Le programme de courts métrages La Belge Collection a pour objectif de mettre en valeur comédiens et comédiennes belges, à travers le regard d’une poignée de cinéastes qui misent tout sur leur talent et leur créativité. Au générique de Sprötch, réalisé par Xavier Seron, on retrouve Jean Le Peltier (héros des courts métrages d’Ann Sirot et Raphaël Balboni Lucha Libre et Avec Thelma, et qui sera bientôt à l’affiche de leur premier long, Une vie démente), Baptiste Sornin (héros notamment de Sonar de Jean-Philippe Martin et Losers Revolution de Thomas Ancora et Grégory Beghin) et Youri Dirkx (acteur de théâtre aperçu à la télé notamment dans Ennemi Public).
Ils jouent tous les trois dans Sprötch, réalisé par Xavier Seron.
Flo doit partir à Marrakech pour le travail. Du coup, c’est Tom qui s’occupe de Sam, leur fils de 5 ans. Flo lui a laissé une liste de tâches à accomplir durant son absence. Malgré ça, Tom a oublié le cours de guitare de Sam. Depuis son riad, Flo l’appelle pour lui reprocher. Tom déteste être pris en faute. Il embarque Sam. La voiture sort du garage à toute vitesse. Sprötch. Tom vient d’écraser quelque chose…
On retrouve dans ce court en noir & blanc, sorte de comédie gore (parce que c’est bien connu, mieux vaut en rire qu’en pleurer), le style si singulier de Xavier Seron (Je me tue à le dire), et son ironie, tour à tour tendre, mordante ou dramatique, qui surprend jusqu’à la dernière minute.
(Photos Jean Le Peltier et Youri Dirkx : Fred Labeye)
6 questions à Jean Le Peltier (Tom), Baptiste Sornin (Flo) et Youri Dirkx (Mika, le voisin).
Pouvez-vous nous parler de votre personnage en quelques mots?
Jean Le Peltier: Tom est un papa un peu mou qui essaie de faire croire qu’il ne l’est pas. Mais à côté de son compagnon, il est clairement à la ramasse. L’avantage pour leur fils, c’est qu’au petit déjeuner, quand il a décidé de mettre son masque de mouche, il y a moyen de bien rigoler.
Youri Dirkx: Je joue le personnage de Mika, qui est le voisin de Flo et Tom (Baptiste Sornin et Jean Le Peltier) et qui vient de se faire larguer par sa femme. Dépressif et désespéré, il pleure, boit et se fâche tout le temps. En plus de ça, il a eu un accident: il a glissé dans les escaliers. Il a un bras dans le plâtre et un bandage qui lui couvre presque tout le visage. C’est donc un personnage assez décalé.
Baptiste Sornin: Flo est le petit copain de Tom et le papa de Sam. Il travaille beaucoup et part souvent en voyage ce qui permet à Tom d’écrire un peu tranquille… enfin, c’est ce qu’il croit. Il est bien habillé, gagne bien sa vie, ramène des cadeaux et fait des blagues distinguées.
Quel a été le plus grand défi que vous avez dû affronter pour l’incarner?
Jean Le Peltier: Manger une dizaines tartines comme une mouche
Youri Dirkx: Mon personnage est finlandais, ou du moins il prétend l’être. Le plus grand défi était de lui trouver une façon de parler propre, et un accent qui passe outre mon propre accent. Mais je l’ai trouvé assez rapidement 🙂 Et puis, comme toujours dans une comédie – absurde et noire dans le cas de Sprötch – le plus grand défi pour un comédien est d’être drôle tout en restant crédible et touchant.
Baptiste Sornin: Porter un col roulé en mohair et être distingué.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette expérience?
Jean Le Peltier: C’est clairement pas pratique d’être une mouche.
Baptiste Sornin: Le travail avec Xavier : je le trouve passionnant et exigeant. Il a un sens de la mise en scène et de la direction d’acteur qui est très rare. Je suis très fier d’avoir pu faire parti de son univers.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, d’où vous venez, votre parcours?
Jean Le Peltier: Je viens du théâtre. J’ai eu une formation universitaire, en parallèle de stages et de différentes expériences de création théâtrale. Depuis, j’écris, je monte et je joue des spectacles.
