Jan Bucquoy: On vit tous un peu les mêmes choses, alors autant dire « Je »

On a rencontré Jan Bucquoy, à l’occasion de la sortie de La Dernière Tentation de Belges, 3e opus tendre et tragique, drôle et déroutant de sa cinématobiographie. On a en profité pour lui demander pourquoi il s’était tourné vers le cinéma, et d’où venait l’envie de tourner ce 3e opus, 25 ans après Camping Cosmos.

Pourquoi avoir choisi de faire du cinéma?

Parce que c’était ça ou chanteur de rock pour séduire les filles je crois! Mais comme la guitare, c’est trop compliqué, et que la caméra, ça semblait plus simple d’utilisation, j’ai choisi le cinéma. Non, en fait, c’est écrivain que je voulais être je crois. J’ai commencé par écrire de la poésie. Je publiais des poèmes dans des journaux gratuits. C’est un peu une tradition en Flandre, il existe des soirées poésie, financée par l’état. Mais clairement, au départ, je voulais être écrivain.

Mais à trois ans déjà, j’allais au cinéma. Je me souviens, j’étais assis sur les genoux de ma tante, j’allais voir tous genres de films avec elle. Le premier film qui m’a marqué, c’est Johnny Guitar de Nicholas Ray. Un drame sentimental, mais avec de l’action. J’ai l’impression qu’ils arrivaient à mélanger les genres à l’époque, les grands cinéastes américains. Comme John Ford avec Les Raisins de la Colère. Ca m’avait impressionné, de voir qu’il y avait moyen de mettre de la poésie ou de l’humour dans le drame, de ne pas cloisonner. 

C’est ce que j’ai essayé de faire avec mon dernier film. 

De quoi parle le film justement?

C’est l’histoire d’un père et de sa fille.  Sa fille veut se suicider, il essaie de l’en dissuader en lui racontant que si elle essaie de faire quelque chose de sa vie, d’avoir des projets, ça peut être marrant. Son père veut faire une démonstration que la vie, ça peut aussi être chouette. Mais c’est un projet pas facile… La vie peut être marrante, mais il faut y aller, ça tombe pas tout cuit, il faut de l’énergie, et de la force. Il faut avoir une sorte de hargne, de rage, peut-être de libido de vivre en fait.  

On me dit que ce film parle de la mort, mais moi je trouve qu’il parle plutôt de la vie, c’est une leçon de vie. La vie, c’est absurde, ça sert à rien, ça finit mal, mais allons-y quand même. Heureusement qu’il y a des Don Quichotte de la vie! 

L’autobiographie, c’est une évidence pour vous?

Je dirais la fausse biographie plutôt. Empreinte d’un certain réalisme, même si le cinéma permet tout. Le pouvoir performatif du langage permet tout. C’est la force de la voix off, à laquelle j’aime beaucoup recourir, elle scelle un pacte avec le spectateur. J’ai essayé le cinéma sans voix off, mais j’aime bien cette écriture, ça crée une connivence avec le spectateur, et ça permet l’écriture du « je ».

Quand ma fille est morte, pendant tout un temps, j’ai continué à vivre avec elle. Je la voyais dans mes rêves, dans la rue. J’avais même une sorte de dialogue avec elle dans ma tête. Le film, c’est un peu un dialogue post-mortem. On me demande souvent si ça m’a servi à faire le deuil. Mais non, pas vraiment. Enterrer sa fille, c’est irréel. On n’en fait pas le deuil, jamais. J’ai 7 enfants, de 4 mères différentes. Et Marie était très importante dans la fratrie, c’est elle qui créait le lien, qui les réunissait. Ce lien aussi est mort avec elle. En fait à la fin du film, à la question « C’est quoi la mort? », Marie répond « C’est le silence. » Et avec ce film, notre dialogue s’est arrêté.

Mais cette voix off, c’est la colonne vertébrale du film. Ici, c’est une double voix off, c’est un dialogue entre le père et la fille. Idéalement en fait, le film aurait pu être un écran noir, avec ces voix off. Bizarrement, je n’ai pas réussi à convaincre mes producteurs, mais ça aurait pu être intéressant (rires). 

Ce dialogue, c’était la base. Un film complètement pur. C’est ce que j’ai écrit en premier, et c’est ce qu’on a tourné en premier aussi. Comme j’avais choisi de tourner avec Alice on the Roof, qui n’avait jamais fait de cinéma, je trouvais ça bien de pouvoir jouer avec ça, la mettre en IN ou en OFF. Mais finalement, la voix off, c’est une fausse facilité, il faut beaucoup travailler pour trouver le ton juste. On a enregistré, réécrit, on s’est adapté aussi au niveau de français de Wim Willaert. 

Ce mécanisme de voix off, ça me donnait un film sans images, dès le départ, du coup j’avais beaucoup de liberté à la mise en scène. J’avais une bouée de sauvetage. J’étais à l’aise sur le plateau, je terminais même mes journées de tournage en avance!

Ensuite on a tout retravaillé au montage. Pour moi, le cinéma se fait au montage. J’ai pu accéléré le récit, je voulais faire un film court, concentré. C’est un film beat en fait, comme l’écriture des écrivains américains.

L’écriture française est très champagne comme ça, des gars comme Modiano, on peut aimer, mais ça endort un peu. Ca a son charme hein… Mais moi j’aime le beat de Miller, de Bukowski. Tac, tac, tac. Le film est comme ça. C’est pour ça qu’on peut le voir plusieurs fois. Comme ça va vite, on a pu rater des choses.

