Guillaume Senez: « comment faire face quand le fragile équilibre familial est rompu? »

Son deuxième long métrage, Nos Batailles, est projeté aujourd’hui en avant-première mondiale à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique. Après Keeper, qui abordait la question d’une grossesse adolescente non désirée à travers le regard du jeune père, le réalisateur questionne une fois encore la notion de paternité, s’attardant cette fois-ci sur Olivier, la quarantaine, qui se retrouve seul avec ses deux enfants sans jamais y avoir été préparé. Nous avons rencontré Guillaume Senez, qui revient sur ce projet plein de résonances.

Quelles sont les origines du projet?

Je me suis séparé de la mère de mes enfants il y a 5 ans. Je me suis retrouvé seul avec eux, en garde alternée, et ça a soulevé plein de questions. Apprendre à les écouter, les regarder, les comprendre. Ca a été très difficile, et en même temps très beau, parce que j’ai appris énormément de choses.

J’étais en train de préparer Keeper, je ne savais pas si le film allait se faire ou pas, j’étais dans une situation très précaire, comme tout réalisateur qui attend son premier long, se retrouvant soudain sans appartement, ne sachant pas si le film allait se faire… Je me suis demandé: qu’est-ce qui se passerait si la mère de mes enfants partait refaire sa vie au Québec, ou pire s’il arrivait un malheur? Je pense que je n’arriverais pas à trouver l’équilibre, à mener de front ma carrière dans le cinéma et m’occuper de mes enfants. C’est né de là, trouver l’équilibre entre l’engagement professionnel, et l’engagement familial.

Comment faire face à la vie moderne, en somme?

C’est exactement ça, comment faire face à un changement sociétal qui impacte lourdement la vie familiale, cette nouvelle répartition des tâches parentales. Même si ce n’est pas directement un film sur le travail, on y parle des répercussions du monde du travail sur la famille. Je connais beaucoup de couples autour de moi où les deux personnes travaillent, et qui galèrent pour organiser la vie familiale, d’autant que les fins de mois sont difficiles. Qu’est-ce qui se passe si l’équilibre est rompu? Déjà à deux… C’est une situation qui se multiplie. Ca fait partie du monde moderne, le travail empiète de plus en plus sur la famille, ses problèmes, ses pressions ne restent pas sur le pas de la porte quand on rentre à la maison. De façon très théorique, ça revenait un peu à se demander comment la sphère familiale peut faire face à ce capitalisme 2.0

D’autant qu’Olivier appartient à une génération charnière, il est coincé entre son rôle de père et son destin de fils, il n’a pas été élevé pour prendre sa paternité à bras le corps.

J’aimais bien l’idée qu’il reproduise le schéma de son père, alors qu’il sait bien que ce n’est pas forcément le bon schéma. Mais on n’apprend pas à être père, ni à être mère. Il s’enfonce dans une brèche qu’il connait, mais qui n’est pas forcément la bonne. Souvent, soit on reproduit complètement le schéma familial, soit on va complètement à l’opposé. Ici on a Olivier qui reproduit le schéma de ses parents, et sa soeur Betty qui va complètement à l’opposé. C’est aussi ce que j’aime bien dans leurs disputes! Chacun remet en question le choix de vie de l’autre.

Finalement, le film pose la question: être là pour ses enfants, c’est quoi?

C’est une question que l’on a souvent débattue en écrivant le scénario. Qu’est-ce qui compte: la qualité du temps passé avec ses enfants, ou la quantité? Après, il faut de toutes façons être là… Et chacun se fait son avis.

Moi ce qui me plaisait, c’était de montrer à quel point il est difficile d’aider les gens qu’on aime. Quand l’affect est là, c’est hyper compliqué. Par exemple en tant que père, j’ai beaucoup de mal à rassurer mon enfant quand il a peur ou mal chez le médecin. Alors que je suis sûr qu’avec un autre enfant, je saurais trouver les mots, le raisonnement.

C’est ce qu’on a essayé de faire avec Romain Duris en imaginant Olivier, c’est un personnage qui n’arrive pas à aider les gens qu’il aime. Il n’arrive pas à aider sa femme, il n’arrive pas à communiquer avec elle. Il n’arrive pas à aider ses collègues. Avec ses enfants, c’est la même chose au début. Il apprend petit à petit à communiquer avec eux, et à devenir père.

Il oscille entre la responsabilité et l’impuissance

Oui, il y a quelque chose de très terre-à-terre dans sa position dans son entreprise, et il se comporte un peu pareil à la maison, ce qui ne fonctionne pas évidemment. Ce que j’aime chez ce personnage, c’est qu’il fait souvent les choses très maladroitement, mais il le sait et il s’excuse, et ça c’est très touchant. Il a cette conscience là.

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Les scènes tournées dans l’usine de conditionnement ont un impact esthétique et émotionnel très fort.

