Avant le festival Travelling, le public local, comme le public français en général oscillait entre deux visions de la production belge : une cinématographie « gaie, déjantée, souvent bricolée, culottée et déculottée, atypique et résolument bourrée de clichés et de dérision sur son propre pays ». Parfois un peu trop potache, inspirée par C’est arrivé prés de chez vous ou La Merditude des choses. Et une autre cinématographie « plus intello, conformiste, ancrée dans des réalités sociales, des luttes, une pauvreté… produisant beaucoup de documentaires et fréquemment invitée ou primée en festivals ». Des films un peu « plombés » qui pouvaient faire peur. De Misère au Borinage à L’enfant.
De ce fait en dehors de l’inconditionnel capital sympathie dont bénéficiait la Belgique il n’était pas sûr a priori que cette édition de Travelling déchaîne les foules. Et pourtant…
Par Maryline Laurin
[Photo Maryline Laurin]
Au final, 39 000 entrées ont été enregistrées. Les salles combles étaient monnaie courante, notamment lors des avant-premières. On nota des centaines de personnes refusées, la mise en place de séances de rattrapage, des rencontres inaccessibles, car bondées pour ne citer que celle d’Abel, Gordon et Romy. Les séances scolaires, bien que diminuées par une météo catastrophique, furent aussi le lieu de riches échanges avec des cinéastes comme Jaco van Dormael, Olivier Masset-Depasse…
Les réalisateurs belges ont d’ailleurs salué l’efficacité du travail mené tout au long de l’année par l’équipe de Jacques Froger dans le cadre des dispositifs d’éducation à l’image.
Pourquoi un tel succès? Il faut rappeler que nombre de films belges sortant en France sont francophones et donc généralement assimilés à des films français. En dehors de Jaco van Dormael et des emblématiques frères liégeois, le public rennais paraissait connaître peu de réalisateurs belges.
Les « cartes blanches » et plus encore les « leçons de cinéma » ont profondément modifié la donne. En partant à la rencontre d’un auteur, le public mis dans la connivence des coulisses de son travail, de ses films préférés, n’a alors eu de cesse que de découvrir la filmographie complète de celui-ci.
Comme le souligne Jacques Fretel, directeur du ciné TNB : « des films identiques à La Fée ou Les Géants qui n’ont pas eu le succès attendu à leur sortie en France ont pris un nouveau départ par le biais du festival. ». Il ne serait pas surprenant que les ventes et locations DVD de films belges s’envolent en Bretagne.
Il faut aussi tenir compte de la grande claque assenée par les réalisateurs flamands. Outre l’époustouflant Bullhead-Rundskop de Michaël R. Roskam et le truculent Hasta la vista de Geoffrey Enthoven qui sortent en France actuellement, retenez deux noms : Kader Balci et son très juste Turquaze et le magnifique Pulstar d’Alex Stockman. Deux films inédits en France. Sans oublier le très touchant Badpakje 46 de Wannes Destoop déjà récompensé à Cannes et qui reçut une mention dans la compétition court métrage belge.
Même si la Cinémathèque Royale de Bruxelles nous a permis d’accéder à des merveilles comme le film muet d’Alfred Machin (1913) Saida a enlevé le Manneken Pis, petit bijou de dérision à la Buster Keaton, il est clair que la force du cinéma belge se trouve dans ses œuvres contemporaines. Ainsi le parti-pris de Anne Le Henaff, d’axer la programmation sur la production actuelle avec un volet Portraits des cinémas belges au présent plutôt que sur celle d’une « rétrospective-hommage » fut judicieux et porteur. De même que le Gros plan sur l’Animation belge en vogue en ce moment.
Un public rennais curieux a donc rencontré un curieux cinéma belge. Il est fort à parier que l’histoire d’amour ne fait que commencer! Alors finalement…
Le cinéma Belge, c’est quoi ?
Désormais l’inclassable cinéma belge, ne s’affiche plus seulement comme un cinéma de noms, porté par la renommé des frères Dardenne ou de ses célèbres acteurs ayant fait carrière en France (Benoît Poelvoorde, Cécile de France, Olivier Gourmet ou François Damiens…), mais comme un cinéma de renom, en passe de renommée internationale.
Les films flamands se font de plus en plus remarquer et il faut compter avec eux. La polémique interne autour du film devant représenter la Belgique aux Oscars (Bullhead de Michaël R. Roskam plutôt que Le gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne) l’a bien prouvé. Flandrimage ne s’y est pas trompé en jouant la carte de « L’autre cinéma belge » et en éditant dès 2009 un ouvrage du même nom présentant vingt réalisateurs flamands. Il fut commandé à Alex Masson, critique cinéma et membre du comité de sélection de la Semaine de la critique au Festival de Cannes. Toujours l’intérêt de ce fameux regard extérieur.
En privilégiant le cinéma d’auteur au profit des habituelles comédies commerciales locales, le cinéma flamand est en train de rejoindre le cinéma belge (francophone donc), en tout cas dans le regard du grand frère français et des cinéphiles internationaux. Quel paradoxe lorsqu’on habite le même pays ! Cette reconnaissance amènera-t-elle des sorties simultanées en Flandre et en Wallonie, un financement conjoint des productions et un public enfin conquis par les siens ? (ndlr. Le succès de Rundskop aux récents Magritte et la création d’un fonds économique flamand calqué sur Wallimage tendent en effet à valider ces options)
[à droite Louis Heliot – Photo Maryline Laurin]
Dans sa leçon de cinéma, Louis Heliot (CWB) nous raconta merveilleusement bien la naissance et l’éclosion de ce jeune cinéma belge, dans un silence quasi religieux, devant un public avide de connaissances qui semblait se laisser conter la « vie ciné » des Belges comme il écoutait, enfant, de beaux contes commençant par « il était une fois… »
Bouli Lanners expliqua qu’il avait de plus en plus d’interactions entre cinéma belge et français : la multiplication des coproductions franco-belges amène les acteurs, les techniciens du plat pays à travailler en France et inversement. Pourtant, d’après lui il persiste une différence fondamentale : « un film belge je ne sais pas pourquoi, mais ça ne fait pas film français ! »
Ha oui? Et pourquoi donc? C’est ce que nous tenterons de cerner demain…
[Photo d’ouverture par Maryline Laurin]