Présenté au Festival de Venise en septembre, La Folie Almayer de Chantal Akerman est sorti sur nos écrans ce mercredi. Une plongée en apnée au coeur de la folie dans l’Orient lointain
Les années passant, on craignait que Chantal Akerman ait définitivement renoncé au cinéma et entamé une retraite très précoce après une carrière bien remplie, jalonnée de très grands films comme Je, tu, il , elle (1976), Les rendez-vous d’Anna (1978), Golden Eighties (1986), Un Divan à New-York (1996), son film le plus grand public sans doute ou La captive (2000) avec Stanislas Merhar déjà. Pour n’épingler que cinq exemples, peut-être les plus connus.
Heureusement pour ses fans, sept ans après Demain, on déménage, la voilà de retour sur les écrans belges.
Produit chez nous par Artemis, La Folie Almayer est naturellement un film qui n’est pas destiné à tous. Ceux qui vont détester risquent de ne pas aller au bout de la séance, mais ceux qui se laisseront envoûter en conserveront des souvenirs brûlants. Ce que résume bien la critique parue aujourd’hui dans Moustique : « Plongée au cœur d’une jungle qui ressemble à s’y méprendre aux tourments intérieurs d’un père fou d’amour pour sa fille au point de l’emprisonner, le film file la métaphore de la démence progressive d’un colon chercheur d’or. Avec deux acteurs de choix: le fleuve noir et la nature, prison terrifiante et belle.. Filmés magnifiquement par Akerman et habités par un Merhar parfaitement hébété et perdu, ils offrent à l’histoire un envoûtement peu commun. Voilà un voyage que nous avons aimé, même si d’autres l’ont trouvé indigeste. »
Un verdict enthousiaste (3 étoiles) confirmé par La Libre : « Le résultat est une œuvre ambitieuse et inclassable, exigeante, mais accessible, qui explore la démence et la passion de façon terrifiante, nous confrontant à notre part de folie. L’expression pure d’une personnalité atypique qui a marqué l’histoire du cinéma mondial. »
La Folie Almayer est adapté du tout premier roman de Joseph Conrad, rédigé en 1895. Pour la circonstance, l’action est située à Bornéo à la fin des années 1950. Cette transposition n’est pas un choix futile. La réalisatrice découvrit, en effet, le livre assez récemment. Elle le lut sans arrière-pensée et en conçut une violente émotion. Ce n’est qu’après, le temps effaçant les détails de l’intrigue qu’elle cerna la modernité et l’universalité de l’histoire : les rêves que bâtissent les parents pour leurs enfants, la blessure causée par leur départ. Le thème est éternel, hérité des tragédies antiques, indémodables donc, même si elles sont vieilles comme le monde.
A l’époque où Chantal Akerman situe le scénario qu’elle mit ensuite en images, la Malaisie est sous domination anglaise, mais la révolte gronde. À travers le pays, l’atmosphère est particulièrement tendue. Almayer vit aux côtés de son épouse qu’il n’aime pas. Et qui le lui rend bien. Elle déteste tout ce qu’il représente, l’occident, l’Europe, ses mœurs incompréhensibles. Empêtré dans ses préjugés, il n’a jamais réussi à apprécier sa singularité. Entre eux s’est installée une sourde indifférence et seul le silence les unit. Aujourd’hui, cette fière jeune femme n’est plus qu’une servante. Unique pépite de cette union, Nina, magnifique petite métisse que son père veut éduquer à l’occidentale malgré le refus de sa mère qui essaie d’emmener l’enfant au loin, au mépris de sa vie. Une tentative vouée à l’échec qui sera une pierre de plus à l’édifice de leur haine et de leur folie réciproque. Nina part alors dans un pensionnat suivre l’éducation dont rêve son père. Quand elle revient au village, cette sublime jeune fille est triste, fermée à tous, ne sourit jamais, parle à peine. Au bord d’un grand fleuve tumultueux (une récurrence dans l’œuvre de Conrad), Almayer va sombrer dans la folie, déchiré entre la passion qu’il voue à sa fille et son incapacité à la rendre heureuse.
Pour interpréter ce personnage hors norme, Chantal a, à nouveau, porté son choix sur Stanislas Merhar, qui remporta un César de meilleur espoir pour Nettoyage à sec en 1998 et qu’elle fit donc tourner dans son formidable La Captive, déjà une histoire d’amour irrationnel(le), inspirée de Proust, et électrisée par Sylvie Testud. Sa fille à l’écran est Aurora Marion, magnifique débutante née d’un père grec et d’une maman belgo-rwandaise.
Ce n’est pas le moindre des charmes du film…