Youri Dirkx: Je suis né et j’ai grandi près d’Anvers; je suis donc d’origine néerlandophone. J’ai suivi une formation de comédien à De Kleine Academie à Bruxelles (comparable à l’Ecole Jacques Lecoq à Paris). Je fais partie du collectif de théâtre Tristero avec lequel j’ai créé et joué plus de 25 productions, principalement des textes du répertoire contemporain.
En dehors de ce collectif, j’ai joué dans une vingtaine de productions de théâtre. En décembre, j’ai joué avec Denis Lavant et Wim Willaert dans The Nipple Whisperer, un court métrage de Jan van Dyck. A la télévision j’ai eu des rôles secondaires dans Ennemi Public (RTBF), Zie mij graag (VRT), De 16 (Canvas).
Le français n’est pas ma langue maternelle, mais je joue régulièrement en français. En fait en quittant l’école de théâtre, la première pièce que j’ai jouée était en français : Britannicus (Racine) en alexandrins ! Après, d’autres spectacles en français ont suivi, le plus récent étant Desperado au Varia, Prix Maeterlinck de la critique 2019 dans la catégorie ‘meilleure spectacle humoristique’.
Baptiste Sornin: Je suis français mais belge depuis 20 ans. J’ai fait l’INSAS à Bruxelles et j’ai beaucoup travaillé au théâtre. J’ai eu la chance de croiser la route des frères Dardenne avec qui je travaille sur chaque film depuis 2007 et qui m’ont donné le goût du cinéma. J’ai fait des choses très différentes : du cinéma d’auteur (Sonar de Jean-Philippe Martin) au cinéma plus populaire (Losers Revolution de Gregory Beghin et Thomas Ancora), mes choix sont le résultats de rencontres et de coups de coeur. Je met en scène pour le théâtre et pour le cinéma. J’ai réalisé mon premier court métrage avec mon ami Karim Barras : Le Canapé (sélectionné au BSFF et au FIFF) et je travaille aux prochains…
D’où vient votre vocation de comédien, quand (et comment) s’est fait le déclic?
Jean Le Peltier: Je n’en sais rien. Je sais juste qu’à quatre ans, j’ai vu un spectacle de marionnettes sur un oiseau en bois qui prend son envole et ça m’a vraiment beaucoup plu.
Youri Dirkx: Quand j’étais en 6e primaire, notre institutrice nous demandait toujours de créer des petits sketches pour l’anniversaire de chaque élève. Je me rappelle que je m’appliquais toujours à fond : j’écrivais le scénario, j’organisais les répétitions, je bricolais les costumes et les accessoires, je dirigeais les autres élèves et bien sûr je m’attribuais à chaque fois le rôle principal 🙂
Baptiste Sornin: J’ai une maman cinéphile, un papa qui avait un ciné-club et un petit frère musicien… fallait bien que je m’occupe.
Que représente pour vous cette opportunité offerte par « La Belge Collection »?
Jean Le Peltier: C’était l’occasion d’embrasser Baptiste Sornin sur la bouche. Je sais maintenant ce que ça fait d’embrasser quelqu’un avec une grosse moustache.
Youri Dirkx: Tout d’abord le plaisir d’avoir pu travailler avec Xavier Seron, c’est sûr ! Et puis aussi d’avoir pu rencontrer les autres cinéastes et comédien·nes, car c’est un projet qui nous réunit. Sur le plan personnel: j’ai toujours aimé jouer en français et j’espère que La Belge Collection sera un tremplin pour de futurs projets. On verra!
Baptiste Sornin: Je fais comme tout le monde : je vais voir un film pour voir un·e comédien·ne ou un·e cinéaste que je connais et dont j’aime le travail. La notoriété du comédien est donc primordiale. C’est important de nous mettre en valeur, non pas parce qu’on aime être pris en photo et signer des autographes mais parce que c’est la seule manière d’avoir des propositions de rôles interessantes et ambitieuses.
Le point de vue du cinéaste: 5 questions à Xavier Seron
Pouvez-vous présenter en quelques mots les principaux personnages de Sprötch?
Il y a TOM (campé par Jean le Peltier) : la trentaine, écrivain (du moins, il essaie). En couple avec Florent, Tom est plus fantasque et insouciant que son compagnon. Tom a beau être père, c’est encore un « grand enfant ».
