Son nom est Habib

Avec son cinquième long métrage, Habib la grande aventure, comédie facétieuse et mélancolique, Benoît Mariage conte une fable contemporaine sur un jeune comédien tiraillé par ses identités multiples, navigant à vue entre les injonctions de son métier et celles de sa communauté.

Habib est tiraillé entre là d’où il vient, et là où il voudrait aller. Ses rêves d’art et d’accomplissement sont entravés par l’image qu’on lui colle à la peau, et par les attentes déposées en lui, aussi bien par ses proches, que par le monde extérieur. Jeune comédien en herbe, il aspire à une vie libérée des assignations, dépouillée aussi du superflu, comme par exemple, ces identités qui vous enferment et vous contraignent.

Au commencement, Habib était un doux rêveur. On le rencontre au réveil, encore un peu plongé dans le sommeil. Il apostrophe deux pigeons qui roucoulent à sa fenêtre. Comme son modèle, il aspire à parler aux animaux. Il vante l’humilité des oiseaux, leur sens de la contemplation. Habib est dans le rôle, et peut-être un peu plus encore. Il s’apprête à endosser le costume de François d’Assise pour une pièce au Théâtre National. Un costume de Saint donc, ce qui n’est pas sans poser quelques questions quant à son engagement. Comment annoncer à sa famille, certes pieuse, mais mue par une autre foi, qu’il va incarner ce héros?

Entre les petits rôles d’Arabes de service qui parcourent sa brève filmographie, et ce rôle titre ancré dans la religion catholique, difficile de faire passer son choix professionnel auprès de ses parents, représentants des traditions. Jusqu’au jour où au hasard d’un casting, il décroche une apparition un peu particulière: quelques minutes aux côtés du Cinéma lui-même, une étreinte avec Catherine Deneuve. De quoi peut-être réconcilier sa famille, voire sa communauté, avec son métier. Cette aventure extraordinaire l’amènera à faire un petit pas pour l’humanité, mais un grand pas pour lui: assumer haut et fort son prénom. Il s’appelle Habib.

A travers ce portrait d’artiste singulier, c’est aussi le portrait d’une époque que Benoît Mariage dresse sans en avoir l’air, illustrant la quête identitaire d’un jeune homme perdu entre ses origines et ses aspirations, tenté par la puissance d’une foi qui n’est a priori pas la sienne, et qui se choisit un modèle ancestral, figure d’une décroissance ultra moderne, chantre d’un dénuement heureux. C’est un autre regard aussi posé sur Molenbeek, un regard poétique qui donne une autre vision de la commune, loin du prisme sensationnalisme à travers lequel on l’observe souvent.

Mais cette quête spirituelle est finalement avant tout une quête identitaire. Habib va apprendre, au fil de cette grande aventure, à s’autoriser à être soi-même. A force de louvoyer, se chercher des références, c’est un peu de lui qu’il a perdu en route, plus que de son père contre lequel il cherche à se construire. « Tu es mon père, mais je ne suis plus ton fils », proclame-t-il fièrement à son géniteur, à l’image de François d’Assise. Habib rompt des liens pour mieux en créer de nouveaux, dépasser la honte et s’inscrire à sa façon dans le monde. Sa grande aventure, finalement, c’est de clamer haut et fort: je suis Habib.

Derrière cette quête personnelle, Benoît Mariage dévoile en passant l’envers du décor du cinéma, en offrant une vision malicieuse et absurde, portée par l’interprétation gentiment hallucinée de Bastien Ughetto (vu notamment dans Adieu les cons) dans le rôle d’Habib, par une flopée de seconds rôles savoureux, et bien sûr, par l’iconique Catherine Deneuve, telle la fée du conte qui vient adouber la fable de sa baguette magique.

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