On est tous d’accord : la mort ce n’est pas très amusant. Le cancer non plus.
Sauf peut-être quand on s’appelle Xavier Seron et qu’on pose sur le monde un regard pour le moins… personnel et décalé.
Dans un passé récent, le cinéaste nous a proposé plusieurs courts dont L’Ours Noir, vu (et très apprécié) dans la sélection des courts métrages au FIFF, et Mauvaise Lune avec Jean-Jacques Rausin, son grand pote devant l’éternel.
Pour ces deux films désopilants, Xavier Seron a collaboré avec un autre réalisateur : Méryl Fortunat-Rossi. Pour son premier long, c’est pourtant en solo qu’il s’est embarqué.
L’aventure ne fait apparemment pas peur à cet artiste singulier, car monter un long métrage aussi étrange que celui-ci tient assurément du tour de force. Malgré le soutien d’une société de production professionnelle (Novak, dont on ne peut que louer l’audace), la mise en place du tournage fut d’ailleurs très loin d’être une partie de plaisir. Mais une fois tous les éléments réunis, cette équipe de gentils fous furieux s’est de toute évidence éclatée à concocter un OVNI qui ne ressemble à rien de connu.
Je me tue à le dire (prix Cinevox au récent FIFF) raconte une tranche cruciale de la vie de Michel Peneud. Pas la plus heureuse qui soit. Car Michel a peur de mourir. Trentenaire angoissé et hypocondriaque, ce brave garçon chevelu et barbu, très poilu aussi, accompagne sa mère malade, rongée par le crabe. Une chose est certaine : s’il aime follement sa génitrice, il n’a pas envie de finir comme elle. Or depuis qu’il a décidé de mettre en vente la demeure familiale et de placer sa mère dans une maison de convalescence, Michel commence à perdre des plaques de cheveux, une grosseur inquiétante est apparue dans sa poitrine. Rarement, psychosomatisation aura été plus spectaculaire.
Ces symptômes ne sont pas sans rappeler le cancer de sa mère, mais même si le médecin lui assure que c’est bénin, il n’est pas convaincu : pourquoi propose-t-elle à Michel d’effectuer un prélèvement? Désormais, Michel en est certain : il est foutu.
Pour n’importe qui d’un peu équilibré, cette histoire devrait donner un film sombre et tragique ; mais par pour ce fou furieux de Xavier Seron, sympathique pince sans rire, qui réussit l’exploit de transformer ses névroses (on sent une évidente filiation entre le réalisateur et le personnage) en éclats de rire irrépressibles.
Alors, certes, l’humour qui nous est ici servi est noir, très très très noir, mais il est délectable ça c’est sûr. Dans un noir et blanc, esthétique, filmé avec une vraie maestria, Je me tue à le dire alterne ainsi les scènes de malaises et les répliques qui font mouche, le plus drôle étant qu’on est souvent hilares face aux premières et interloqués par la jouissive violence décalée des secondes.
Je me tue à le dire n’est pas une pochade burlesque, loin de là ; c’est plutôt un film… saugrenu qui évite l’incongruité pour nous offrir des éclats de rire cathartiques sur un thème atroce quand on y pense deux minutes posément.
Mais Xavier ne nous offre pas ce luxe : ses saynètes s’enchaînent sans répits et alors que beaucoup auraient été tentés de prendre la pause pour reprendre leur souffle et nous faire profiter de leur génie, il s’amuse à pousser le bouchon de plus en plus loin, n’épargnant rien à son héros/double.
Malgré des partis pris esthétiques différents (mais très originaux et assumés), le film évoque souvent ceux du cinéaste suédois Roy Andersson qui réussit lui aussi l’exploit de nous faire rire et de nous glacer les sangs en même temps.
Faire référence à ce monument qui remporta encore un lion d’or à la Mostra de Venise l’an dernier peut sembler exagéré… mais non en fait, car Xavier Seron s’il ne parviendra pas forcément (ça s’appelle un euphémisme) à réunir le grand public autour de son œuvre, marque d’emblée de son empreinte le cinéma belge qui a également besoin de voix hors normes, de (vrais) visionnaires.
Évidemment, Je me tue à le dire n’est pas que le résultat du travail d’un cinéaste. Les acteurs qui le portent ne sont pas étrangers à cette réussite : Jean-Jacques Rausin qu’on attendait depuis longtemps dans un rôle de cette ampleur confirme un talent qu’on a toujours trouvé évident et une faculté à jouer sereinement la surenchère, sans effort apparent. Clown triste et attachant, il suscite l’empathie et permet au spectateur d’accepter l’inacceptable. Alors que son personnage est objectivement agaçant, il parvient à le rendre sympathique, touchant, drôle. La palette qu’il dévoile ici est tellement large qu’il devrait immédiatement inspirer d’autres réalisateurs qui lui confieront à leur tour des premiers rôles captivants.
À ses côtés, Myriam Boyer (la maman de Clovis Cornillac pour les plus jeunes) est parfaite en femme usée, proche de la mort, violemment indépendante et qui a décidé malgré les circonstances de continuer à profiter de la vie sans se plaindre, refusant désormais de boire autre chose que du champagne (enfin, du mousseux, car la famille ne roule pas sur l’or).
Le film propose aussi des seconds rôles bien servis par une écriture attentionnée (Fanny Touron et Serge Riaboukine), mais également des personnages éphémères qui restent dans les mémoires. On pense ici tout particulièrement à Jackie Berroyer, Catherine Salée, formidable de cynisme détaché, dans une scène absolument démentielle (et très proche de Roy Anderson pour le coup) ou à Sam Louwyck et Wim Willaert, hilarants dans leur combinaison antiradiation. Cerise sur le gâteau, les fans de Thomas Coumans et de Jean-Benoît Ugeux pourront admirer leur plastique dans des séquence assez grinçantes.
Inracontable parce que tellement personnel et singulier que toute tentative de le circonscrire reviendrait à l’affaiblir, Je me tue à le dire est un classique instantané, un vrai film culte dans toute l’acception du terme qui sera enfin sur nos écrans ce 4 mai.
Debout les morts, la vie est belle !
Toutes les photos viennent de la magnifique page Facebook officielle de Je me tue à le dire (ICI), qui nous entraîne avec générosité dans les coulisses du film