Démarrée sur les chapeaux de roue, cette année 2020 a défié toutes les prédictions, et a mis à rude épreuve les nerfs et les forces des professionnel·les du cinéma aussi bien que du public.
Le premier confinement et la fermeture des salles de mi-mars à début juillet, et la refermeture des salles jusqu’à nouvel ordre depuis fin octobre ont sérieusement changé la donne, et privé films et public de se rencontrer dans de bonnes conditions. Entre les films dont la carrière s’est vue dramatiquement écourtée, et ceux qui ont dû renoncé à une sortie pour l’instant, beaucoup ont dû rongé leur frein… Pourtant, l’année avait débuté avec une salve de belles sorties, une 10e édition des Magritte du cinéma mémorable, et plein de belles perspectives alléchantes. Retour sur ce premier semestre 2020…
JANVIER
Le Ramdam fait le beau pari d’ouvrir ses festivités avec Filles de joie d’Anne Paulicevich et Frédéric Fonteyne (qui nous parlent ici de leurs super-héroïnes), film audacieux, où la prostitution est regardée à hauteur de femme, ni fantasmée, ni vilipendée. Où des héroïnes de la vraie vie, celle qui tiraille, qui gratte, qui fait mal, celle qui blesse et qui meurtrit, mais aussi celle qui réjouit et laisse encore rêver, choisissent elles-mêmes les armes pour mener le combat.
On retrouve également dans la programmation du festival le très puissant film de Patrice Toye, Muidhond, qui aborde avec intelligence et sans détours la question de la pédophilie, à travers la trajectoire de réinsertion d’un jeune homme qui lutte au quotidien contre le mal qui le ronge. On n’est pas prêt d’oublier Jonathan, incarné par le bouleversant Tijmen Govaerts, et la façon dont il nous confronte à nos craintes et nos certitudes.
Les Magritte du Cinéma dévoilent les nominations de leur 10e édition. C’est un choc des Titans qui s’annonce, avec d’un côté, Olivier Masset-Depasse et son angoissant thriller psychologique à la direction artistique impeccable, Duelles (10 nominations), propulsé par deux actrices au sommet de leur art, et de l’autre, Le Jeune Ahmed (9 nominations), qui signe le retour en grande forme des frères Dardenne à l’ADN de leur cinéma, avec le portrait âpre et tendu d’un jeune adolescent à la dérive. Belle présence également pour Lola vers la mer (7 nominations) et Nuestras Madres (6 nominations). Résultat des courses le 1er février.
Le 13 janvier, l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences annonce les nominations de la 92ème édition des Oscars et on apprend que Une sœur de Delphine Girard a été retenu parmi les 5 titres de la catégorie Courts métrages de fiction! La réalisatrice, interviewée à quelques jours de la cérémonie, nous parle de cette incroyable aventure.
Avec Adoration, Fabrice du Welz (que l’on retrouve ici en interview) livre un conte âpre et sensoriel, aussi lumineux qu’effrayant, porté par les jeunes Fantine Harduin et Thomas Gioria, sur l’amour fou qui unit un jeune garçon innocent et une jeune fille psychologiquement fragile. Le film sort le 15 janvier en Belgique.
Après avoir cartonné aux Etats-Unis, Bad Boys for Life d’Adil El Arbi et Bilall Fallah terrasse le box-office belge, avec près de 200.000 spectateurs pour sa première semaine de sortie!
Les nominations pour les 45e César du Cinéma tombent, et on retrouve deux films belges dans la catégorie Meilleur film étranger! Lola vers la mer de Laurent Micheli et Le Jeune Ahmed de Jean-Pierre et Luc Dardenne feront ainsi face à Douleur et gloire de Pedro Almodovar, Joker de Todd Philips, Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino, Il Traditore de Marco Bellocchio, et Parasite de Bong Joon-ho, rien que ça!
FEVRIER
Les jeux sont faits pour les Magritte du Cinéma, et c’est ce qu’on appelle un bingo! Duelles, le 3e long métrage d’Olivier Masset-Depasse était en lice ce soir dans 9 catégories… qu’il a toutes remportées! C’est une première aux Magritte du Cinéma, pour un film avec autant de nominations. Les films les plus primés jusqu’ici étaient, Mr Nobody en 2011, et Insyriated en 2018, avec chacun 6 prix.
