Avec In Another Life, Philippe de Pierpont et ses trois protagonistes, Etu, Assouman et Innocent oscillent entre introspection et rétrospection, et reviennent sur 27 ans d’amitié, et le destin sacrifié d’enfants nés au mauvais endroit.
1991, Burundi. Le cinéaste Philippe de Pierpont rencontre six enfants des rues et leur promet de les filmer à chaque étape charnière de leurs vies. Aujourd’hui, il les retrouve pour la quatrième fois : ils ont quarante ans et ne sont plus que trois. Quel regard portent-ils sur le monde et sur eux-mêmes ?
Un regard lucide, et désabusé. Des images de leur enfance résonnent les cris et les rires, l’espoir et les rêves. Ils sont 5, sur les images. 30 ans plus tard, deux ont disparu. Le temps, la guerre, les violences, l’alcool ont eu raison de leurs rêves. « Je rêve d’avoir une belle vie. » Un endroit où dormir, de beaux vêtements, un travail, de quoi manger.
Le film pose la question: comment devenir un homme aux yeux de la société quand on vit dans la rue? On tombe amoureux, mais comment aller plus loin? Comment fonder une famille quand les tragédies et les violences se succèdent? Et peut-être plus encore, pourquoi fonder une famille? Pour reproduire un schéma mortifère?
Le spectateur est pris entre la fascination de voir grandir des enfants à l’écran (un peu comme dans Boyhood) et la noirceur du constat. Car grandir au Burundi, dans les années 90 et 2000, ce n’est pas grandir aux Etats-Unis. « La prochaine fois que je naitrai, je m’arrangerai pour naître dans un pays riche. »
Etu, Assouman et Innocent ne se font plus beaucoup d’illusions: « Depuis que je suis petit, ma vie, c’est me lever, et courir. J’ai couru toute ma vie, pour finalement arriver nulle part. » In Another Life est parcouru de bout en bout de ces courses effrénés, vers un avenir qui ne peut être que meilleur, et semble pourtant sans cesse se dérober.
Mais comment, à l’écran, dire la noirceur de ce constat, sans l’édulcorer? Philippe de Pierpont choisi de donner la parole et le pouvoir à ses protagonistes. Il filme leurs visages au plus près, traquant leur détresse, mais aussi leur force vitale. Fait place à leurs mots. Surtout, il leur restitue leur humanité en les rendant acteurs de leur récit. Dans de sublimes scènes nocturnes, Etu, Assouman et Innocent content et incarnent leur destin avec dignité, malgré sa cruauté.
En contrepoint des images d’archives, pleines de la vitalité des enfants qu’ils ont été, le cinéaste composent des plans zénitaux superbes et puissamment poétiques, où les trois hommes se fondent dans une décharge, sur le toit d’un grand hôtel, dans un désert, symbolisant ce qu’ils sont aujourd’hui dans le regard des autres (des déchets aux yeux de la société), ce qu’ils auraient pu être (des patrons), et ce qu’ils pourraient devenir (perdus dans le désert).
Projet de cinéma atypique, qui s’étale sur trois décennies, co-création d’un cinéaste et de ses sujet devenus acteurs du récit, In Another Life dépeint l’implacabilité du destin, et en filigrane, la chute d’un pays ravagé par la guerre, qui n’a pas su sauver ses enfants.