Insoumise : le ver est dans la pomme

Le 15e festival du film méditerranéen de Bruxelles, espace de convivialité et de partage s’il en est, installé dans l’écrin magnifique du Botanique, a été le théâtre hier (jeudi 10 décembre 2016 – pour les archivistes) de la Première belge d’Insoumise, un film découvert quelques jours plus tôt à Marrakech où le public lui réserva un accueil fort enthousiaste.

 

 

 

 

Comme on s’y attendait depuis notre passage sur le tournage, Jawad Rhalib (photo ci-dessous), pour son deuxième long métrage de fiction après le salutaire et très provocateur 7 rue de la folie, renoue ici frontalement avec les préoccupations sociales qui lui sont chères et qu’il avait déjà explorées dans la plupart de ses documentaires.

 

 

Pour parler de cette société qui l’agace (c’est un doux euphémisme), Jawad a décidé de traiter son sujet par le tout petit bout de la lorgnette en jouant la carte de la communauté recluse dans un endroit presque isolé du monde. Un choix gagnant pour deux raisons fondamentales : dans ce contexte, le budget n’est plus un problème et, surtout, le spectateur peut rapidement se familiariser avec les différents personnages et s’attacher à eux.

 

 

L’héroïne du film est Laila, une jeune informaticienne marocaine sans emploi qui est dans le collimateur de la police marocaine à cause de ses prises de positions radicales et de sa « grande gueule ». Pour elle, il est temps de changer d’air et, pourquoi pas, de trouver un travail en Belgique en attendant que les choses se tassent.

La jeune femme atterrit dans la petite exploitation agricole familiale d’André, un cultivateur de pommes. L’homme semble débonnaire, mais sa situation économique n’est pas simple et l’austérité qu’il encaisse de plein fouet ressurgit encore plus violemment sur les travailleurs précaires qu’il emploie (exploite ?).

Lorsqu’elle découvre le système profondément injuste qui règle les contrats des saisonniers, Laila déchante rapidement. D’autant qu’à cause de tensions internationales et du boycott des Russes qui refusent désormais d’acheter les fruits produits chez nous, la situation dans la petite communauté va s’envenimer.

Peu à peu, contre toute attente, son sentiment de révolte contamine son entourage.

 

Démarrant au Maroc par une série de scènes assez musclées, le film va se poursuivre sur un mode plus apaisé dans la campagne liégeoise avant que la tension initiale vienne contaminer les lieux.

Face à face un cultivateur aux abois et une Insoumise bien décidée à ne pas s’en laisser compter. Entre eux, un jeune contremaître qui tente d’arrondir les angles et, surtout, de faire tourner la boutique ; un homme qui va devoir choisir son camp, tiraillé entre une fidélité quasi filiale envers son patron et une passion floue et orageuse sur le point de naître (superbe scène, fort troublante).

 

Observateur militant refusant sans la moindre ambiguïté toutes les oppressions, adversaire ulcéré de l’ultralibéralisme devenu le standard dans nos sociétés occidentales, Jawad Rhalib ne se contente heureusement pas d’un discours percutant, il est également (surtout) un vrai réalisateur qui impulse du rythme et beaucoup de vivacité dans toutes ses scènes qu’il écrit et dirige.

 

 

Jawad excelle à varier les climats, inocule de la gravité et de la tension ici (Malek Akhmiss, effrayant en flic spécialiste de l’intimidation), un peu de douceur là ( Izabela Kaeolczuk en militante déterminée, mais sereine – photo), mais aussi de la légèreté et une jolie dose d’humour quand c’est nécessaire (la visite du délégué ministériel incarné par Pierre D’Herte ou la séquence hilarante où un policier – Eric Larcin – mesure le terrain du propriétaire pour voir si les grévistes s’y trouvent ou pas).

 

 

Une des grandes forces du film réside d’ailleurs dans la formidable direction d’acteurs et, par corrélation, dans l’interprétation collective de très haut niveau, emmenée par l’incendiaire Sofiia Manousha, époustouflante de bout en bout, qu’on avait déjà vue, intenable, dans de 7 rue de la folie.

D’un point de vue cinevoxien, Insoumise offre le formidable plaisir de découvrir un grand nombre de comédiens mis en évidence avec beaucoup de panache : Benjamin Ramon intense et touchant, trouve ici son meilleur rôle au cinéma comme Hande Kodja, Raphaelle Bruneau ou Benoit Vandorslaer qui incarne un personnage ambigu et crucial qu’il gère à merveille.
Sans oublier les plus petits rôles comme Nadège Ouedraogo, Jean-Michel Vovk, Olivier Bonjour, Jean-Dominique Orsatelli ou le couple marocain très touchant composé de Fatima Harandi et Khalid Jamai.

 

 

 

Social, dans le sens le plus noble du terme et dans la belle lignée des frères Dardenne, énergique comme peuvent l’être Mustang ou Much Loved deux longs métrages enivrants vus cette année, Insoumise est, sinon une surprise (7 rue de la folie avait déjà bien titillé notre curiosité cinéphile), en tous cas une vraie réussite. Aussi bien sur le fond que sur la forme mordante et accrocheuse (le film ne dépasse pas les 75 minutes et c’est bien ainsi).

Ce rejeton d’Iota productions qui enchaîne les films marquants (Welcome Home, Keeper, Insoumise, quel trio !) devrait faire son chemin en festivals, mais aussi séduire en salles tous ceux qui s’intéressent à un cinéma bouillonnant qui parle d’ici et de maintenant.
Un film de notre temps qui ne manque ni d’ambition, ni de pertinence… ni d’un certain optimisme qui met du baume au cœur. Car oui, l’homme et la femme, s’ils s’en donnent la peine, s’ils ne se résignent pas, sont capables de changer le monde !

 

 

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