Vous connaissez la fameuse citation de Jean Gabin : « pour faire un bon film, il faut une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire ».
C’est vrai. Mais c’est un peu court. Pour faire un bon film, il faut aussi des comédiens à la hauteur, bien dirigés, un réalisateur qui a une vision et du talent, etc.
Et dans certains cas, de gros moyens sont nécessaires.
Prenez La French. Cette histoire noire repose sur la reconstitution maniaque d’une époque révolue. La production aurait pu tenter de s’en tirer avec deux DS et une Simca (on a des exemples en tête), mais la scène d’ouverture où une moto slalome entre les voitures vintage sur la corniche le long de la Méditerranée plante le décor (c’est le cas de le dire): on n’est pas là pour faire cheap. Plans très larges, figuration impressionnante, décoration soignée aux petits oignons…, certes le film a coûté cher (un peu plus de vingt millions dont un quart apporté par Scope Pictures), mais ça se voit à l’écran.
Et ça flatte les rétines.
La French, on le sait maintenant, est donc construit autour d’une histoire réelle, celle de l’intrépide juge Michel.
Le film commence à Marseille en 1975. Gaston Deferre règne sans partage sur la ville depuis plus de 20 ans. Une longévité inhabituelle dans une cité gangrenée par la violence, le crime et la corruption.
Pierre Michel, jeune magistrat venu de Metz avec son épouse et ses deux enfants, y est nommé juge du grand banditisme. Sa mission : s’attaquer à la French Connection, organisation mafieuse qui exporte l’héroïne dans le monde entier. Un pari perdu d’avance. À moins que…
N’écoutant aucune mise en garde, ce joueur invétéré, courageux, voire téméraire, part en croisade contre Gaëtan Zampa, figure emblématique du milieu et parrain intouchable. Charismatique, il fédère l’enthousiasme de policiers locaux, sans soupçonner immédiatement que les forces de polices sont noyautées par des pontes du grand banditisme. Le combat est frontal. Mais un peu désespéré.
Rapidement, le juge va comprendre que, pour obtenir des résultats, il doit changer ses méthodes.
« Avec ce film », explique Cédric Jimenez, scénariste et réalisateur, » je voulais célébrer une histoire française remarquable : la trajectoire shakespearienne de deux personnages romanesques, réinterpréter la phrase d’André Gide : « le monde sera sauvé s’il peut l’être, par des insoumis ». La french est aussi et surtout l’histoire de Pierre Michel à qui je voulais rendre hommage. Ce juge au parcours héroïque qui a sacrifié sa vie pour une cause noble est une figure qui m’émeut. Cet homme avait le courage et la folie nécessaires pour se convaincre que le monde pouvait être meilleur. Et qu’il allait le changer. »
La trame de La French est presque celle d’une tragédie classique : le magistrat intègre versus le gangster prêt à tout. Vous avez dit Heat?
Le chef d’œuvre de Michael Mann vient très vite à l’esprit avec cet affrontement à distance entre deux hommes bigger than life prêts à tout pour imposer leur point de vue. Dans chacun des films, les binômes infernaux ne se croiseront réellement qu’à une seule reprise. Pour deux scènes d’anthologie.
Pour beaucoup de cinéphiles, la formidable attractivité de Heat repose sur cette rencontre unique et fascinante entre De Niro et Pacino. Cédric Jimenez l’a parfaitement compris en structurant son récit de la même manière autour d’un face à face scène crucial calqué sur son modèle.
Le moment est forcément jouissif par la force qu’il dégage… et aussi les analogies qu’il développe.
Avec ce point d’orgue rare et précieux où Dujardin et Lellouche dont chacun sait qu’ils sont les meilleurs amis du monde dans la vie croisent le fer dans un paysage de rêve (ici, Jimenez prend l’avantage sur Mann), tout ce qui fait la magie de La French saute aux yeux: une tension narrative complexe, mais très limpide et compréhensible pour le spectateur lambda, des comédiens exceptionnels et un plaisir mutin à jouer avec les références, cinématographiques et historiques.
Au-delà de la tension, au-delà du danger qui plane, le spectateur averti peut alors jubiler de tous ces niveaux de lecture.
Lorsque la scène se conclut, on a presque envie d’applaudir, mais le film continue. Il est encore long. Et palpitant.
