Il était une fois le cinéma belge (4/4)
Le verdict !

Après les trois premiers chapitres en forme de réquisitoire, il est temps de passer au verdict. Qu’est-ce que le cinéma belge? Après des dizaines de projections enthousiasmantes, le public rennais a désormais une vision très personnelle de notre cinématographie. Plusieurs axes se dégagent: le cinéma belge est un cinéma de liberté et un cinéma qui a de la gueule. Mais c’est surtout un cinéma sans prétention. Comprenez, pas prétentieux…

 

Par Maryline Laurin

 

Un cinéma de liberté

Liberté de ton.

Une caractéristique du cinéma belge? Son humour potache ou corrosif qui met en avant une auto dérision, une forte aptitude à se moquer de soi-même sans pour autant se dénigrer. Le Belge se fait sujet de son cinéma comme dans La vie sexuelle des Belges de Jan Bucquoy. « C’est un pays particulier qui puisse son identité dans une non-identité», insiste Bouli Lanners.

Le cinéma belge semble avoir fait sien le vieil adage : « Là où y a d’la gène, y a pas de plaisir ». Rien ne l’arrête aucun tabou, aucune provocation… Au contraire, plus c’est étrange, plus c’est attrayant jusqu’à en devenir une marque de fabrique.

Les films belges, faits au départ avec peu de moyens sont moins soumis aux dictats des grosses productions, aux exigences du Box-Office, aux ordres du vedettariat. Ce peu de souci de rentabilité favorise l’emploi de nombreux comédiens non professionnels et une prise directe avec la réalité. Tout cela en fait un cinéma réellement indépendant.

 

Liberté de création.

Comme le souligne encore Bouli Lanners, c’est un jeune cinéma qui a la chance de ne pas subir le poids d’un lourd patrimoine national. Il ne se soucie pas forcément du regard de l’autre. La peur de montrer ou de rater est amoindrie, facilitant le délire, l’invention, débridant l’imagination.

 

Moins narcissique que le cinéma français, il paraît privilégier l’esprit de famille, le clan, la bande de copains, que ce soit dans le sujet des films: Les Barons de Nabil Ben YadirLe Grand Tour de Jérôme Le Maire, ce déjanté faux documentaire. Ou dans leurs réalisations où le collectif tient continuellement une grande place. Kin court métrage de L’atelier Collectif remporta le Prix Collège au cinéma et le Prix du public.

Comment ne pas parler de tous ces cinéastes anticonformistes développant un cinéma marginal de Claudio Pazienza (Tableau avec chutes) à Jean-Jacques Rousseau que Noël Godin présenta dans sa Carte blanche.

 

[Photo Gwénael Saliou]


Et bien sûr Boris Lehman qui se situe aux limites de l’expérimental, de l’essai, de la mégalomanie. Boris Lehman se mettant continuellement en scène dans d’étranges autoportraits autant autobiographiques que fictionnels. Son Magnum Beyginasium Bruxellense a, ici, beaucoup interpellé. La liste est loin d’être exhaustive, car combien de fois durant ces sept jours avons-nous entendu dans les salles: « Il n’y a que les Belges pour faire ça ! »

 

Liberté filmée.

La Belgique nous apparaît comme un pays qui se révolte peu, mais ne se laisse pas faire. Qui compose avec ce qu’il a. Il l’a montré durant son absence de gouvernement. Il ne plie pas, à l’image de ce nous donne à voir Jean Harlez dans son superbe film Le chantier des gosses tourné en 1956 avec très peu de moyens. Inédit en France et récemment retrouvé par le fameux cinéma Nova, il montre la résistance tenace des gosses des Marolles contre les géomètres venus s’approprier leur terrain vague, leur terrain de jeu. Du néoréalisme belge, témoignage rare d’un début de Bruxellisation. Film qui n’est pas sans nous rappeler le cinéma d’un Paul Carpita qui filmait comme son ami Paul Meyer (Déjà s’envole la fleur maigre – photo ci-dessous), « les petites gens ».

 

 

Des films qui ont de la gueule

 

Qui ont une sacrée gueule

Beaucoup de films parlent de différence, mais plus encore emploient des comédiens différents. Pour preuve Didier Toupy, un des acteurs fétiches de Bouli Lanners, son pote d’ailleurs, déjà présent dans son premier court métrage Travellinckx qu’on retrouve dans Les Géants (à droite sur la photo ci-dessous). Ou Pascal Duquenne chez Jaco Van Dormael, le Georges du 8e jour, couronné à Cannes aux côtés de Daniel Auteuil…

 

 

Qui ont une gueule à part

Des personnages comme les affectionne  l’héroïne du joli Marieke, Marieke de Sophie Schoukens : « Moi ce que j’aime, c’est l’imperfection ». Imperfection qui se fait beauté et charme à l’image du trio improbable Abel, Gordon et Romy mais aussi leur pote Philippe Martz. Des “gueules” de clowns loufoques et tendres qui jonglent avec l’absurde, la féerie  et le comique de situation. Des doux dingues, heureux et tellement aimés par le public.