Si je fais encore un film, je veux refaire les choses comme ça.

Dans La Dernière Tentation des Belges, je filme les personnages sur une scène de théâtre. L’idée, c’est que les spectateurs acceptent la convention. Evidemment, ce n’est pas vraiment moi, ce n’est pas vraiment ma fille. Mais je raconte une histoire à la première personne, et j’essaie de faire passer des émotions.

Wim Willaert, votre comédien principal, dit que le film est une comédie tragique, ou une tragédie burlesque. Comment vous définiriez le film?

Moi je crois que c’est un film populaire, qui peut être lu à différents niveaux. Il y a plein de références littéraires ou cinématographiques, mais il y a aussi une histoire très personnelle, qui joue sur l’émotion. La vie est tragique, d’abord on est jeune est beau, puis on est malade, on vieillit et enfin on meurt. Un mauvais scénario en somme. Comment fait-on avec? Je pense que l’humour est important pour survivre. C’est une contre-attaque contre ce destin tragique.

Vous aviez travaillé avec Jean-Henri Compère pour les deux films précédents, pourquoi avoir choisi Wim Willaert pour celui-ci?

Je me sens très proche de Jean-Henri Compère,  c’est un excellent comédien, et un artiste. Mais il est francophone. Et j’avais envie d’un alter ego avec un accent flamand, un peu plus brutal. Bien sûr, j’avais ce fantasme de l’acteur qui vieillit de film en film, comme Jean-Pierre Léaud qui finit par ressembler à Truffaut. Mais j’ai fini par faire un autre choix. 

Je connaissais Wim de loin, je le croisais régulièrement, et il me disait tout le temps: « Oh, Jan, quand est-ce qu’on fait un film ensemble? » On vient du même coin Wim et moi, il a le même accent, même s’il parle un peu moins bien français que moi. Je voulais que cet ancrage flamand soit là, pour que sa découverte de la Wallonie soit plus vraisemblable. Il me fallait un candide. Et Wim est le candide idéal. 

Je suis toujours surpris par cette envie d’imposer une nation qu’il y a en Wallonie. En Flandre c’est clair, il y a une nation, autosuffisante, avec Anvers comme grande épicerie. La Wallonie a toujours ce regard tourné vers sa grande soeur, la France et cette Flandre qui les traite s’assistés. J’avais envie de véhiculer un discours de fierté. C’est ça aussi un pays, être fier de ses artistes. C’est beau la Wallonie, il faut en finir avec ce complexe d’infériorité. Ca me donne envie de tourner encore et encore en Wallonie d’ailleurs, oeuvrer à lui redonner sa fierté. Mener un projet de pays utopique. L’utopie ou rien!

J’aimais bien le contraste entre Jan Bucquoy, qui rêve de devenir écrivain sans jamais vraiment l’être, et puis Alex Vizorek, celui qui réussit à Paris. Là aussi c’était un dialogue. Le coup du loser sublime, on en a soupé, je voulais qu’il y ait quelqu’un dans le miroir. Que la réussite soit une possibilité aussi. Vizorek, c’est l’autre face de Jan Bucquoy, il était parfait pour ça. Ca lui montre qu’il pourrait être brillant, et réussir. Surjouer l’échec, c’est fatigant, même si les losers sont attachants. 

Et puis pour Marie, je voulais une chanteuse, et une certaine innocence, ce que j’ai trouvé chez Alice on the roof, qui m’a surpris dès le début du tournage, en studio, quand on a commencé à enregistrer les voix off.

La-Derniere-Tentation-des-Belges

25 ans séparent Camping Cosmos de La Dernière Tentation des Belges, d’où est venu le besoin, l’envie et le désir de faire ce film?

J’ai fait beaucoup de choses depuis Camping Cosmos. De nouvelles techniques avaient émergé, j’avais envie de tenter d’autres choses, j’ai fait un peu de cinéma expérimental. Ca rendait tout plus léger. Déjà en 1958, Alexandre Astruc parlait du cinéma Bic, disait qu’un jour on pourrait faire du cinéma comme on écrit. 

Quand j’ai voulu faire un long métrage plus classique, et j’ai été confronté à des questions de financement, de distribution. J’ai frappé à des portes au Luxembourg, en Allemagne, mais c’était très compliqué. J’ai décidé de faire les choses uniquement en Belgique, avec un tout petit budget, de façon plus artisanale. Avoir de quoi payer les gens, mais pas beaucoup plus. Je me suis tourné vers un producteur, Stenola, ce qui m’a obligé à acquérir une certaine discipline, que je n’avais pas quand je me produisais moi-même. Cette discipline, ces contraintes, l’économie des moyens, c’est comme les langues d’Esope, on peut en faire le pire comme le meilleur.

Pourquoi ressusciter le personnage de Jan Bucquoy?

Je raconte ma vie, depuis le début, mais finalement c’est un peu la vie des autres gens aussi que je raconte. On vit tous un peu les mêmes choses, alors autant dire « Je ». 

Et puis j’ai choisi d’incarner le Belge aussi, c’est assumé. A l’étranger, on me voit comme ça, ça fait sourire. Ce n’est pas pour rien non plus que j’ai écrit un livre qui s’appelle La Vie est belge, j’en joue évidemment. Cet endroit qui ne ressemble à rien, la Belgique, j’aime bien contribuer à le mettre sur la carte.

J’imagine déjà une suite, je vais aller m’installer au Pays noir, à Charleroi, pour essayer de proclamer mon utopie. Osons, la vie est à nous, le monde est à nous, ça nous appartient. Voilà, c’est un peu ça le message.

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