Il était une fois le cinéma belge (3/4)
Bruxelles, trois fois

Un festival uniquement consacré à Bruxelles, c’est une multitude de visions différentes d’une même ville, perçues différemment par chaque spectateur. Une myriade de points de vue donc, qui s’additionnent et forment un kaléidoscope inédit, une vision complexe, unique…

Maryline Laurin, notre correspondante marseillaise en Bretagne a rencontré trois spectateurs qui ont débriefé avec elle le festival Travelling et lui ont expliqué ce qu’ils en avaient retenu, ce qu’ils en conserveront. Ce qu’est à leurs yeux ce cinéma belge qu’ils ont découvert en profondeur.

 

Par Maryline Laurin

 

Lors de l’avant-première de Bullhead de Michael R .Roskam je croise Danielle, une spectatrice assidue qui fréquente le Festival Travelling Rennes Métropole depuis une dizaine d’années. Lorsqu’elle a appris que, cette année, la ville choisie était Bruxelles, elle n’a pas été rebutée. Au contraire, elle s’est dit que ce serait une bonne opportunité pour élargir ses connaissances cinématographiques belges. Elle a vu dix films sur les 170 proposés. Elle aurait aimé pouvoir en découvrir davantage. Il faut dire que la programmation est très dense, sur plusieurs lieux et regroupée sur l’après-midi et la soirée. Les choix sont donc cornéliens et le don d’ubiquité est exigé chaque jour.

Connaissait-elle le cinéma belge précédemment? « Oui, les frères Dardenne, François Damiens, Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, Lucas Belvaux. Et bien sûr Chantal Akerman. »

 

Et qu’a-t-elle découvert pendant Travelling Bruxelles ?  » Fiona Gordon et Dominique Abel ! » (Photo Maryline Laurin) s’exclame-t-elle sans hésiter.  » J’avais vu La Fée à sa sortie. Là, j’ai pu voir leurs trois films et leur leçon de cinéma. Avec des inédits comme leur court métrage Cupidon». C’est aussi à cette occasion que j’ai découvert qu’ils étaient en fait trois coréalisateurs, et donc l’existence de Bruno Romy.  J’aime beaucoup la façon dont ils reprennent le burlesque en y ajoutant un côté très contemporain. Il y a beaucoup de sensibilité dans leur cinéma. Je pratique la danse, donc cet aspect-là m’a forcément beaucoup touché aussi. Mon autre grande découverte c’est Bouli Lanners et Les Géants. On sent que c’est un film de cœur. Les films belges ce sont des films qui font du bien. Malgré les sujets graves qu’ils peuvent traiter, il y a toujours de l’humour. J’ai évité les Dardenne parce que je les connaissais. J’ai aimé La vie sexuelle des Belges de Jan Bucquoy, son humour, son côté anarchiste. Un côté Nouvelle Vague aussi. »

Lorsqu’on lui demande si elle voit une différence entre le cinéma français et le belge. Elle répond instantanément: « On se marre plus ! Ils sont plus détachés, moins « prise de tête ». On sent plus le groupe, un sens de la solidarité. Pourtant ce n’est pas un pays qui s’insurge beaucoup… Ils ont l’air de faire leur affaire dans les associations. Par contre, j’ai remarqué que le cinéma belge filme beaucoup les petits coins. »

Les petits coins ?

« Oui, les toilettes ! Ils se filment beaucoup en train de les utiliser. C’est peut-être à cause du Manneken Pis !« , conclut-elle en riant.

Danielle conclut qu’elle va désormais « guetter le cinéma belge » et pas seulement celui des frères Dardenne, car elle pense « qu’il faut céder la place ! »

 

[Photo Maryline Laurin]

 

Manuel (photo) et Gaël sont agents d’accueil au Ciné TNB de Rennes. Manuel ouvre le feu : « Moi j’aime beaucoup la Belgique. C’est un pays étonnant. Je vais souvent à Bruxelles. De Rennes c’est facile. »

« Beaucoup de Bretons sont là-bas », renchérit Gaël. « Il y a une similitude entre les deux, ce sont des « villes–villages»; on croise les gens dans la rue ».

Il dit avoir découvert le cinéma belge par le biais du théâtre belge qui a explosé il y a une dizaine d’années.  » Ils avaient une belle énergie. La force des Belges c’est qu’ils n’ont pas un patrimoine qui les écrase comme les Français. Du coup, ils sont plus irrévérencieux! Il y a une vraie liberté. Ils s’en foutent de ce qu’on va penser. Il y a le collectif qui joue aussi beaucoup chez eux. »

Manuel a été très impressionné par Bouli Lanners venu présenter son film Les Géants au Ciné TNB.

