On a rencontré Fred De Loof, à quelques minutes de l’avant-première de Totem, en Compétition Nationale au BRIFF. Il nous dit tout sur ce premier long métrage atypique et insolent.
Quelles sont les origines du projet?
Lorsque l’appel à projet pour les films tournés en « conditions légères » a été lancé en 2018, je me suis dit que c’était une belle occasion pour tenter ma chance, et passer le cap du long, tout en faisant mon cinéma.
Je suis d’abord parti d’une image, des adultes dans leur tenue de scout, devenue trop petite pour eux, des quarantenaires qui semblent ne pas vouloir vieillir.
Et puis il y avait cette envie de faire un film de science-fiction, et plus spécialement de voyage dans le temps. Finalement c’est une question qui taraude tout le monde, que serait ma vie si j’avais pas fait cette erreur?
J’avais en tête un protagoniste qui a fait une connerie quand il était ado, connerie qui le poursuit toute sa vie. J’ai dû faire le dossier très rapidement, d’autant qu’à l’époque je venais d’avoir mon gamin, j’alternais entre changer des couches, et rédiger le dossier, ceci explique peut-être cela (rires)!
Je voulais aussi de parler de harcèlement. Des deux côtés. Moi j’ai un peu une tête à claques, et je m’en suis pris plein la gueule en étant ado, et en même temps, j’emmerdais moi-même d’autres gosses dans la classe. J’étais un peu harceleur, un peu harcelé, même si ce n’était jamais bien méchant.
Ce qui me marquait, c’est qu’alors que pour les harcelés, c’est un drame dont on sous-estime souvent le poids, c’est que pour les harceleurs, c’est de la blague, il y a un effet de groupe qui anesthésie l’empathie, et déresponsabilise. Le challenge, c’était de faire une comédie de ce scénario dramatique.
Il fallait donc respecter l’unité de temps et de lieu, ce que la réunion scout dans un bois rendait possible?
Un peu naïvement, je m’étais dit que pour faire un film qui ne coûte pas cher, j’allais prendre un décor unique. Une forêt c’est chouette, y’a pas besoin de décor… Alors oui, les quelques éléments de décor liés au scoutisme n’ont pas coûté bien cher. Par contre, sur le plan logistique et infrastructure, c’est un enfer!
Je m’étais dit aussi: « C’est bon, on met un short de scout, un foulard, et on est bon pour les costumes ». Evidemment, c’était un peu plus compliqué que ça, il faut des écussons à la pelle, plusieurs exemplaires du costumes…
Les conditions légères, quand on a seulement 13 jours de tournage, c’est aussi pouvoir réagir vite. Je me souviens d’un jour où tous les comédiens devaient être là, une des journées les plus chères du tournage, et soudain, le ciel s’assombrit et il se met à pleuvoir. On a dû improviser sous la pluie, on s’est appuyé sur les paradoxes temporels créés par la situation pour dire que c’était « normal ». Ces imprévus sont aussi une vraie source de créativité.
Et au niveau du ton, comment vouliez-vous situer le film?
Au tout début, je voulais faire un film très premier degré, notamment au niveau du jeu. Je joue le rôle principal, et au début j’ai commencé comme ça, très premier degré, mais dès que les enjeux sont devenus plus sombres, et que ça a commencé à me toucher personnellement, je ne pouvais plus le jouer comme ça. Il fallait que j’ajoute un petit décalage.
C’est comme ça que le ton s’est installé finalement. J’ai l’impression que j’ai été pris à mon propre piège en voulait faire une comédie d’un drame qui me touchait tellement. Et la parodie s’est imposé pour désamorcer ça.
Malgré les situations souvent cocasses, et les blagues volontairement grossières, l’esthétique elle est très léchée.
En fait je travaille aussi beaucoup en publicité, et j’aime les belles images entre guillemets, assez travaillées. Avec de la symétrie, des cadrages un peu graphiques. Je ne mets pas trop d’amorce, je tourne souvent en larges focales. J’aime bien aussi la prise de vue anamorphique et le flou derrière.
Pour Totem, je voulais un rendu très cinéma classique, qui contrebalance le ton, l’humour un peu appuyé et les vannes à répétition. J’aime bien ce décalage, cette insolence, mettre de beaux moyens esthétiques en oeuvre pour faire les cons, c’est un peu irrévérencieux, j’aime bien.
Au niveau de l’image, de la palette de couleurs, on a essayé de trouver un ton particulier, ni trop desaturé, trop naturaliste, ni trop coloré et trop comédie. On cherchait quelque chose entre les deux, en jouant les contrastes chaud-froid, les personnages plus chauds, la forêt plus froide. Les scènes dans le passé sont un peu plus bleutées aussi, pour appuyer le côté mystique, hors du temps.
