Frédéric Sojcher: « la fiction nous fait percevoir le monde autrement »

Le Cours de la vie est une histoire d’amour, celle qui unit Noémie, scénariste a succès, qui retrouve son amour de jeunesse perdu de vue depuis 30 ans. Celle aussi qui unit son réalisateur Frédéric Sojcher au cinéma. Il s’agit de son cinquième long métrage, après Regarde-moi (2000), Cinéastes à tout prix (2004), Hitler à Hollywood (2011) et Je veux être actrice (2015), une poignée de cours métrages, de nombreux livres, et un poste de professeur en scénario, production et réalisation à la Sorbonne. 

Il revient pour nous sur ce nouveau film, deux fois primés au Festival de Mons, et qui sort cette semaine en Belgique.

Frederic-Sojcher-Cinevox

Quelles sont les origines du projet?

Il y a 4 ans, je suis retombé sur un ancien camarade, Alain Layrac, avec qui je suivais à l’époque des cours de scénario, et qui venait d’écrire un livre un peu particulier sur le scénario, qui s’appelait Atelier d’écriture, et qui plus qu’un manuel, explorait la façon dont nos vies peuvent se transformer en récit. Je lui ai proposé d’adapter le livre en film, ce qui l’a surpris. Ca lui semblait impossible, mais moi je pensais qu’en ajoutant une histoire d’amour, on avait là une belle matière cinématographique, ça créait des liens entre le scénario et la vie. Il a alors écrit un scénario, on a cherché des producteurs.

Pour nous, c’était une évidence dès le départ que la scénariste soit une femme. Je me suis dit que ce serait formidable qu’Agnès Jaoui accepte de jouer ce rôle. Etant actrice, scénariste et réalisatrice, c’était une évidence. Je lui ai envoyé le scénario par mail, elle était très enthousiaste. Mais elle ne voulait pas dire des choses opposées à sa façon de penser le scénario, alors elle nous a demandé si elle pouvait contribuer à l’écriture de la partie cours de scénario. On a fait quelques ajustements avec elle, pour que ce soit le plus juste. Jusqu’au bout, le film a été compliqué à financer, on a trouvé les derniers financements 10 jours seulement avant le tournage, mais l’envie de faire le film était telle dans toute l’équipe, qu’on a pu mener l’aventure au bout. C’était le tournage le plus heureux de ma vie, et une magnifique expérience humaine.

Parler cinéma, ça crée aussi la connivence dans une équipe?

Oui, l’idée aussi que certaines choses racontées sur l’amour parlaient à tout le monde. Qu’est-ce qui se passe si on retrouve un premier amour? On était tous en phase là-dessus aussi. Noémie parle aussi de la disparition des gens qui nous sont chers, comment ça l’a transformée, cette façon d’aborder le deuil a aussi uni tout le monde. Et c’est ça que dit le film, comment en partant de quelque chose d’intime, ce qu’on vit, on peut raconter une histoire.

La partition de Noémie met en lumière le fait que penser ou voir un film est aussi un moyen de placer un miroir grossissant devant nos traumas ou nos névroses?

L’une des caractéristiques de l’être humain, c’est ce besoin de se raconter des histoires, il n’y a pas d’un côté l’imaginaire et de l’autre le monde réel, il y a des passerelles permanentes entre les deux, conscientes ou inconscientes. Faire des films, c’est raconter une histoire, mais aussi essayer de comprendre comment le monde fonctionne, comment les relations humaines fonctionnent. Ce qui est magique, c’est qu’on peut à la fois avoir un film divertissant, prendre un plaisir de spectateur à le voir, et en ressortir avec des émotions ou des questionnements, que ça nous enrichisse. Ce côté cathartique du cinéma est magique. La fiction nous explique le monde, mais pas de façon professorale, de façon très intime, et nous fait percevoir le monde autrement. Un film n’est pas un cours, c’est un accès à nos émotions.

La transmission est aussi au coeur du récit, de l’enseignante vers les élèves, mais aussi des élèves vers l’enseignante.

C’est important pour notre société qu’il n’y ait pas d’un côté les jeunes, d’un côté les vieux. Que la transmission opère. Et que le dialogue aille dans les deux sens. Il me tient à coeur que le monde ne soit pas clivé. Les nouvelles générations ont un regard neuf sur le monde, tandis que ma génération peut avoir une autre expérience. On a tous à apprendre les uns des autres. La jeunesse est très à l’aise sur les sujets liés au rapport entre les hommes et les femmes, la question du genre, et ce renouveau est précieux. Si tant est bien sûr que l’on ne tourne pas la page sur tout ce qui s’est passé avant.

Noémie elle-même s’est posée ces questions sur le genre, sans forcément les formuler de la même façon.

Oui, et je pense aussi que c’est ce qui a pu intéresser Agnès Jaoui, même si je ne veux pas parler à sa place!