FLORENT (Baptiste Sornin) : la trentaine également, il travaille comme commercial dans une boîte de biotechnologie et voyage souvent pour le boulot. Plutôt sociable et organisé (limite maniaque : il fait des listes pour tout), Flo apparaît plus raisonnable, plus responsable que Tom.
MIKA (Youri Dirkx), la quarantaine, finlandais avec un accent flamand, dépressif et bandé comme une momie (le résultat de sa dernière tentative de suicide). Mika est le père d’Aki et le voisin de Tom et Florent. Il vient souvent se lamenter chez eux au sujet de sa femme qui est partie, revenue et repartie.
SAM (Martin Verset) est leur fils de 5 ans. Ce petit malin se plait à relever les contradictions de ses parents. Il aime la guitare, les sucreries que lui apporte la petite souris et jouer dans l’entrée du garage avec son copain Aki.
AKI (Elikia Bondekwe) : le fils de Mika. Il a le même âge que Sam. Enfant espiègle, il est souvent fourré chez Tom et Florent pour jouer avec Sam.
LA VOISINE (Chantal Pirotte) : sexagénaire un peu perchée. Elle passe son temps à promener son teckel dans le quartier (d’une certaine manière, elle en est les « yeux et les oreilles »).
Comment s’est passé le casting ?
Très bien. Ça s’est fait avec Michaël Bier (ADK Kasting). Il m’a aidé à dénicher les deux enfants (Sam et Aki), Mika (le voisin finlandais) et la voisine. Sur base du scénario et d’une description sommaire des personnages, Michaël a dressé une liste de candidats potentiels avec des photos, des vidéos. A partir de là, j’ai opéré une sélection et on a fait passer des essais.
Pour le rôle de Mika, je cherchais un comédien flamand. Michaël m’a fait quelques suggestions et puis je lui ai parlé de Desperado, une pièce hilarante que j’avais vue au Varia avec des comédiens formidables : Eno Krojanker, Hervé Piron (qui joue dans Des choses en commun le court d’Ann Sirot et Raphaël Balboni) et puis deux interprètes néerlandophones épatants : Youri Dirkx et Peter Vandenbempt. Michaël a organisé des essais avec Youri et Peter. Ils étaient tous les deux extrêmement convaincants. Il a fallu trancher. Youri dégageait quelque chose d’inquiétant que je recherchais pour le personnage de Mika.
Quant à la voisine, parmi les propositions de Michaël figurait Chantal Pirotte que je connaissais déjà parce qu’elle avait tenu un petit rôle dans mon long (Je me tue à le dire).
En fait, la partie la plus délicate du casting concernait les enfants : Sam et Aki. Je voulais des gamins de +/- 5 ans. A cet âge-là, ce n’est pas évident. Il faut les mettre en confiance mais aussi canaliser leur énergie. Ils sont vite déconcentrés ou épuisés. Surtout pour le rôle de Sam qui est assez conséquent. Il apparaît dans presque toutes les séquences du film. Il fallait trouver un jeune interprète qui puisse tenir la longueur. Et avec le plan de travail qui s’annonçait complexe, je ne pouvais pas me permettre de tourner dans la chronologie et le laisser improviser. Il fallait donc aussi qu’il puisse restituer un texte.
Michaël Bier a ciblé les enfants qui lui semblaient les plus aptes à tenir ce rôle. On a fait des essais avec Jean et Baptiste pour avoir un premier aperçu de ces deux pères et de leur rejeton, voir comment cette petite famille fonctionnait et permettre à tout le monde de s’apprivoiser. On appariait également les enfants pour avoir des binômes Sam-Aki. Martin s’est imposé comme une évidence pour incarner Sam. Un vrai petit pro. Il parvenait à rejouer une scène avec naturel et en intégrant les remarques que je lui faisais. Quant à Elikia, il crevait l’écran. Il avait exactement l’énergie que je cherchais pour Aki.
Et puis sur le plateau, j’ai pu compter sur l’aide de toute l’équipe et surtout de Noémi d’Ursel en tant que « coach » pour accompagner Martin et Elikia et les préparer avant chaque scène.
Pourquoi et comment avez-vous choisi chacun·e de vos comédien·nes ?