On a aussi fait quelques nuits américaines pour le côté fantastique.
Vous mettez en scène une rencontre bien particulière: celle d’ados avec l’adulte qu’ils sont devenus.
En fait j’ai repensé à moi quand j’étais adolescent, je m’imaginais que j’allais être punk, que j’allais refaire le monde. J’avais de grandes ambitions, comme beaucoup d’ado. Et puis dix ans plus tard, je me retrouve à faire des pubs. Mon moi ado n’aurait jamais pu imaginer ça, je crois. J’étais même radicalement contre la pub, sur laquelle j’avais des idées préconçues, alors que finalement, c’est la pub qui m’a permis de gagner ma vie bien sûr, mais aussi d’apprendre un métier que j’aime. Mais bon, je ne peux que me demander comment je me serais jugé. C’est presque pire que d’être jugé par son propre enfant!
Dans le film, on illustre ce choc de façon comique, évidemment, mais ça n’en reste pas moins un choc. Ça rappelle aussi qu’on ne peut pas se mentir à soi-même. Quand il s’agit de se justifier envers soi-même, il n’y a plus de faux-semblants possibles.
Comment avez-vous imaginé le casting?
Je me souviens qu’un jour, en parlant avec Guillaume Senez, il m’avait dit qu’il trouvait ça souvent intéressant d’écrire avec les acteurs qu’on envisageait pour un rôle. J’avais rencontré François Neycken à l’occasion d’un court métrage réalisé il y a quelques années, Caca Boudin. J’avais très envie qu’il joue dans Totem, alors je lui ai proposé d’écrire avec moi. On a écrit pendant un an, alors qu’on avait d’autres projets en parallèle. C’était intéressant de mixer nos univers et inspirations.
Ensuite on a d’abord choisi les comédiens adultes. L’un des personnages adultes les plus importants, c’était la psy. Il s’est passé quelque chose avec Céline Peret, elle a un phrasé très particulier, qui a tout de suite enrichi son personnage. En plus, elle est un peu le point de vue du spectateur dans le film, elle comprend beaucoup plus vite que les autres ce qui se passe.
Xavier Seron, je connaissais le réalisateur évidemment. Il fait beaucoup de comédies, même si elles sont très différentes des miennes, et il a un sens du rythme incroyable.
Quentin Marteau, je l’avais rencontré lors d’un stage de jeu. Je suis plutôt réalisateur, mais comme je joue dans mes films, et parfois dans les projets des autres, je fais des formations pour apprendre des techniques de jeu, mais aussi pour diriger les comédiens. Etant autodidacte, c’est très précieux pour moi. Bref, Quentin était parfait pour le rôle, un gars aussi connard que les autres, mais de façon plus cartésienne.
Pablo Andres, c’est marrant parce que au début, je trouvais qu’il avait l’air trop jeune. Et puis finalement, j’avais vraiment de travailler avec lui, il me fait vraiment rire, alors je me suis autorisé ça.
Quant à moi, au début, je devais jouer un rôle moins important. J’avais casté quelqu’un d’autre pour Buffle, et puis finalement ça n’a pas pu se faire, et j’ai repris le rôle un peu en dernière minute. Et du coup, j’ai outré encore plus le personnage, étant prêt à prendre des risques pour ma carrière de comédien (rires)!
Pour les adolescents, il fallait d’abord trouver des enfants qui nous ressemblent, et il fallait aussi que les jeunes comédiens puissent nous suivre sur le phrasé, les accents. Mais parallèlement à cette ressemblance physique, il fallait aussi trouvé un contraste. Par exemple Fourmi qui est le plus petit de la bande devient le plus grand, Castor qui est limite sataniste est devenu hyper zen, etc.
Quels sont vos projets?
Il y a la diffusion de Baraki, que j’ai co-réalisé, et dans laquelle je joue, qui est déjà disponible sur Auvio, et qui sera diffusée sur Tipik à partir du 12 septembre.
Et puis comme je crois qu’il n’y a pas de hasard, je vais jouer dans une série de Pablo Andres et Gui-home qui s’appelle Monsieur Pipi. Je vais également réaliser un court métrage pour la saison 2 de La Belge Collection.
Je continue également à écrire la version longue de mon court, Les Pigeons ça chient partout. Mais je dois dire que j’ai tellement de projets, notamment la série Baraki, que l’écriture de projets perso passe parfois au second plan, ou s’insère dans les interstices.