Côté interprétation, si Veerle Baetens remporte le Magritte de la Meilleure actrice et Arieh Worthalter celui du Meilleur acteur dans un second rôle, Le Jeune Ahmed vaut le Magritte du Meilleur espoir masculin au jeune Idir Ben Addi, et celui de la Meilleure actrice dans un second rôle à l’excellente Myriem Akheddiou (que l’on retrouver cette automne en héroïne obstinée de la nouvelle série de la RTBF, Invisible). Mya Bollaers remporte quant à elle le Magritte du Meilleur espoir féminin pour Lola vers la mer, tandis que Bouli Lanners remporte pour la première fois le Magritte du Meilleur acteur pour le magnifique C’est ça l’amour de Claire Burger.
Une Cérémonie riche en émotion, présidée par Pascal Duquenne, à l’occasion de laquelle la divine Monica Bellucci reçoit le Magritte d’honneur, alors que Filles de joie, d’Anne Paulicevich et Frédéric Fonteyne, qui sort le 12 février, fait l’objet de notre traditionnel Cinevox Happening, retransmis pour la première fois en direct dans une demi-douzaine de salles!
Le 42e Festival International du Court Métrage s’achève le 8 février à Clermont-Ferrand avec la remise du Grand Prix a été attribué au film belgo-ghanéen Da Yie d’Anthony Nti. Dans la section Labo, l’artiste aux mille talents Baloji reçoit le Prix Festivals Connexion – Auvergne-Rhône-Alpes pour son film autoproduit Zombies.
Alors que l’Europe commence à sentir au creux de son cou le souffle froid du Covid, le Festival de Berlin se déroule presque normalement. L’occasion d’y découvrir trois films belges : Jumbo de Zoé Wittock (dévoilé à Sundance) et Pompei d’Anna Falguères et John Shank dans la section Generation, et Petit Samedi de Paloma Sermon-Daï au Forum (voir ici notre interview avec la réalisatrice). 7 mois plus tard, Petit Samedi remportera le Bayard d’Or au FIFF…
Encore mieux qu’un Dikkenek 2, Olivier Van Hoofstadt (voir notre interview) livre avec Lucky une comédie policière tout en décalage et rebondissements. Au générique du film, qui sort le 26 février, on retrouve un casting de haute volée où se croisent Florence Foresti, Alban Ivanov, Michael Youn, Yoann Blanc, Kody, Laura Laune, Sarah Succo, François Berléand, Corinne Masiero…
MARS
Alors que l’Italie se confine, on peine à croire que cela puisse être possible en Belgique… Le 4 mars sortent deux films belges aussi différents que percutants.
Avec Pompéi, John Shank et Anna Falguères (voir notre interview) livrent un conte crépusculaire, une abstraction romantique, illuminée par l’amour fou qui terrasse deux enfants perdus d’une civilisation en ruines. C’est un monde d’absence – celle notamment des parents – et de désolation qui abrite les âmes tourmentées de Pompéi, un monde écrasé de chaleur, dominé par les soleils couchants.
A mille lieux de là, Peter Brosens et Jessica Woodworth livrent avec The Barefoot Emperor une suite délicieusement burlesque, radicalement politique, et dramatiquement visionnaire à King of the Belgians, imaginant comment la chute d’un minuscule royaume sème le désordre dans une Europe hantée par ses délires nationalistes et populistes. En haut de l’affiche, on retrouve l’impérial Peter Van den Begin (croisé ici), secondé par l’immense Géraldine Chaplin (croisée là).
Le très beau Tantas Almas (on en parle ici), lauréat de l’Etoile d’Or au Festival du Film de Marrakech en décembre, est le premier long métrage de fiction du réalisateur colombien installé en Belgique Nicolás Rincòn Gille. Cette épopée mémorielle sur les traces de la guerre civile colombienne est montrée en avant-première belge au Festival International du Film de Mons.
Le 9 mars, à 5 jours du confinement (mais on ne le sait pas encore, bien qu’on le soupçonne fortement), nous organisons un ultime Cinevox Happening autour de Losers Revolution, de Thomas Ancora, co-réalisée avec Grégory Beghin, comédie complètement décomplexée, empruntant autant aux buddy movies à l’américaine qu’à l’univers déjanté de la télé-réalité, dont il livre une savoureuse parodie, où l’on retrouve Clément Manuel, Kody et Baptiste Sornin. Le film sort le mercredi 11 mars… et reste trois jours en salle!
