Giordano Gederlini: « Ne pas faire un polar qui roule des mécaniques »

On a rencontré Giordano Gederlini, dont le nouveau film, Entre la vie et la mort, un polar nerveux, hommage aux règles de l’art sort cette semaine en Belgique. 

Quelles sont les origines de ce projet?

J’avais très envie d’aborder le genre du thriller policier, du polar. J’avais un peu tourné autour de cet univers avec Duelles, un thriller plus psychologique écrit pour Olivier Masset-Depasse, avec Tueurs aussi, écrit pour François Troukens et Jean-François Hensgens, un côté polar qu’on voit très peu dans le cinéma français et le cinéma belge. Je voulais entrer dans cet univers avec un personnage un peu isolé, qui peut-être me ressemble un peu, un étranger qui vit à Bruxelles. Je rêvais d’un polar urbain, avec l’envie d’explorer cette ville dans laquelle je vis depuis 9 ans comme un vrai décor de cinéma, qui me semblait coller à cette histoire.

Qui est Leo Castenada, le héros du film?

Leo Casteneda, c’est un Espagnol qui vit ici à Bruxelles. Il est conducteur de métro, il travaille dans les souterrains de la ville. Il vit un drame, un soir. Alors qu’il est aux commandes de son métro, il voit un jeune homme qui finit sur les rails. On va découvrir que c’est son fils. A partir de là démarre une sorte d’enquête, pour découvrir dans quelle mauvaise passe était son fils.

On retrouve un autre motif assez classique du polar, celui de l’homme sans passé, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. J’avais cette projection d’un personnage un peu isolé, qui a un passé cassé, démoli, il porte une fêlure, j’avais envie de commencer l’histoire avec ça. Un type dont on ne sait pas grand chose, dont on découvre petit à petit le parcours. 

Il est dans un état particulier, entre la vie et la mort? L’apparition de sa fêlure enclenche la mécanique du récit.

Oui, il est dans des limbes étranges. J’ai commencé comme scénariste, et j’adore les jeux d’écriture du polar, qu’on ne peut pas toujours explorer dans des films plus sociaux, les cinémas du réel. Avec le polar, on peut prendre du plaisir à imaginer une histoire un peu torturée, sur laquelle les spectateurs sont parfois un peu en retard, c’est ce jeu sur l’écriture qui me plaisait beaucoup dans l’exploration de cet univers. On sait très peu de chose sur Leo, donc on assiste à la fois à la construction d’un personnage, mais aussi à sa perdition dans une histoire trop violente. 

Il y a aussi une réflexion aussi sur une paternité en souffrance?

Ce qu’on retrouve dans cet univers du thriller policier, c’est aussi une question existentialiste sur le temps qu’il nous reste sur cette planète, surtout s’il faut résoudre une action particulièrement violente, au risque de perdre la vie. Qui laisse-t-on derrière soi? Qu’est-ce qu’on a loupé dans son histoire personnelle? Qu’est-ce qu’on peut regretter quand la mort vient frapper aussi brutalement?

Je voulais que l’on se demande ce qui reste de l’humanité de mes personnages, alors qu’ils sont confrontés au chaos. 

Ca questionne aussi la façon dont les enfants reproduisent la trajectoire de leurs parents, parfois jusque dans leurs échecs.

Oui, il y a cet héritage, sans trop en révéler, on comprend que le père voulait imposer sa passion à son fils, alors que celui-ci n’avait pas cette envie. Ce sont des personnages assez fragiles. 

En fait, je crois que c’est un film un peu bonhomme, un peu années 80. J’aime beaucoup l’univers musical de cette époque, le travail visuel sur ce type de film, mais ce n’est pas un film viriliste pour autant. Ce sont des hommes un peu usés, fatigués, des gars de 50 ans qui n’ont aucune envie de se bagarrer, mais qui à un moment donné arrivent à des situations de conflit où ils n’ont plus le choix. Ce n’est pas un polar qui joue des mécaniques, c’est un film qui explorent aussi la sensibilité de ses protagonistes, même s’il y a aussi des scènes d’action un peu violentes. 

Il y a une réticence vis-à-vis de la violence. 