J’ai proposé le rôle de Tom à Jean sans lui faire passer d’essais. Je l’avais vu dans Lucha Libre et Avec Thelma, les courts d’Ann Sirot et Raphaël Balboni. Il me semblait parfait pour incarner le personnage. Je trouvais qu’il émanait de lui quelque chose comme un mélange de malice et de fantaisie.
Quant à Baptiste, j’avais déjà travaillé avec lui. Je connais son talent. Et puis j’avais l’impression que ça pouvait coller avec Jean et qu’il ferait un Florent magnifique.
En ce qui concerne les autres comédiens, voir ci-dessus!
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris/ impressionné dans la performance de chacun de vos comédien?
Les comédiennes, les comédiens me surprennent toujours. Ils donnent chair aux personnages et leur apportent inévitablement quelque chose en plus, quelque chose qui n’appartient qu’à eux et qu’on n’aurait pas pu écrire ou imaginer. Je redécouvre les personnages à travers eux.
Youri m’a bluffé avec le côté désespéré mais aussi un peu flippant qu’il est parvenu à insuffler au personnage de Mika, le voisin suicidaire. Et puis sa dégaine, ses intonations, ce phrasé unique. Je me souviens, en répétitions, chaque fois qu’il disait que sa femme était revenue mais qu’elle était repartie, Jean ne pouvait pas s’empêcher de rire.
De son côté, Chantal Pirotte (qui joue la voisine), a fait preuve d’une grande patience et d’une sacrée ténacité, à faire et refaire des prises sous une pluie torrentielle avec un teckel dans les bras. L’énergie et la spontanéité d’Elikia (qui campe Aki) était assez remarquable aussi. Pour la scène des grimaces devant la porte-fenêtre, toute l’équipe était morte de rire.
Baptiste, très classe, est venu sur le plateau pour donner la réplique au téléphone, en off, parce que je voulais que Jean et lui puissent improviser. Et puis, il s’est retrouvé à câliner un bouledogue (Thérèse aka Princesse dans le film) alors qu’il n’est pas franchement à l’aise avec les chiens.
Bien sûr, j’ai été impressionné par Martin. Il a tenu bon durant tout le tournage. On aurait dit un poisson dans l’eau. Il connaissait son texte sur le bout des ongles et a rapidement intégré le fonctionnement du plateau. C’était amusant, il venait parfois revoir les prises au combo. Et puis, avec Jean et Baptiste, il y avait une belle complicité. Ça aide! Charlotte, sa maman, m’a confié qu’il trouvait ça très sympa d’avoir deux papas. Il faut dire que Baptiste et Jean formaient un couple plus vrai que nature.
Et le moins qu’on puisse dire c’est que Jean, qui avait la plus grosse partition, a vraiment assuré ! C’est vraiment quelqu’un de talentueux et de très généreux.
Pourquoi avez-vous accepté d’embarquer dans ce projet, et que représente-t-il pour vous?
A vrai dire, j’ai rejoint la Belge Collection sur le tard. Au départ, c’est Pablo Munoz Gomez qui devait réaliser un film. Mais vu son emploi du temps chargé, il a jugé plus prudent de s’abstenir et m’a proposé de prendre sa place. Comme les délais étaient serrés, j’ai été repêcher quelques synopsis et traitements que j’avais dans le tiroir. Je les ai fait lire à Julie Esparbes, Laura Petrone et Guillaume Kerbusch et leur attention s’est portée sur Sprötch.
Certaines personnes se demandent parfois quel est l’intérêt de faire encore des courts après un long. Pour ma part, je ne perçois pas le court comme l’antichambre du long. C’est un format à part entière et qui offre une liberté extraordinaire. Et quand on passe le plus clair de son temps à écrire (comme c’est mon cas en ce moment), ça permet de se reconnecter au plateau. C’est tellement jouissif !
Enfin et surtout, comment ne pas être enthousiaste à l’idée d’œuvrer pour mettre en valeur des comédien.nes (ou du moins essayer) !? Il y a en Belgique un tel vivier de talents. On ne peut que saluer des initiatives comme celles-là ! Ravi d’avoir pris part à cette aventure.
La Belge Collection, une initiative de Guillaume Kerbush et Laura Petrone, est produite par Angie Productions et Hélicotronc.
Diffusion le 11/09 au Brussels International Film Festival, et début octobre au Festival International du Film Francophone de Namur.