amies. C’est la première, et la seule personne auprès de laquelle je m’étais confiée à l’époque. Je savais que je voulais performer, être sur scène, danser, chanter, jouer. Mais je ne savais pas exactement ce que je voulais faire. Cette occasion m’a poussée à devenir actrice. Je la remercie, car c’est elle qui m’a motivée, m’a donné confiance en moi.

Pendant des mois, j’ai épluché les petites annonces, envoyé des messages, cherché des castings, j’ai peut-être même harcelé certaines personnes (rires). Sans grand succès, jusque’à ce que mon amie tombe sur le casting pour le film des frères Dardenne.

Quels sont vos modèles, les artistes qui vous inspirent?

J’admire beaucoup Taraji P. Henson, et en particulier le film Hidden Figures de Theodore Melfi. Et puis Marion Cotillard aussi. Je l’avais trouvé tellement cool dans Taxi! Côté hommes, j’adore Robert Downey Jr et Denzel Washington.

Et puis je suis passionnée par les blockbusters, Marvel, c’est toute mon enfance, ce sont des films qui m’ont permis de m’évader quand j’en avais besoin, de quitter un peu la réalité.

Que saviez-vous du cinéma des frères Dardenne?

Je n’en savais pas grand chose en fait, je n’avais pas conscience de ce qu’ils représentaient. Quand je l’ai dit à ma mère, avant d’aller au deuxième casting, elle m’a dit: « Mais Joely, c’est pas rien ça enfin! ». C’est là que j’ai compris…

Tori-Et-Lokita-Christine-Plenus
« Tori et Lokita » @Christine Plenus – Les Films du Fleuve

Comment se sont passés les castings?

Pour le premier casting, j’étais en panique totale. Quand je suis arrivée, je me disais: « Mais qu’est-ce que je fais ici, laissez-moi rentrer à la maison! ». Je stressais comme une dingue, mais je crois que finalement ça s’est bien passé. Même si je stressais, j’étais entièrement présente. Je me disais que même si je n’avais pas le rôle, ce serait une magnifique expérience. Et puis un non, c’est un pas de plus vers le oui. J’étais motivée à fond en fait. Mais je suis comme ça en général, je vois les choses de façon positive, et avec joie. 

Je suis allée au deuxième casting avec ma mère. Toujours aussi stressée juste avant, mais toujours avec l’envie d’apprendre. Pour le troisième casting, je me suis dit que ça commençait à faire beaucoup, je ne savais pas qu’on faisait autant de castings!

Qu’avez-vous pensé du projet en découvrant le scénario?

Quand j’ai reçu le scénario, je l’ai lu d’une traite, j’y ai passé la nuit. Comme si c’était un livre. J’étais sous le choc. Je me suis laissée submergée par les émotions. Je suis allée voir ma mère, pour lui dire de le lire là, maintenant, tout de suite, pour pouvoir partager avec elle cette expérience intense.

Comment s’est passée la préparation du rôle?

Nous avons fait beaucoup de répétitions avec les frères, sur les lieux de tournage. D’abord juste  pour faire la scène, avec le scénario, puis sans le scénario, afin de trouver le rythme, de s’imprégner du lieu. Un peu comme une danse. Puis nous sommes passés aux répétitions filmées, j’ai l’image de Luc et Jean-Pierre toujours derrière leur petite caméra, qui s’interrogent sur ce qu’ils vont changer ou pas. On a fait des plateaux fermés aussi avant le tournage. Ca aide a vraiment entrer dans l’esprit du personnage. C’est un peu comme une chorégraphie que l’on répète, jusqu’à ce que l’on trouve le rythme, et que l’on arrive à bien danser dessus. 

Nous n’avions pas vraiment de référence, mais plutôt comme consigne de jouer cru, tout dans le naturel. Mon objectif, c’était de faire ressortir une Lokita en moi. 

Qui est Lokita à vos yeux, justement?

C’est une jeune femme dont la vie est très dure, mais qui est extrêmement forte. C’est une jeune femme sensible, et maternelle avec Tori. Elle subit de nombreuses violences, mais sans se plaindre, et en résistant. Sa vie est un cycle infernal. Chaque jour, on lui marche dessus, mais elle reste debout, jour après jour, pour réaliser son objectif, vivre une vie paisible avec Tori. On abuse d’elle, et personne ne lui tend la main, à part Tori., alors qu’elle a des rêves simples: trouver un boulot d’aide ménagère, envoyer Tori à l’école. Elle ne demande pas grand chose quand on y pense, et pourtant.

Qu’il y’a-t-il de vous en Lokita?

Je ne sais pas si je suis aussi forte que Lokita. Mais c’est ma sensibilité que je lui ai donnée. C’est sûr que moi d’habitude je souris tous les temps! J’ai pu lui donner ma joie quand elle est en présence de Pablo. Il lui faut peu finalement pour être heureuse, juste la présence d’une personne. 

Comment s’est passé le tournage? 

Le tournage s’est très bien passé. C’était un rôle très triste, très intense, mais je me suis sentie bien, en famille, très entourée. Les frères pour moi, c’est la famille, ils me racontaient des histoires, partager des anecdotes. J’ai beaucoup appris avec eux. 