Quelle est la place de l’histoire d’amour pour vous dans la dynamique du récit?

En fait je voudrais que le film soit vraiment perçu comme un film d’amour. D’abord sur le plan scénaristique, on comprend dès le départ que Noémie ne vient pas seulement donner une masterclass, elle retrouve aussi un ancien amant, avec lequel quelque chose n’a pas été réglé. Ils se retrouvent pour la première fois après trente ans sans se voir. Son cours est l’objet d’un sous-texte, lié à leur histoire commune. A travers son cours, Noémie s’adresse à Vincent. Et puis surtout, c’est un film d’amour parce qu’il souligne la façon dont l’amour peut donner confiance. Noémie explique que si elle est parvenue à devenir scénariste, c’est grâce à la confiance en elle que lui a donnée l’amour de Vincent. Une des définitions possibles de l’amour, c’est comment on donne confiance en l’autre. Et comment cette confiance peut nous donner la force de nous battre pour nos passions. Ca fonctionne avec toutes les sortes d’amour, des parents, des amis, des proches. C’est là aussi la question de la transmission, et du don de soi.

Noémie et Vincent sont très empêchés par leur corps, on retrouve des codes de la comédie romantique.

Oui, les corps empêchés, c’est vraiment ça, même si je n’en avais pas forcément conscience! Dans ma vie personnelle, je suis moi-même très maladroit, j’aime bien le côté burlesque de cette maladresse. l’un des grands enjeux du film, c’est qui’l y a beaucoup de texte, et c’était important que les corps parlent aussi.

C’était un défi, de mettre en scène  la leçon de scénario, dans un lieu fermé, assez statique?

On a beaucoup travaillé la mise en scène. Par exemple, pendant les cours, la partie plus théorique est saisie en format carré (le format de la captation), tandis que les séquences plus émotionnelles sont dans un format proche du scope.

Il fallait bien sûr que les acteurs « jouent le jeu », qu’ils soient justes, d’autant que les scènes et les prises étaient souvent très longues. Le personnage de Géraldine Nakache, la régisseuse de l’école, permet aussi de poser certaines questions, comme un relai du spectateur dans le film.

Il y a aussi le travail du son, au mixage on a choisi de changer la spatialisation sonore selon le format, plutôt que de jouer la continuité. On a cherché le rythme et le relief par l’image et le son. Avec mon chef opérateur Lubomir Bakchev, notre idée un peu folle, c’était qu’il n’y aurait pas un seul plan identique tout au long du film, pour éviter la lassitude.

L’autre grand pari, c’était la musique. On voulait montrer des extraits de films, mais on n’avait pas le budget pour les droits. J’ai donc eu l’idée qu’on ne voit pas l’extrait mais les spectateurs en train de le regarder, et que ce soit grâce à la musique imaginée par Vladimir Cosma que l’on puisse deviner le genre du film. Ca l’a beaucoup amusé, m’a-t-il dit, de faire cinéma par la musique.

L’un des éléments clés du film, c’est une lettre d’amour. Le film lui-même est une lettre d’amour au cinéma. Travailler avec Vladimir Cosma, c’est aussi s’inscrire dans toute une histoire du cinéma.

Oui, il y a plein de façon d’envisager la musique au cinéma, parfois même ne pas utiliser de musique. Mais Vladimir Cosma, comme Morricone par exemple, est clairement un compositeur dont on reconnait la musique. C’est la quatrième fois qu’on travaille ensemble. La première fois que je l’ai rencontré, c’tait pour un court métrage. J’étais en montage, et j’utilisait sans cesse sa musique – une très mauvaise idée en soi, car on peut être très frustré quand on fait ça et qu’on a finalement pas les moyens de se payer cette musique! Par chance, je connaissais quelqu’un qui le connaissait, qui m’a permis de le contacter, il nous a rejoint en salle de montage, et il a aimé le film, et accepté d’y participer. Je crois qu’aujourd’hui, il y a une vraie complicité entre nous, on s’entend bien artistiquement. Pour Hitler à Hollywood, je l’avais prévenu que malheureusement, je n’aurais pas les moyens d’avoir recours à lui pour le film. Il m’a dit: « Montrez-moi le film, si ça m’intéresse, ça m’intéresse, le budget ne doit pas être un obstacle ». C’est ça aussi la magie du cinéma, comme quand une grand acteur accepte de tourner dans un premier film par exemple.

Quel était le plus grand défi pour vous?

Le vrai pari, c’était que le film parle à tout le monde, qu’il n’y ait pas besoins de connaissances théoriques pour suivre, qu’il y ait de la comédie, et de la mélancolie aussi. Qu’on ne s’ennuie pas aussi bien sûr, et qu’on soit ému. Et même qu’on pleure à la fin…

 

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