Henri de Gerlache: « on vit un bouleversement démocratique passionnant »

Crédit: © Augustin Viatte_Belgica Films

Interview avec Henri de Gerlache, à propos de Soeurs de Combat, le documentaire consacré au parcours et à l’engagement d’une poignée de jeunes militantes éco-féministes, mis en regard avec l’expérience d’une pionnière en la matière, Julia Butterfly Hill. 

Quelles sont les origines de ce projet?

En 2017, j’ai fait une série qui s’appelait Histoires d’arbres pour Arte. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Luna, le séquoia californien, et que j’ai découvert l’histoire de Julia Butterfly Hill. Julia m’a beaucoup ému, et je suis rentré du tournage en me disant qu’il fallait que je fasse quelque chose sur l’histoire extraordinaire et lumineuse de cette femme.

J’ai commencé à écrire un projet sur son histoire, quand ont émergé les figures de ces jeunes activistes écologiques, emmenées par Greta Thunberg, et j’ai trouvé que cela entrait incroyablement en écho avec l’histoire de Julia. Elle aussi avait 20 ans à l’époque où elle s’est engagée. Il y avait une énergie féminine en commun, la jeunesse, l’envie de transformation, de faire bouger les choses… 

Et puis quand Greta Thunberg est venue en France et que de vieux parlementaires lui ont sauté dessus en lui disant qu’elle n’y connaissait rien, qu’elle ferait mieux de retourner à l’école, ça m’a atterré, mais ça m’a surtout donné envie de les connaître mieux, ces jeunes femmes, de savoir d’où venait leur engagement, de connaître leur parcours, et leurs envies. D’aller plus loin que les images figées et toutes faites que l’on se faisait de ces militantes via les journaux télévisés.

Croiser les destins, c’est aussi inscrire le parcours de ces jeunes militantes écologiques dans l’histoire moderne de l’activisme, ainsi que dans l’histoire de l’éco-féminisme. 

Absolument. On parle d’éco-féminisme depuis les années 70, c’est une notion qui est parfois mal comprise, quand on la réduit au fait que les femmes se cantonneraient ainsi au soin de la nature, mais évidemment l’éco-féminisme va bien au-delà de ça. On a pu voir ces dernières années que lon retrouvait surtout des jeunes femme au premier plan de ces combats. Je me suis demandé ce que cela pouvait bien raconter. Anuna De Wever en parle assez bien, de la manière dont ces jeunes femmes se sont emparé de ces sujets, quand certains hommes peuvent avoir tendance à trouver ces thématiques un peu bobo. Alors qu’il s’agit de survie! C’était l’une des thématiques que je voulais aborder, pourquoi et comment résonne cette sororité? Qu’est-ce que ça veut dire pour elles?

Julia voit de façon très mystique son combat comme connecté aux racines des arbres, mais on retrouve aussi cette notion de connection chez ces jeunes femmes qui parlent d’une dynamique militante mondiale, qui transcende les frontières. 

Oui, l’interconnexion est au coeur de leur combat. Elles se sont emparées des outils modernes, des nouveau moyens de communication pour les mettre au service de leur lutte. C’est une interconnexion numérique permanente, c’est aussi une sorte de réseau racinaire, qui les unit très fort, elles se croisent en vrai ou sur les réseaux, ça crée une vraie dynamique, très positive. 

Il était important pour moi de confronter le portrait de ces jeunes femmes d’aujourd’hui, de leur manifestation, de leur engagement à l’histoire de Julia, qui est assez métaphorique, sise dans des paysages majestueux. 

Henri de Gerlache avec Julia Butterfly Hill Crédit: © Augustin Viatte_Belgica Films

Le titre, Sœurs de combat, inscrit ces jeunes femmes dans une lutte pleinement assumée, et en fait, si ce n’est des guerrières, du moins des combattantes. 

Je tenais au mot « sœur », car Julia est vraiment la grande soeur qui leur délivrer un message qui fait basculer le film vers un lien plus organique qui se tisse tout à coup, de l’ordre de la sororité.

Quant au combat, il est incontournable aujourd’hui. Un combat, ce sont aussi des obstacles, des épreuves, des difficultés qu’elles rencontrent sans cesse. Mais j’ai l’impression qu’à travers elles, leur génération, on vit un bouleversement démocratique passionnant, que les choses n’ont jamais autant bougé sur ces sujets que depuis ces cinq dernières années, et elles sont surement les actrices principales de ce changement, sans même s’en rendre compte. Elles trouvent toujours qu’on doit aller plus loin, plus vite et plus fort, mais elles ont déjà fait bouger les lignes. Elles sont les artisanes de ces transformations, sans toujours en avoir conscience. 

Et puis elles se sont surement lancées dans le combat d’une vie. C’est une espèce d’engrenage, Anuna le raconte très bien, une fois qu’elles commencent le combat, elles se rendent compte que cela va déterminer leur vie et leur parcours, qu’elles choisissent des voies plus politiques ou plus associatives. 

Il est intéressant de voir que les adultes peuvent voir leur combat comme un sacrifice, de leur jeunesse notamment, alors qu’elles l’envisagent plutôt comme une responsabilité. 

Il y a forcément quelque chose dans l’engagement où l’on se dépasse, qui relève d’une certaine foi, et pourquoi pas, d’un sacrifice. Je pense qu’elles sont toutes d’accord sur le fait de se sacrifier pour quelque chose de plus grand que soi. Par contre, mettre son propre confort, sa jeunesse en jeu, elles ne voient pas ça comme un sacrifice. Elles estiment qu’elles n’ont pas le choix en fait. Ce qui m’a beaucoup impressionné chez elles, c’est leur connaissance si pointue et si précise des dossiers dont elles parlent. Elles ont une connaissance scientifique que je n’avais certainement pas à leur âge. Elles ont un engagement fort, un idéalisme peut-être dû à leur jeunesse qui les transporte et les transcende, mais aussi une connaissance scientifique et théorique.