Ce qui m’a marqué, c’est qu’il n’y a pas une journée où j’ai traîné les pieds pour aller sur le plateau. En général, j’aime bien aller à l’école, surtout parce que c’est le lieu où je retrouve mes amis, mais ça peut m’arriver d’avoir envie de rentrer. Là, même quand j’étais fatiguée, j’en voulais toujours plus. 

Ca vous a confortée dans votre envie de jouer? Qu’est-ce que vous avez préféré dans le jeu? 

Je me suis vraiment épanouie dans l’apprentissage. Je suis quelqu’un d’assez anxieuse, et là, j’ai appris à utiliser mon stress pour en faire une force, interpréter le rôle. J’avais peur qu’on ne me dise pas que je faisais mal, que j’allais au mauvais endroit, mais j’ai appris à utiliser ce stress pour interpréter les émotions de Lokita.

C’était quoi le plus dur pour vous?

L’humidité dans le hangar (rires).

Non, c’était quitter le plateau. J’en ai pleuré. Je voudrais faire ça toute ma vie en fait! Et puis quitter cette équipe, c’était comme quitter une famille. C’était tellement de nouvelles rencontres. Je vais rencontrer qui à l’école moi maintenant, je connais déjà tout le monde, et moi j’adore rencontrer des gens! 

Qu’est-ce qui vous touche le plus dans le film? 

Quand j’ai découvert le film à Cannes c’était la première fois. Bon, la première moitié du film, c’était horrible. Se découvrir comme ça sur un grand écran, avec 2000 personnes autour de toi, c’est horrible, je conseille ça à personne! J’espère le refaire hein, mais la prochaine fois, mettez-moi dans une salle à côté, et dites-moi quand c’est fini. (rires) Pendant tout le début, je voulais regarder sans vouloir regarder, et puis à un moment, j’ai fini par entrer dans le film, et par faire complètement abstraction que c’était moi, qui jouait Lokita, que c’était moi, sur l’écran. Soudain j’avais un personnage sous les yeux, j’étais face à son histoire, son destin. J’étais sous le choc. Mon frère était juste derrière, j’avais envie de me retourner vers lui, de lui dire: « Non mais t’as vu ça? »

Et puis j’ai pris conscience de la magie du cinéma, ce que ça représente de voir à l’écran le résultat de notre travail, de la vision des frères Dardenne, c’est tellement inspirant. Je me suis dit qu’actrice c’était bien, mais cinéaste, c’est beau aussi comme métier, pourquoi pas un jour!  

Comment parleriez-vous du film à vos proches, vos amis? 

C’est une histoire entre deux amis, qui s’aiment tellement qu’ils en ont un rapport fraternel. Leur vie relève de la survie. Ce sont des combattants, qui s’entraident. Ca parle de leur solidarité. Ce film porte un message fort, qui doit être entendu. Scientia potentia est. Le savoir, c’est le pouvoir. Juste voir le film, ça donne un savoir, et donc un pouvoir sur cette question brûlante, pour faire entendre nos voix et essayer de faire changer les choses. Exprimer nos désaccords.

Cannes 2022, photo: Jean-Pierre Malherbe

Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience cannoise?

Le tapis rouge, quand on était tous ensemble, on se tenait par le bras. C’était extraordinaire, on était si proche. Je savais que ma famille, à l’intérieur de la salle, me voyait sur les grands écrans. J’avais des étoiles dans les yeux et dans le coeur. Des frissons. J’étais entourée de Jean-Pierre et Pablo, je sentais Luc de l’autre côté, Charlotte, Tijmen, c’était magnifique de les sentir autour de moi, et de vivre ce rêve avec eux.

Et puis quand on a vu les gens dans la salle, avant le film, et puis après le film, la standing ovation. J’étais pas prête. Quand la caméra s’est posée sur moi pendant les applaudissements, j’ai fondu en larmes, c’était trop d’émotion. 

Le plus surprenant à Cannes?

Les gens qui me demandent des photos et des signatures. J’étais choquée! C’est un rêve pour moi de devenir célèbre, mais là je m’y attendais pas. Ca faisait rire mon frère: « Mais qu’est-ce vous lui voulez, c’est juste ma soeur! »

Quels sont vos projets?

Aujourd’hui, j’ai fini l’école, j’ai passé mon permis. Je vais continuer à faire une école de cinéma. Mon rêve, c’est d’en faire mon métier, commencer avec un agent en France, et puis un agent à Londres. Et puis un agent international, j’ai envie de tourner en français, en anglais. Et pourquoi pas faire de photos, c’était un rêve pour moi aussi. 

Quels genres de films rêveriez-vous de faire, des Marvel alors?

Ah, mais ça me ferait tellement rire! Je crois que c’est plus le rêve de mes amis que le mien, que je joue dans un Marvel. J’aimerais bien toucher à tout, faire des longs métrages, une série. Enfin, des séries, pourquoi une seule, autant viser haut! Et puis ne pas m’en tenir au drame, tâter de la comédie. Essayer plein de choses!

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