Le 13 mars, c’est officiel, le confinement est déclaré, les salles de cinéma et de spectacle sont fermées, et l’on n’a à ce stade aucune idée de la date à laquelle elles pourront réouvrir…
Et vous, vous faites quoi pendant le confinement? Cinevox contacte réalisateurs et réalisatrices, comédiens et comédiennes pour voir comment ils et elles occupent leur confinement… Du 17 mars au 12 mai, 54 d’entre elles et eux jouent le jeu. Fabrice du Welz, Rachel Lang, Thomas Ancora, Zoé Wittock, Tania Garbarski, Guillaume Senez, Olivier Masset-Depasse, Déborah François, Delphine Lehericey, Laurent Micheli, Anne Paulicevich, Baloji, Lucie Debay, Mustii, Martine Doyen, Stephan Streker, François Troukens, Vania Leturcq, Myriem Akheddiou, Mourade Zeguendi, Jean-Benoît Ugeux, Benjamin Ramon, Pauline Etienne, Joachim Lafosse, Yoann Blanc, Géraldine Doignon, Jean-Jacques Rausin, Sanaz Azari, Sophie Maréchal, Matthieu Donck, Catherine Salée, Samuel Tilman, Fantine Harduin, Aurélien Caeyman, Jonas Bloquet, Mara Taquin, Sarah Hirtt, Baptiste Sornin, Bérangère Mc Neese, Clément Manuel, Ingrid Heiderscheidt, Xavier Seron, Amélie Van Elmbt, Stéphane Bissot, Yassine Fadel, Savina Dellicour, Hande Kodja, Pierre Nisse, Vincent Londez, Olivier Pairoux, Ann Sirot & Raphaël Balboni, Sophie Breyer et Constance Gay se confient sur leurs lectures, leurs films favoris, ce qu’ils font et ce qu’ils cuisinent, en attendant que la vie normale reprenne son cours…
Producteurs, distributeurs, plateformes et institutions unissent leurs forces pour permettre au public belge de découvrir les films belges sur leurs petits écrans, en attendant la réouverture des salles.
Avec une sortie programmée le 18 mars, Jumbo, le premier long métrage de Zoé Wittock (voir notre interview), doit trouver autrement son chemin vers le public. Conte de fées moderne, histoire d’amour queer, coming-of-age fantastique, Jumbo, devrait être l’une des révélations de ce printemps cinématographique, bouleversé par la crise sanitaire mondiale. Cette histoire d’amour hors norme entre une jeune femme et une machine au coeur palpitant, est dévoilé en VOD, en attendant des temps meilleurs.
Alors qu’il aurait dû sortir au printemps, Le Milieu de l’horizon, troisième long métrage de la réalisatrice belgo-suisse Delphine Lehericey (voir l’interview) voit sa sortie repoussée, mais reçoit les Prix du Meilleur film et du Meilleur scénario à l’occasion des Prix du Cinéma suisses, organisés online. Le Milieu de l’horizon dresse le parcours initiatique d’un jeune garçon qui va s’émanciper en voyant sa mère et les femmes qui l’entourent revendiquer leur liberté envers et contre tous.
AVRIL
Début avril, les tournages ne sont pas près de reprendre, mais en coulisses, les choses se précisent, notamment pour Mothers’ Instinct, le remake américain de Duelles d’Olivier Masset-Depasse, par le réalisateur belge lui-même, avec dans les rôles principaux Anne Hathaway et Jessica Chastain, qui est également productrice du film.
Le 11 avril, le cinéma belge pleure l’ingénieur du son belge Marc Engels, 54 ans, emporté par le COVID-19. Compagnon de route de nombreux cinéastes belges et internationaux, salué à plusieurs reprises pour son travail (lauréat notamment d’un César en 2017 pour L’Odyssée de Jérôme Salle, nommé aux Magritte en 2016 pour Je suis mort mais j’ai des amis des frères Malandrin et en 2019 pour Tueurs de François Troukens et Jean-François Hensgens), sa disparition a profondément ému la profession.
MAI
A défaut du grand, il reste le petit écran. Le 1er mai débarque sur Netflix Into the night, véritable thriller psychologique sous haute tension lorgnant vers le film d’anticipation écolo-cauchemardesque. Into the Night, première série Netflix belge percutante tient en haleine le spectateur, forte d’un pitch super efficace et d’un casting de haut vol. On y retrouve de nombreux comédien·nes belges que cette belle exposition permet de briller, avec Pauline Etienne et Laurent Capelluto comme capitaines, mais aussi Vincent Londez, Babetida Sadjo, Jan Bijvoets, Astrid Whettnall, Nabil Mallat ou encore Yassine Fadel.
Alors que les contacts sociaux et les rencontres sont mis à mal par le confinement, Cinevox se lance dans un nouveau format, un podcast consacré aux talents du cinéma belge. Les Rituels, interroge les auteurs et les autrices sur leur rapport à l’écriture, ce qu’elle représente dans leur vie, et dans leur quotidien.