Oui, en fait la violence leur est imposée, en fait c’est ce qu’on retrouve toujours dans la tragédie. Le destin impose une certaine brutalité à laquelle il faut survivre.

Il y a une vraie envie cinématographique pour Bruxelles.

En fait, je crois que j’ai découvert Bruxelles au cinéma dans le premier film que j’ai co-écrit en Belgique, The Invader de Nicolas Provost, il avait une vision très séduisante de la ville, extrêmement graphique, pas du tout une Bruxelles ni poétique, ni surréaliste, ni touristique, mais très urbaine. C’est une dimension dont j’avais envie, explorer des quartiers qu’on voit rarement au cinéma comme le quartier Européen, une vraie ville fantôme à 6h du matin. Idem pour le quartier de l’Atomium, avec ses parkings vides à perte d’horizon, un lieu à la fois en ville et hors de la ville. On retrouve aussi un peu ce qu’on retrouve à Londres, une façon d’intégrer l’industrie à la ville.

Ca fait 9 ans que j’habite à Bruxelles, et il y avait une part d’exercice graphique dans l’envie de filmer Bruxelles. 

Pouvez-vous nous parler du travail sur l’image et le son, qui ancre le film dans le genre?

J’ai travaillé avec le chef opérateur Christophe Nuyens. Il a beaucoup travaillé pour la BBC, il a un regard que j’ai trouvé fascinant, une image très sophistiquée. On a été cherché des focales vintage qui crée beaucoup de « flair », des rayons notamment autour des points de lumière. C’est une lumière très narrative, parce qu’elle n’est pas naturelle. On la voit quand on regarde le film. L’image rappelle constamment au spectateur qu’on est dans une fiction, c’est un film de genre, il faut être prêt à accepter certaines choses. Ce n’est ni un documentaire, ni un drame social. 

Quant au son, il a aussi la même intensité, il est très dessiné, très étudié pour créer des immersions, notamment des effets de choc. Je voulais travailler à l’opposé de certains effets sonores qu’on peut trouver dans des films d’horreur, ou dans les séries beaucoup, quand le son souligne ce qui se passe à l’image, les tensions, la poésie. 

Pour la musique, j’ai eu la chance de travailler avec Laurent Garnier, lui était intéressé d’explorer le genre du film noir. Travailler sur des atmosphères, une musique plus psychologique. Comme un rythme cardiaque, par lequel on se laisse porter, c’est une musique qui rentre dans la tête.

Quelques mots sur le casting?

J’ai vécu quelques années en Espagne, je suis un grand fan du genre espagnol, il y a un point commun avec le cinéma belge, c’est un cinéma assez audacieux qui ose explorer tous les registres, sans s’interdire. Ils ont des comédiens très physiques, avec beaucoup de charisme, notamment Antonio de la Torre, chez Rodrigo Sorogoyen par exemple. Comme c’est un personnage qui parle assez peu, j’avais besoin de cette présence dans le regard, de la capacité à jouer avec le corps, à laisser voir la vie qu’il porte sur ses épaules. 

Le seul petit souci, c’est qu’il ne parlait pas français. Il a appris son texte par coeur, suivi des cours, et puis on a adapté les dialogues à son tempérament et à son français. Il a aussi fait un gros travail physique, il a perdu 9kg, il a fait ses cascades.

En face, il fallait des gens qui aient autant de charisme. Je ne présente pas Olivier Gourmet, j’aime le côté bonhomme justement qu’il incarne. J’avais déjà écrit un rôle dans ce registre pour lui avec Tueurs. J’avais envie de le voir dans cet environnement, je savais qu’il y excellerait.

Et puis Marine Vacth, je l’ai un peu croisée par hasard à Paris, elle avait envie de changer de registre. Elle est vraiment magnétique, elle une grande densité, une voie de théâtre, avec du poids, et un regard avec une vraie gravité. 

J’ai aussi voulu faire quelques propositions surprenantes, par exemple avec Pablo Andres, qui amène énergie et fraîcheur dans le film, et puis Tibo Vandenborre, il peut tout jouer, et particulièrement les méchants. C’est un cinéma de gueules, que j’avais envie de faire, des comédiens avec des présences qui s’imposent tout de suite. 

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