Julia parle de deuil et de colère, mais il y aussi un désir de lutter dans la joie. 

J’ai voulu veiller à ce qu’une énergie positive soit transmise par le film, c’est ce qui s’est dégagé quand je les ai rencontrées. C’est vrai qu’on parle beaucoup de jeunesse sacrifiée, d’éco-anxiété, de désespoir, de no future, mais je crois sincèrement qu’elles ne sont pas dans cette dynamique là, au contraire. 

Elles veulent mener leur combat dans la joie. Et se dire que même si celui-ci n’aboutit pas, même si au final il s’avère vain, elles auront connu le bonheur de faire ça dans la joie du collectif, de la solidarité.

Elles ont une façon très moderne de réfléchir la lutte, d’envisager le combat avec, et pas contre. Une façon féminine sûrement, elles parlent d’ailleurs beaucoup d’éducation, de la façon dont on élève les garçons. Le fait qu’elles soient des femmes a une influence sur les modalités de la lutte. 

Absolument. Et je suis très content qu’elles aient abordé ce sujet-là. Elles ont une manière à elles de mener le combat, plus dans la réconciliation que dans l’affrontement. Ce n’est pas être contre, c’est être avec, et c’est très différent, ce qui me semble être très féminin, sans vouloir faire d’essentialisation. 

Avec Adélaïde Charlier
Crédit: © Augustin Viatte_Belgica Films

C’est une vision anti-patriarcale du combat. On constate qu’en tant que jeunes femmes, elles sont au croisement de plusieurs discriminations, sexistes, bien sûr, jeunistes aussi. Elles doivent être capables d’absorber les coups pour faire face.

Exactement. Elles doivent aussi faire face à de vraies menaces, des violences physiques, certaines sont protégées lors des manifestations. Elles dérangent. Elles dérangent un système en place depuis longtemps. Elles en ont conscience, et avancent avec courage et détermination.    

Elles sont aussi la cible d’une vraie violence médiatique, qui fait écho à l’expérience de Julia trente ans plus tôt, qui doit elle aussi apprendre à jouer le jeu des médias. Elles doivent apprendre aussi à s’en servir pour faire passer leur message.

Les jeunes filles d’aujourd’hui ont clairement une plus grande éducation à l’image et aux médias que Julia à l’époque. Elles vivent dans une fournaise médiatique, et savent qu’elles peuvent en profiter, mais les emballements médiatiques restent souvent de vrais obstacles dans leur combat. C’est notamment le cas pour Greta Thunberg, que je n’ai sciemment pas choisi d’interviewer. Les gens ont une image toute faite d’elle à cause du tourbillon médiatique dans lequel elle a été emportée. Aujourd’hui chacun s’est fait une image d’elle sans la connaître. 

Montrer toutes ces autres jeunes femmes, c’est aussi faire nombre, monter que cette lutte n’est pas un épiphénomène, juste une jeune Suédoise qui s’est levée dans son coin, c’est une lame de fond. Comment avez-vous choisi vos protagonistes? 

C’est le fruit d’un long travail que j’ai mené avec Alexandra Ternant qui a participé aussi à l’écriture du projet. On a discuté pendant le Covid à distance avec beaucoup de militantes pour apprendre à se connaître. Évidemment, il y avait des figures incontournables pour nous en Belgique en première ligne. Mais je voulais aussi que soient représentés des pays, des réalités, des milieux sociaux différents. On peut parfois avoir l’impression que c’est un combat de bobos, ou de jeunes filles de bonne famille, mais je voulais montrer que si ces jeunes filles sont si bien informées, ce n’est pas forcément parce qu’elles viennent de milieux privilégiés, c’est parce qu’elles ont voulu l’être, c’est pour ça que j’ai voulu un panel un peu large, avec des parcours différents. 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans leurs discours? 

C’est leur profonde connaissance des dossiers. Ce qui m’a frappé aussi, c’est le temps incroyable qu’elles mettent dans cet engagement. Leur capacité de réaction sur tous les sujets, d’être en éveil permanent, c’est fascinant. Lena par exemple passe ses vacances dans la ZAD de Notre-Dame des Landes, pour rencontrer une communauté qui réfléchit l’agriculture mais aussi la démocratie autrement. Elle continue à apprendre, même en vacances. 

C’est un combat qu’elles mènent H24 dans leur quotidien, un engagement de chaque instant, qui impacte leur mode de vie.

Comment avez-vous fait le choix de la voix off, dite par Cécile de France? 

Je me suis beaucoup questionné, il fallait une voix reconnue pour porter le film, mais il fallait aussi quelqu’un qui puisse aussi incarner la cause. Finalement le nom de Cécile de France est arrivé assez naturellement. On ne le sait pas forcément, mais c’est quelqu’un d’assez engagé sur ces questions, en toute discrétion. C’est une thématique qui la concerne, qu’elle vit de manière intime. Elle a accepté tout de suite, alors qu’elle était en plein tournage. C’est un art particulier, de se mettre au service d’un film. Elle le fait très bien, et c’est une magnifique ambassadrice pour le film.

Check Also

Raphaël Balboni: « La Fête du court métrage »

Raphaël Balboni et Ann Sirot parrainent La 3e Fête du court métrage qui se tiendra …