Après des études de réalisation à l’IAD, Frédéric Fonteyne réalise plusieurs courts-métrages primés dans de nombreux festivals : Bon anniversaire Sergent Bob (1988), Les Vloems (1989), La Modestie (1991) et Bob le déplorable (1993).
Son premier long-métrage Max et Bobo (1997) réunit Jan Hammenecker et Alfredo Pea, et obtient entre autres le grand prix du festival de Mannheim-Heidelberg. Son deuxième long-métrage Une liaison pornographique (1999) avec Nathalie Baye et Sergi Lopez est projeté à la Mostra de Venise où Nathalie Baye obtient le prix d’interprétation féminine. Pour son troisième film, il adapte le roman de Madeleine Bourdouxhe, La femme de Gilles (2004) avec Emmanuelle Devos, Clovis Cornillac et Laura Smet, également projeté à la Mostra de Venise où il obtient le prix art et essai. Son quatrième long-métrage Tango Libre réunit François Damiens, Sergi Lopez, Jan Hammenecker et Anne Paulicevich.
Quel est le sujet de ce film?
Comment est venue l’idée du film?
Comme toujours, un mélange de beaucoup de choses. L’envie de refaire un film avec Sergi et Jan. L’envie de travailler avec François Damiens. L’idée qu’en Argentine, les hommes dansaient entre eux pour s’entraîner avant d’aller au bal. Avant d’oser inviter une femme. L’envie d’utiliser l’univers de la prison comme une métaphore ou une allégorie. L’idée qu’à partir du moment où on glisse un petit doigt dans les liens d’amour, on est foutu, ça nous entraîne plus loin que là où on voulait aller, mais qu’au final, ça nous libère. Une liberté paradoxale, dangereuse, mais la seule qui vaille.
Vous portez un vrai regard sur les femmes. Après Nathalie Baye et Laura Smet, vous découvrez Anne Paulicevich.
Je vis avec Anne, on a créé le personnage d’Alice ensemble. Je ne comprends rien aux femmes, c’est pour cela que je les filme. Les femmes que je filme n’existeraient pas sans les hommes qui leur font face. Ici, j’ai augmenté la dose. Anne Paulicevich est face à quatre hommes. Quatre types d’hommes. Elle les aime tous les quatre. D’une manière particulière. Et à certains moments du film, en même temps. Ce n’est pas simple. Quelle femme !
Anne est à la fois au centre du récit mais également de l’écriture, comment s’est déroulé la collaboration avec elle ?
C’était un vrai travail et un très long processus. Elle travaillait avec Philippe Blasband. On a rêvé ce film ensemble. Mais aussi, dès le départ, avec ceux qu’on voulait mettre dedans. Sans eux, ce film n’aurait jamais existé. Le fait d’avancer sur le fil de l’étrangeté de cette histoire. Ce n’est pas une histoire réaliste et, pourtant, elle exprime pour moi une vérité sur ce que nous sommes. Des êtres qui dépassent tout réalisme.
Comment avez-vous choisi les acteurs ?
Pour les rôles principaux, il n’y a pas eu de casting car le scénario avait été écrit pour ces acteurs-là. Dès le départ, je savais que, soit le film se faisait avec eux, soit, si un seul manquait, le film n’avait plus d’intérêt pour moi. La fragilité du film repose sur la particularité de chacun d’entre eux. Retravailler avec Jan et Sergi, on peut parler d’esprit de famille. C’est aussi compliqué qu’une famille d’ailleurs. Vous imaginez, vous, tourner un film avec votre famille ? C’est quasi impossible. C’est ce qu’on a fait. Et pour le rôle du gamin Antonio, grâce à Bouli, j’ai rencontré Zacharie. Pas de casting non plus, c’était lui. Il venait d’entrer dans la famille.
Vous n’aviez jamais tourné avec François Damiens. Pourquoi cette envie?
Et l’équipe technique, elle ressemble à une dream team, non?
Vous approchez le tango comme une métaphore de l’amour ?
Oui. Enfin, le tango est un univers complexe. On ne peut pas en faire le tour facilement, c’est bien pour ça que, pour moi, c’est plus qu’une danse. C’est proche du cinéma. Voir un homme et une femme qui dansent le tango, ça révèle quelque chose sur cet homme et cette femme. Quel que soit leur niveau. Quelque chose qu’on ne pouvait pas voir sans la danse.
Parlez-nous de votre rencontre avec Chicho, et du travail avec les danseurs de tango.
Anne Paulicevich connaissait Chicho et Pablo, elle les avait côtoyés bien avant le film. Le film est né aussi à partir d’eux et ne pouvait se faire sans eux. Les scènes de tango ont été construites avec eux et pour eux. Là aussi, si l’un des deux me faisait faux bond, le film tombait à l’eau. Le film est construit sur un équilibre fragile. Et il fallait que tous ses éléments soient là. Ce n’est pas un film sur le tango, pourtant l’histoire même du film ressemble aux chansons qu’on entend dans les milongas. Des histoires de petits malfrats, le fait qu’une femme se retrouve au milieu de plusieurs hommes. L’exclusivité, l’amour, la rivalité entre hommes. L’homosexualité latente. Comment les liens d’amours nous dépassent.
Si l’essentiel du récit se déroule en prison, le film dégage pourtant une joie de vivre. C’était un parti-pris ?
Pour moi, c’est un film qui libère. Je ne sais pas s’il y a de la joie de vivre. En tous les cas, il y a de l’amour. Et, pour ne pas s’effondrer, les personnages s’efforcent de rester en vie, plus qu’en vie. Ils luttent en étant vivants. Et être vivant dans une situation impossible, ça demande une source d’énergie et d’amour exceptionnelle, presque folle. Il y a de la folie dans ce film. Il n’est pas rationnel. A priori, ces personnages sont fous ou stupides. En fait, certainement les deux, car l’amour rend fou et stupide. Mais cette folie finit par les libérer, d’une manière qu’ils n’auraient jamais imaginée, par les liens d’amours qui rebondissent des uns sur les autres.
Comment s’est effectué le choix des musiques ?
C’est un film où il y a du tango, mais ce n’est pas non plus un film sur le tango. Avec Anne Paulicevich et le monteur Ewin Ryckaert, on a écrit en pensant à des musiques. Certaines se retrouvent dans le film, d’autres non. L’émotion qui se dégage de Woodkid ou d’Agnes Obel, c’est triste, comme certaines chansons de tango, mais ça reste plein d’espoir et de vie. Un équilibre très subtil que l’on ne trouve que dans certains morceaux. Je remercie mon producteur Patrick Quinet de m’avoir permis d’utiliser les musiques que je voulais.
Après Une liaison pornographique et La femme de Gilles, le film clôture une trilogie ?
Oui, en tout cas, il clôture quelque chose. J’avais besoin de me retrouver parmi mes proches. De recommencer à faire du cinéma à partir des gens que j’aime. Je voulais repartir sur des bases, des fondamentaux. Dans le système actuel, ce n’est pas évident de faire ça. Mais j’ai eu la chance et l’obstination de pouvoir le faire.