 

[Photo Maryline Laurin]


Qui poussent des coups de gueule

HH, Hitler à Hollywood de Frédéric Sojcher dénonce un pseudo ancien complot américain visant à ruiner le cinéma européen. L’envahisseur de Nicolas Provost pointe la situation des sans-papiers qui mène au chaos…

Qui ont une Grande Gueule

Forcement Dikkenek (expression bruxelloise désignant une grande gueule) d’Olivier Van Hoofstadt et ses répliques cultes! Jan Bucquoy, ses coups d’État, sa roue de la fortune en Happening… Et tant d’autres…

 

Qui te fendent la gueule:

L’animation belge, en général. Pic Pic André ou  Panique au village, en particulier !

 

[Photo Gwénael Saliou]


Qui t’en met plein la gueule

Les « entartages » de Noël Godin, le  jeu si juste des acteurs d’Hasta la Vista avec Isabelle De Hertogh en tête, l’étonnante Anne Coesens

 

Qui vous défoncent la gueule

Bullhead et son impressionnant acteur Matthias Schoenaerts. Illégal d’Olivier Masset-Depasse

 

Qui sont casse-gueule

Les sujets de nombreux films dont Ça rend heureux de Joachim Lafosse ou comment éviter le nombrilisme en le transformant en une délicieuse description des contingences du cinéma.

 

[Photo Gwénael Saliou]


Qui sont présentés avec les amuse-gueule

Le fameux Petit Gregory de C’est arrivé près de chez vous servi en cocktail à la réception partenaires de Travelling.

Et revient en écho Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?, chanté par le moins belge des Belges !

 

Un cinéma sans prétention

Loin de notre cinéma français trop souvent nombriliste et bavard, les films belges présentés ont fait figure de bouffées d’oxygène même pour des films durs comme La Promesse des Dardenne.

Leur côté artisanal et collectif fait penser qu’il est plus important de donner à voir que de se faire voir. Voilà ce que nous avons ressenti au fil des films et des rencontres de ce Travelling Bruxelles.

Une simplicité aussi, qui nous a touchés à plus d’un égard et d’un regard cinématographique. Les invités de cette édition ont eux aussi brillé par leur simplicité. Ils ont été disponibles, ouverts, demandeurs et lorsqu’on s’en étonnait, il y en avait toujours un pour nous rétorquer : « Mais les chieurs on ne les a pas emmenés ! ».

 

[Photo Maryline Laurin]


Ici pas de vedette, tout le monde se retrouvait au Waterzooï à l’heure de l’apéro et discutait avec qui voulait leur parler.

Tous se sont donnés sans compter. Effectuant pour la plupart de véritables marathons.

 

[Photo Maryline Laurin]

 

Louis Heliot, qui présenta nombre de séances en l’absence des réalisateurs ou en escortant d’autres tel Jaco Van Dormael (photo ci-dessus) ; truffant ses présentations d’anecdotes, de références et imitant comme personne Pic Pic André. Pour tout ça, il reçut de la part de ses compatriotes le titre affectueux de « Pierre Tchernia belge».  Bouli Lanners, homme généreux, respectueux de son public qui bien qu’en visite éclair à Rennes a accepté tous les débats, tous les interviews, en rajoutant même ! Fiona Gordon et Dominique Abel ont irradié le festival de leur charisme, de leur talent, de leur immense humilité. Accompagnés de leur acolyte Bruno Romy, ils ont été très heureux de leur nouvelle expérience de Parrain du Jury Travelling Junior. Ils ont encadré les enfants avec beaucoup d’attention, de bienveillance.

 

[Photo Gwénael Saliou]


D’autres sont allés visiter les lycées (Olivier Masset-Depasse) ou les prisons. Kadir Balci est revenu bouleversé de son après-midi à la centrale pour femmes de Rennes et de l’accueil qu’elles ont réservé à son film. Nabil Ben Yadir a de nouveaux amis Facebook derrière les barreaux, preuve que son film Les Barons leur a plu.  Quant à Pierre Duculot, il était ravi, ravi, ravi.

 

Pour ma part, ce fut un bon amusement parsemé d’étonnantes rencontres, d’intenses moments de cinéma et de pétulante rigolade. Ma fierté : avoir fait craquer Bouli Lanners …pour un Kouign-aman et quelques chocolats de chez Le Daniel. Ma certitude : Olivier Masset-Depasse, en plus d’être un très grand réalisateur, est le roi incontestable du dance floor ! Mon coup de cœur : Hasta la vista de Geoffrey Enthoven. Mon bonheur : avoir été belge pour vous pendant une semaine.

 

À ce titre, j’avouerai mes copains de Friture (Merci Fiona et Dom et vive la sauce Hannibal!), mais ne trahirai aucunement ceux de biture !

J’ai entendu récemment sur les ondes : « La Belgique ce n’est pas un pays c’est un état d’esprit ». Un bon état d’esprit alors, qui fut souverain pendant tout le festival Travelling Bruxelles.

L’année prochaine l’Écosse sera à l’honneur à Rennes. Parfait !  Bouli Lanners nous a confié rêver de réaliser un film historique en Écosse !

 

[photo de la baraque à frites par Benoît Le Breton – Ouest-France]

[Photo d’ouverture par Gwénael Saliou]

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