On a rencontré François Damiens, dont le premier film, Mon Ket, sort ce mercredi 30 mais, et qui se confie sur ce pari complètement fou: réaliser tout un long métrage en caméras cachées.
Réaliser tout un film en caméras cachées, c’est un vrai défi. Comment s’est passée l’écriture?
Le scénario faisait une trentaine de pages, c’était une succession de situations avec un fil conducteur. On est parti du personnage, et on lui a imaginé une vie en cavale. Après, il y avait plein de petits tiroirs vides à remplir lors du tournage… Ce sont les rencontres qui surviennent ou pas qui écrivent le reste. Le but, c’est d’émouvoir, mais aussi de faire rire, car nous voulions faire une franche comédie. Et pour ça, il faut rendre les situations les plus débiles possibles.
Est-ce que vous vous mettez des limites?
Je ne vais jamais moins qu’à fond, mais avec délicatesse! Il est hors de question d’être méchant ou moqueur évidemment. Le prétexte est souvent complètement insignifiant, donc après ça, les réactions des gens sont normales. Ils ne peuvent pas ne pas réagir.
La délicatesse, c’est de trouver la limite entre un personnage sans filtre et une vraie bienveillance envers les « piégés »?
Ca doit toujours se faire dans le respect. Ce que je voulais montrer, ce sont les réactions des gens, et pour ça il faut un peu les bousculer, mais il ne faut jamais que ce soit méchant, condescendant, moqueur.
Je me suis souvenu d’un jour où j’étais allé voir mon père à l’hôpital, et en partant, je constate que ses compagnons de chambre sont en train de regarder l’une de mes caméras cachées. Je voyais tous leurs petits ventres bouger en dessous des draps blancs, je les entendais rire tout doucement, et je me suis dit: « Il faut que je garde ça en mémoire ». Je ne peux pas prendre les gens en otage et leur faire mal. Que ce soit le piégé, ou le spectateur.
Quand on montre le film, notamment en France, les spectateurs sont éblouis par notre humanité en Belgique. A Paris, c’est plus compliqué. Les gens n’ont même pas le temps de te donner l’heure. Ici, certaines personnes m’ont donné jusqu’à une demie-heure de leur temps. Même quand les piégés ont des choses à dire à mon personnage, qui est quand même un gros lourd, ils se débrouillent toujours pour le dire frontalement mais avec délicatesse.
La Belgique était donc au coeur du projet.
Dès que j’ai commencé à écrire le film avec Benoit Mariage, c’était une évidence que le film devait être tourné en Belgique, avec des Belges. Evidemment, ça demande un peu plus de maquillage que si on avait tourné au Canada par exemple! Mais ça nous a aussi ouvert des portes. Tourner dans une prison par exemple, ce n’est pas rien. Le fait d’avoir fait pendant longtemps des caméras cachées en Belgique, d’avoir une bonne réputation, de n’avoir jamais eu de procès, ça nous a aidés.
Le dispositif est différent au cinéma qu’à la télévision?
Oui, on avait 7 caméras, parfois même 11, et un grand, grand nombre de micros! Pour profiter pleinement de la personne avec qui je joue, il faut qu’elle soit libre d’évoluer dans l’espace, qu’elle ne soit pas coincée par les limites du dispositif. Il faut que ça reste naturel. En terme de contraintes techniques, c’était épique. Mettre un micro sur une personne sans qu’elle ne le sache, ce n’est pas rien. Pour la scène du parking par exemple, on a fait venir les employés au bureau quelques heures avant, pour leur donner un nouvel uniforme, équipé!
Combien de prises en moyenne, et donc combien d’ « acteurs » (piégés) coupés au montage? C’était un déchirement?
Oui, on faisait une douzaine de prises en moyenne. On a tourné chronologiquement, pour garder une certaine cohérence. Et on a visionné au fur et à mesure les rush, pour savoir quel « acteur » on allait garder, pour que la suite soit tournée en fonction.
D’où vient l’idée, l’envie du projet?
Ca faisait longtemps que je voulais associer réalité et fiction. Je fais des caméras cachées depuis 20 ans, et j’adore ça. On m’a proposé de faire du cinéma il y a une dizaine d’années, et comme j’adore aussi le cinéma, je me suis dit que serait trop bien d’allier ces deux passions. Un peu comme un type qui partirait en vacances avec sa femme et sa maîtresse! C’était un fantasme, d’autant que personne ne peut jouer mieux que quelqu’un qui ne sait pas qu’il joue. Logistiquement, c’est compliqué, mais on l’oublie très vite, parce que ça veut dire que l’on peut raconter une histoire avec de vrais gens. Moi je suis le seul fil conducteur. Je suis l’interrupteur, et eux sont la lumière. Je suis un faire-valoir finalement.
Comment avez-vous travaillé avec les « vrais » comédiens?
Pendant le tournage, je devais les diriger en même temps que je jouais. Dans une certaine mesure, ils étaient piégés aussi, parce que tu ne sais jamais où tu vas mettre les pieds avec une caméra cachée. Moi j’ai l’habitude, mais c’était pas évident pour le petit Mattéo, qui s’en est sorti comme un chef. S’il rigole, s’il a un demi sourire, il n’y a pas deux prises possibles. Du coup je le dirigeais en direct: « Arrête de sourire. » « On parle pas en même temps que les grands. » « Parle plus fort, on comprend pas », et ça passait naturellement…
Parrain (Christian Brahy), je l’ai rencontré il y a une dizaine d’années. Il est toiturier dans la vraie vie, président du club de foot de Namur. C’est un personnage bigger than life. C’est lui que j’ai eu le plus de mal à couper au montage. Il me fait tellement rire…
Comme dans votre dernier film Otez-moi d’un doute, la paternité est au coeur du film…
C’était un bon axe pour montrer la sensibilité du personnage. Le féminiser en quelque sorte, le rendre plus touchant. C’est tellement triste de voir un père qui essaie d’élever son fils le mieux possible, et qui passe à côté. Il lui donne quand même l’essentiel, de l’amour et du temps. Mais en termes de valeurs, disons qu’il est un peu à côté de la plaque.
L’envie de réaliser, c’est lié à ce projet?
Ce n’est pas une envie qui pré-existait au projet. En fait mon but, c’était d’écrire le film, et puis de jouer dedans, mais à la base je n’ai jamais pensé que j’allais le réaliser. C’est venu plutôt tardivement, quand j’ai compris que des caméras cachées, j’en faisais depuis très longtemps, et que j’allais proposer à un réalisateur qui n’en avait jamais fait de prendre la main sur le projet. J’allais choisir quelqu’un pour lui expliquer comment faire. Donc finalement, autant le faire moi-même.
Et est-ce que ça a fait naître d’autres envies?
Oui bien sûr, des projets plus écrits, ou pas d’ailleurs. C’était intéressant à tous les stades de fabrication du film, notamment l’idée de marier cinéma et télévision, et le travail en équipe, j’aime vraiment beaucoup ça…