Au début, le monde syndical était plus présent, le travail avait plus de place. Mais au fur et à mesure de l’écriture, on s’est recentrés sur la famille, la vraie bataille. Mais je voulais montrer le monde du travail aujourd’hui, l’uberisation de la société. Les combats, quelqu’ils soient, sont de plus en plus durs à mener. Quand on a des idéaux, c’est difficile d’aller jusqu’au bout, surtout quand on a une famille, des enfants…

Il fallait trouver une usine qui accepte de nous recevoir malgré notre propos, et on a eu beaucoup de chance. L’usine où on a été, qui a d’ailleurs un vrai regard attentif et bienveillant sur ses employés, nous a accueilli les bras grands ouverts. Cette usine gigantesque offrait une mise en perspective très visuelle de la problématique d’Olivier. Sa place dans le monde du travail nourrit le personnage en filigrane. Ca montre qui il est, sa complexité. Ca le nourrit dans son échec et son impuissance. C’est important de savoir dans quel monde vivent les personnages. C’était un peu la même chose avec le monde du football dans Keeper.

Ce sont deux mondes en mutation, la famille et le travail.

Oui, en France ce sont 8% des employés qui sont syndiqués. En Belgique, c’est près de la moitié. Amazon, Uber, c’est un monde sans aucune sécurité de l’emploi. L’évolution d’Olivier au sein de son travail et de sa famille se fait en parallèle, des deux côtés, il est de plus en plus engagé. Ce n’est plus le monde de ses parents.

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L’un des grand enjeux du film, c’était de traiter l’absence de Laura, la mère?

Oui, le défi, c’était de continuer à faire exister Laura. Il ne fallait pas condamner ce personnage, alors que ce n’est pas évident, une mère qui abandonne ses enfants, c’est tabou. L’idée que Laura disparaisse, et qu’on ne la juge pas, qu’on ne la condamne pas, c’était très important. Encore aujourd’hui, c’est tabou quand une femme abandonne son foyer. Alors que quand un père abandonne sa femme et ses enfants, personne ne relève ou presque. Je voulais montrer autre chose. Olivier ne la condamne jamais, et continue à l’aimer.

Cette absence de Laura, on l’avait beaucoup traitée dans le scénario bien sûr, mais on l’a aussi beaucoup retravaillée au montage. Il fallait trouver l’équilibre, ne pas la montrer trop fragile, pas trop présente non plus. Et il fallait aussi montrer qu’elle n’était pas à sa place, montrer le malaise, le fait qu’elle n’était pas épanouie.

Olivier est entouré de femmes finalement?

Oui, il est perdu, seul, et lui en fait, inconsciemment, a besoin d’une femme à ses côtés pour se rassurer. Il ne sait pas faire autrement. Il a besoin de sa femme, et quand elle disparait, il s’appuie sur sa mère, sa soeur, sa collègue. Il s’accroche, c’est sa façon d’essayer de rétablir l’équilibre rompu. Il va devoir faire un chemin personnel pour trouver seul son équilibre.

Comment avez-vous fait le casting?

Romain Duris est arrivé très vite dans le processus. C’est un comédien que j’apprécie beaucoup, je savais qu’il aimait se mettre en danger, aller chercher des rôles qu’il n’a pas l’habitude de faire. On s’est rencontré avant même que le scénario ne soit écrit, je lui ai parlé de ma méthode de travail, et on a très vite commencé à travailler ensemble. Il n’avait jamais travaillé sans dialogues, et ça l’intéressait particulièrement.

Je connaissais Laetitia pour l’avoir faite tourner dans Keeper, je n’avais donc aucun doute sur ce choix. C’est une comédienne qui est dans l’écoute de ses partenaires, et la générosité. Laure Calamy, c’est un peu la même famille de comédienne, cela me semblait donc évident. Pour Lucie Debay, je la connais depuis longtemps, elle avait passé les castings de mes premiers courts métrages, mais n’avait pas le bon âge. Et là quand on a rajeuni le personnage de Laura, j’ai tout de suite pensé à elle. Elle a accompli un travail extraordinaire, dans un rôle particulièrement complexe.

Pouvez-vous nous parler de votre méthode de travail, vous tournez sans dialogues?

Oui, c’est ça. On travaille beaucoup sur les personnages en amont, leur évolution, je montre des films, des articles aux comédiens. Dès que le personnage est trouvé, tout est plus simple.

Les comédiens connaissent l’histoire, ils arrivent sur le plateau, et on fait une première prise, comme un échauffement. Je filme tout, mais souvent les trois quatre premières prises permettent de mettre les choses en place. Petit à petit, on arrive au dialogue, on peaufine les déplacements les regards. Ce sont les acteurs qui écrivent leurs dialogues, en empathie avec leurs personnages. Je ne suis pas à cheval sur les dialogues, tant que l’intention est là. On travaille sur l’intention de la scène.

Pour les enfants, eux qui sont constamment dans l’écoute de tout le monde, dans le jeu, c’était particulièrement adapté. C’est moins de texte bien sûr, mais surtout plus de jeu. Ils sont sur un pied d’égalité avec les adultes. Tout le monde doit être présent, dans l’écoute. On cherche les mots, on se chevauche, il y a des accidents, et ce sont des choses que je recherche, cette spontanéité.

Ca vous fait quoi, cette sélection à la Semaine de la Critique?

Je suis ravi pour le film, c’est une superbe vitrine. On va y aller avec toute l’équipe, on a loué un bus. Ce sera un moment émouvant et collectif, c’est aussi ça que je recherche dans le cinéma.

 

Le film sortira le 3 octobre prochain en Belgique.

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