Pour le tout premier épisode, Bouli Lanners se confie sur son rapport particulier à l’écriture: « J’ai toujours menti, j’ai toujours menti à ma mère, j’aime raconter des histoires. Mais je peux le faire maintenant en mentant de manière… moins culpabilisante. »
On retrouvera dans les épisodes suivants des Rituels Delphine Lehericey, Joachim Lafosse, Guillaume Senez, Fabrice du Welz, Matthieu Donck, Jaco Van Dormael, Rachel Lang, Samuel Tilman, Fien Troch, Stephan Streker, Anne Paulicevich, Xavier Seron, Marie Enthoven et la regrettée Marion Hänsel.
Mi-mai, les professionnels du cinéma belge, tous postes confondus, sont de plus en plus inquiets. Ils expriment depuis plusieurs semaines leur inquiétude quant à la situation. On a lu Joachim Lafosse, on a entendu Jean-Pierre Dardenne, les associations professionnelles travaillent d’arrache-pied. Le secteur est virtuellement à l’arrêt, et les perspectives de reprise sont pour le moins floues. Fabrice du Welz nous confie sa colère, alors que le tournage de son nouveau film, Inexorable, a dû être repoussé.
JUIN
Le 3 juin, la nouvelle tant attendue tombe enfin. On espérait une réouverture pour le milieu du mois, les salles rouvriront finalement le 1er juillet en Belgique, en respectant de drastiques mesures sanitaires. Si le milieu souffle un (tout petit) peu, on s’interroge sur la présence du public, et l’audace des distributeurs. Qui osera sortir ses films?
Si le Festival de Cannes a fait l’impasse sur son édition 2020, il annonce néanmoins une sélection de 56 films auxquels sont attribués un « Label Cannes 2020« , ayant pour but de les soutenir pour leurs sortie en salles dans les mois à venir. Le cinéaste belge Lucas Belvaux reçoit ainsi ce label pour son nouveau film, Des Hommes (on vous en parle ici), une adaptation du roman éponyme de Laurent Mauvignier avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Darroussin, Catherine Frot et Yoann Zimmer.
Le 8 juin, c’est avec une immense tristesse que l’on apprend le décès de l’autrice, réalisatrice et productrice Marion Hänsel ce lundi 8 juin 2020. Avec près de 15 longs métrages dans sa filmographie, mélange intrigant et fort entre adaptations littéraires et créations originales, elle s’est imposée dans le paysage cinématographique belge et mondial avec une oeuvre puissante, exigeante et éminemment personnelle, notamment son dernier film, Il était un petit navire, mémoires poétiques et filmées, qui s’impose aujourd’hui comme un testament cinématographique terriblement émouvant. Au fil de sa carrière, son cinéma a croisé des Prix Nobel, adapté des Goncourt, été sélectionné à Cannes et Venise (où elle remporte le Lion d’Argent pour Dust, adaptation de J.M. Coetzee avec Trevor Howard et Jane Birkin). Du Pacifique à l’Afrique du Sud, de Djibouti à Hong Kong, sa filmographie offre un voyage à travers le temps et l’espace, aussi lettré que spectaculaire.
Tristesse et stupéfaction, car la cinéaste vient de nous confier ses Rituels d’écriture (ils sont disponibles ici) dans le podcast du même nom, publié quelques jours avant. Elle se livre avec tendresse, humour et générosité sur la place que l’écriture occupait dans sa vie et son quotidien. Elle y revient sur son enfance, marquée par une profonde dyslexie, ses premiers contacts avec l’écriture, ses nombreuses rencontres avec des romans qui semblaient l’appeler et qu’elle adapta au cinéma, ses petites manies et son amour de l’écriture, la grande et la belle écriture, toujours sur du papier, si possible à la plume, les histoires dont elle rêvait, ses tentatives de co-écriture ratées, et cette soif, toujours, d’écrire.
Fin juin, tout le monde est sur le pied de guerre. Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles vient de prendre un arrêté de pouvoirs spéciaux qui permet la reprise des tournages grâce à la mise sur pied d’un fonds de garantie palliant le désistement des assurances face au virus. De son côté, le Centre du Cinéma lance une grande opération « J’peux pas, j’ai cinéma », des milliers de places à 1€, tandis que chez Cinevox, on prépare activement une série de Cinevox Happening exceptionnels dans le cadre du Pop-Up Mills…
La suite des actus cinéma belge de l’année 2020, c’est pour demain!