Hier à la Berlinale était présenté Hellhole, deuxième long métrage de Bas Devos, déjà primé à Berlin en 2014 avec son premier long, Violet. Le film était montré dans la section Panorama.
C’est peu de dire que les attentes était élevées tant Violet représentait pour beaucoup un choc esthétique inédit, réminiscent pour certain du travail de Gus Van Sant. D’autant que le réalisateur intégrait en début de semaine la très prestigieuse liste « Ten Europeans to Watch » du magazine professionnel américain Variety. Ajoutez à cela que Hellhole se situe à Bruxelles, au lendemain des attentats qui ont secoué la ville en mars 2016, et vous obtenez un cocktail explosif d’espoirs et d’attentes.
Avec Hellhole donc, Bas Devos offre une lecture inédite de l’histoire hyper contemporaine de la Belgique, dépeignant une ville blessée au plus profond de sa chair, sur laquelle plane l’ombre d’autant de morts absurdes qui frappent au hasard d’un quai de métro. Cette ville est incarnée par une poignées d’âmes errantes, perdues dans l’immensité de leur peine et de leur peur. Des militaires en armes qui arpentent les gares aux réfugiés du Parc Maximilien. Du jeune homme poussé au pied des tours du Nord de la ville à l’eurocrate italienne, en passant par le notable flamand, tous semblent ressentir le même vide, nourri par la peur constante d’entendre à nouveau détonner une bombe, et d’être cette fois-ci au mauvais endroit.
Et maintenant, on fait quoi? Dans Hellhole, Bas Devos sonde l’âme d’une ville et de ses habitants en état de choc après un attentat. Chaque Bruxellois ou presque est impacté par cet évènement terrible, cicatrice meurtrière dans une ville en plein choc post-traumatique.
Wannes (Willy Thomas, Vele Hemels, Fallow) est médecin. Alors qu’il se bat contre sa propre solitude, et l’absence de son fils, pilote d’avion de chasse en mission au Moyen-Orient, il est au chevet de la ville et de ses habitants.
Il écoute notamment Mehdi (Hamsa Belarbi), jeune homme d’origine algérienne, qui peine à reprendre pied. Comment être un jeune musulman aujourd’hui à Bruxelles, « capitale djihadiste de l’Europe »? Cette ville où se pressent des migrants, parqués dans des campements de fortune, au pied des tours. Cette ville que le Président américain n’hésite pas à traiter avec mépris de « trou à rats » (hellhole en anglais). Cette ville touchée en plein coeur par un trou, des absences, le vide de ceux qui ont disparu.
Mehdi pris pour ce qu’il n’est pas, se retrouve sidéré par un conflit de loyauté entre ses parents et son frère. Le poids abyssal de l’impossible choix pèse sur ses épaules, déjà meurtries par le regard des autres.
Samira se sent comme une rescapée. Partout, les stigmates, les militaires en arme, les fantômes des victimes. Samira, interprétée par Lubna Azabal, qui vient de recevoir le Magritte de la Meilleure actrice pour son rôle dans Tueurs, dit la colère et la peur de tout un chacun.
Une peur partagée par Alba (Alba Rohrwacher vue dans Heureux comme Lazzaro, Troppa Grazzia, Les Fantômes d’Ismaël), traductrice pour les institutions européennes, incarnation de l’eurocratie bruxelloise et de sa tour de Babel, qui perd peu à peu le contrôle de son existence pourtant réglée comme du papier à musique. Quand la peur s’immisce et la fatigue s’abat, qu’en sera-t-il de demain?
C’est une ville traumatisée, peuplée des fantômes des victimes de cette guerre moderne qui se déploie du Moyen Orient aux rues de Bruxelles, qui panse ses plaies tant bien que mal, que filme Bas Devos. Il y filme le vide, le rien, ce trou que l’on retrouve dans le titre, ce néant qui s’exprime dans l’espace (on pense aux nombreux appartements vides ou aux rues désertes) mais aussi dans le temps, avec de longs plans parfois fixes, parfois lentement mobiles, où le temps devient presque une distance parcourue par le spectateur.
Comme pour son premier film, le cinéaste a confié la photo au chef opérateur Nicolas Karakatsanis (Un ange, I, Tonya, Le Fidèle), avec lequel il a fait déjà travaillé pour son premier long, Violet, qui livre une fois de plus un travail saisissant.
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