 

[Bouli sur le tournage des Géants]

 

 » Il est très carré, dans le sens pro, consciencieux. Avant la séance il est venu tout vérifier avec moi, voir si la couleur manquait de peps ou pas, le son. Mais tout ça avec une grande simplicité. Ce n’était pas pour chipoter, on sentait juste que c’était son bébé. Il voulait seulement que la séance soit parfaite. Pendant la projection, il est resté là, on a un peu parlé et il a fait une petite sieste. Il avait couru de présentations en interviews depuis le matin. Puis il a tenu à faire une rencontre avec le public à l’issue de la séance. Il n’y avait personne de l’organisation du festival, il a improvisé ça tout seul. Il était super content et le public encore plus. Il y a eu un vrai engouement pour lui, certaines personnes n’ont pas hésité à filouter pour rentrer dans la salle étant donné qu’elle était comble. C’est rare chez nous, mais là on sentait la nécessité d’y être ! Vraiment ,c’était une belle édition. Pas étonnant. Ils y vont les Belges. »

Gaël ajoute : « aucun spectateur n’a demandé si les films étaient en flamand ou en français. Nous n’avons pas ressenti de différences par rapport aux identités. Avoir le privilège de voir des films en avant-première, avant les autres est très apprécié des spectateurs  Ensuite ils peuvent en parler autour d’eux, donner leur avis! En plus Bullhead concourt pour l’Oscar, ça attire forcement du monde ».

Devant l’affluence du public et le nombre de personnes refusées, des séances supplémentaires ont été mise en place.

 

[Photo Maryline Laurin]

Ella (photo) est flamande, elle vit à Gand et actuellement fait des études de psychanalyse à Rennes. Elle s’est proposée avec son amie Rosa pour être bénévole pendant le festival : « J’étais curieuse de voir l’interprétation de la France par rapport à la Belgique.

 

[Photo Maryline Laurin]

 

 » Ella et Rosa ont été retenues comme accompagnatrices et traductrices des réalisateurs flamands Kadir Balci (photo ci-dessus) ,Geoffrey Enthoven (photo par Maryline Laurin), Alex Stockman.

Ella a aussi fait les « VoiceOver » sur les courts métrages flamands en compétition n’ayant pas de sous titrage.

On les a aussi remarquées dans le salon du Liberté tricotant sans perdre le fil de l’actualité du festival. Malgré leurs cours et leurs « accompagnements » elles ont réussi à assister à quelques séances.

Ella était ravie :  » Quand tu parles avec le réalisateur tu vois le cœur de son film. Il explique son sujet, les signifiants. En tant qu’étudiante en psychanalyse, je buvais leurs mots. Mon coup de cœur : Bouli Lanners. J’avais vu Les Géant. J’ai été conquise par ses autres films et sa carte blanche. Et Abel et Gordon bien sûr !« 

En France, quand on parle des films belges on parle toujours de la Wallonie et pas de la Flandre. Pour moi, c’était un peu l’inverse. Avec Travelling Bruxelles j’ai découvert les films wallons, ils sortent très peu en Flandre à cause de la barrière linguistique. Je connaissais certains films mais pas les réalisateurs parce qu’ils ne sont pas très populaires chez nous. Je suis contente que les réalisateurs flamands aient été représentés ici. »

Ella a beaucoup aimé le travail de Kadir Balci et apprécié son immense gentillesse.

Trois témoignages parmi tant d’autres, avec des particularités et des points communs, notamment le plaisir d’avoir été conquis par un cinéma novateur et passionnant : le cinéma belge. Aujourd’hui, les cinéphiles bretons en savent sans doute plus sur le cinéma belge que les spectateurs d’ici. Vous avez dit paradoxe?

Demain, dernier volet du dossier Traveling, une conclusion bien sûr. Qu’est-ce que le cinéma belge pour le public rennais? Et plus largement : qu’est-ce que le cinéma belge tout court? Parce que le point de vue de Sirius est toujours enrichissant pour nous tous qui avons, selon l’expression (en)cyclopédique consacrée, « le nez dans le guidon ».

 

 

[Photo d’ouverture par Gwénael Saliou]

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