Discussion à bâtons rompus avec Jean Libon et Yves Hinant à propos de Poulet Frites, qui sort ce mercredi, qui succède donc à Ni juge ni soumise, nouvelle adaptation pour le grand écran de l’esprit Strip-tease. Un polar du réel, porté par un trio de cinéma intemporel: le flic, la juge, et l’assassin.
Comment est née l’idée de porter cette histoire sur le grand écran?
Yves Hinant
Nous avons des producteurs assez délicieux, Le Bureau et Apollo, qui ont sauté dans le premier Thalys post-confinement pour venir nous voir, et nous demander ce qui allait suivre Ni juge ni soumise. Comme il était impossible de tourner un documentaire à ce moment-là à cause des masques, Jean a repensé à ce film, fait il y a une vingtaine d’années, qui n’était pas complètement abouti. On s’est dit qu’on pouvait le reprendre, et en faire un vrai polar, un film noir. Quelque chose de très contemporain. J’ai retrouvé assez miraculeusement tous les rushes de l’époque, et Jean s’est attelé au montage.
Jean Libon
Le tournage original date de l’époque de Tout ça ne nous rendra pas le Congo. Yves avait fait quelques sujets pour moi, et cherchait un projet. Je lui ai dit: « Et si on faisait un vrai polar? » Il s’est mis en chasse, mais ça a pris près de deux ans juste pour avoir les autorisations. Ensuite on a fait un casting pour trouver la juge et le flic, ça a pris encore un an, et puis les essais, ça a pris un an aussi. Un lundi, il arrive au bureau, décomposé, en mode « J’en peux plus, rien ne fonctionne ». Et je lui dis: « Allez, encore une semaine ». Trois jours après, on avait notre cadavre, et c’était parti. Mais je dois dire qu’on en était presque au point où je me disais: « Bon, ben on va trouver notre cadavre nous-mêmes ».
Yves Hinant
On avait même trouvé la personne. (rires)
Jean Libon
On n’est jamais d’accord avec Yves, mais là on était clairement d’accord sur la personne. A l’origine, c’était une série de 3 fois 50 minutes, avec les défauts de la série. Il y avait vraiment moyen de faire un truc plus serré, sous forme de polar. On a aussi choisi de le faire en noir et blanc. Juste pour me faire plaisir. Et un peu aussi parce que je n’imagine pas un film noir en couleurs. Quand je vois la gueule de notre flic, Jean-Michel, en noir et blanc bien contrasté sur un écran de 50 mètres carrés, ça a quand même une autre allure. Ce sont d’autre émotions.
Yves Hinant
Et pour une fois, Jean est content, et ça, ça n’a pas de prix.
Comment avez-vous mis en place votre dispositif?
Yves Hinant
Même si c’est du réel, on l’organise un peu. J’ai fait un casting pour les policiers, et j’ai fini par trouver Jean-Michel, qui avait quelque chose de magnétique. J’avais une autre juge en tête, mais qui a été nommée à la Cour européenne de justice, et c’est elle qui m’a renvoyé vers Anne Gruwez. Je l’avais déjà repérée, d’ailleurs à chaque pause, j’allais voir ce qui se passait dans son bureau. J’avais là un formidable duo. On les a mis de garde ensemble. Et on a attendu, un an. On était trois, un caméraman, un preneur de son et moi.
Quelques mots sur le trio de personnages, le flic, le juge, et l’assassin?
Yves Hinant
Ce qui est intéressant, c’est qu’on était beaucoup mieux placés que les enquêteurs. On choisissait l’endroit où aller, et on avait finalement une vision plus complète que le commissaire qui devait répartir le travail entre ses équipes. Quand j’ai rencontré Alain, notre suspect, un type que tout accuse, j’ai été surpris qu’il accepte qu’on le filme. On avait le sentiment que malgré l’apparente évidence, une sorte de doute subsistait. Ce genre de film, c’est un Cluedo en fait.
Jean Libon
Ce qui compte, c’est la patience, et la patience, ça prend du temps!
Yves Hinant
D’emblée, Anne et Jean-Michel avaient du répondant, ils se sont imposés. Quand la première prie Sainte Rita, et que le deuxième dit « Sainte Rita, mon cul », c’est génial. Ils font un métier compliqué, mais ils gardent de l’humour. Ils sont Belges quoi.
Ce que le film fait ressortir, c’est qu’on est très loin de l’expertise scientifique, et très proche de l’étude de caractère.
Jean Libon
Moi les expertises je m’en fous. A la limite, je me fous de savoir qui est coupable. J’aime pas spécialement les thrillers, je préfère les polars, où on peut se foutre de l’identité du coupable. Je lis d’ailleurs beaucoup de polars, et en général, je me tape du dernier chapitre. Même Raymond Chandler ne savait pas qui était le coupable quand il écrivait Le Grand Sommeil. Les seules choses qui comptent finalement, ce sont le sexe, le pognon, le pouvoir, on mélange tout ça, et on a un bon polar.
L’un des marqueurs du format, c’est l’humour. Est-ce qu’il est déjà là sur le plateau?
Yves Hinant
Moi j’ai passé des heures à la cafétéria avec les policiers, et on y rit, on y rit beaucoup. Quand je vois des films policiers français sans aucun humour, je ne comprends pas. Ces gens vivent une telle violence. Ils ont besoin des blagues pour décompresser. Sans humour, ce n’est pas le réel. Même notre suspect, fait des blagues. L’humour, c’est un accélérateur d’histoire, on attend constamment la prochaine saillie. Le manque d’humour, c’est assez oppressant en fait.
Jean Libon
Ce sont les documentaristes qui font des films sans humour.
Le film est un film Strip-tease, que vos producteurs présentent comme une sorte de Dogme, comme celui de Lars Von Trier, donc une série de contraintes, mais aussi de libertés?
Yves Hinant
Le fait qu’il n’y ait pas d’interview, c’est vraiment précieux. Souvent, on sait que si on avait posé une question, on n’aurait jamais eu la même réaction. Souvent, la question sert de rampe d’appui pour une réponse composée en fonction. Ca transforme. Cette contrainte peut être jubilatoire.
Jean Libon
Les choses ne se passent qu’une fois, et il faut être là, et prêt. J’ai toujours dit à mes caméraman: « tu filmes tes pieds en attendant, je m’en fous, mais au moment où ça se passe tu cadres! » Ca prend du temps mais c’est assez simple. Après, le montage, c’est de la technique.
Yves Hinant
Et puis moi sur le plateau, je suis plutôt régisseur que réalisateur. Je ne suis pas forcément sur la scène, souvent c’est exigu, ou tendu, et le cameraman et le preneur de son savent très bien ce qu’ils doivent faire. Le plus important, c’est de préparer ce qui va arriver, de faire attendre quelqu’un pour l’avoir à la caméra, convaincre quelqu’un d’accepter d’être filmé. Le travail le plus important pour un réalisateur de Strip-tease, c’est d’avoir bien repéré les personnages, de connaître les gens, de les respecter. D’avoir leur confiance.