Au-delà du film de gangsters qu’on espérait et qui ne déçoit pas, La French est aussi (et surtout) le tableau d’une époque, celle qui court de 75 à 81. Une époque où Marseille était clairement la plaque tournante du commerce de la drogue vers les États-Unis.
Bien sûr, cette guerre sans pitié opposant la justice et les narcotrafiquants a déjà été évoquée dans de nombreuses œuvres. Les plus fameuses étant les deux French Connection réalisés en 1971 et 1975 par (respectivement) William Friedkin et John Frankenheimer. Mais ces deux épisodes mythiques se placent chronologiquement en amont de la French. Et surtout, ils traitent d’un sujet contemporain pour eux.
L’avantage de la French est naturellement de porter sur les faits historiques un regard très actuel qui se traduit au niveau visuel et aussi sur le scénario.
Si les décors, les voitures, l’art design de La French sont totalement vintage, sa réalisation n’a rien de passéiste. Le rythme et les cadrages répondent aux standards de notre époque. Les mouvements sont amples et coulés, la violence est frontale. La caméra est parfois portée, les effets spéciaux sont invisibles. Il ne s’agit pas de filmer le passé, mais de le réinventer. Et c’est très bien ainsi.
L’esprit est ici assez proche du dytique consacré à Mesrines par Jean-François Richet ou de la minisérie Carlos d’Olivier Assayas, voire de l’excellente série Les Beaux Mecs où on retrouve d’ailleurs Guillaume Gouix dans des décors très similaires. Avec un peu plus de lyrisme, d’ampleur, et de moyens sans doute.
Les trente et quelques années qui se sont écoulées depuis la fin de l’histoire ont également permis au scénariste-réalisateur d’envisager l’épopée marseillaise du juge Michel avec un recul bienvenu… et une liberté salvatrice. Même si la personnalité de Gaston Deferre a toujours été considérée comme un peu floue, voire interlope, ce qui est (à peine) sous-entendu ici est assez violent.
« Je suis moi-même marseillais de souche », confirme le réalisateur. « Mon père tenait au milieu des années 70 le restaurant « Chez Baptiste », situé sur la plage de la Pointe rouge. Cette ville je la connais si bien, j’y suis né, j’y ai grandi, j’y suis profondément attaché. À travers le film, je veux lui rendre hommage et lui faire honneur avec toute l’affection que je lui porte, mais sans tricherie ni complaisance. »
Mais vous nous connaissez: aussi réussi soit-il, La French n’aurait pas tracé son sillon jusqu’à Cinevox s’il n’y avait dans son ADN une forte coloration belge.
Fidèle à ses très bonnes habitudes, Scope Pictures qui coproduit ce film (avec le soutien de Wallimage) a amené le tournage en Belgique et proposé à la production française de nombreux acteurs belges.
Dès la deuxième scène, on découvre ainsi une stupéfiante Pauline Burlet, junkie ravagée par l’héroïne et tabassée par son dealer (photo exclusive : Virginie Gossez) .
En deux minutes, sans surjouer (ce qui était tentant) Pauline place très haut la barre. Elle est émouvante, attachante, arrogante, insupportable et bouleversante.
Plus loin, on croise Patrick Descamps qui, pour l’occasion, est le supérieur hiérarchique de Jean Dujardin. Le comédien belge revient régulièrement ponctuer le film de son charisme stoïque. La qualité de l’interprétation est d’ailleurs un des grands atouts de La French et tous les acteurs belges qui ne font parfois que passer sont à la hauteur.
Parmi ceux qu’on a repérés, citons notamment Erika Sainte dans un rôle muet, mais sanglant, Éric Godon, Rosario Amédéo dans la peau d’un truand italo-américain, négociateur implacable…
Côté français, c’est carrément la dream team: pour épauler l’infernal duo composé par Jean Dujardin et Gilles Lellouche, on retrouve par exemple Guillaume Gouix (Mobile Home), Benoit Magimel, Céline Sallette ou Mélanie Doutey (Post Partum).
Avec une sortie française prévue le 3 décembre, il semble clair que la French se profile comme un sérieux candidat pour les César 2015. Des films populaires, ambitieux, jouissifs, aussi réussis, ça ne court pas les rues. Ça fait même un bout de temps qu’on n’avait plus pris une claque aussi agréable, tiens…
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