Yam Dam : Afrique adieu…

Christian mène une vie bourgeoise et sans relief de vétérinaire de province. Marié, sans enfants, il a créé avec sa femme une petite association d’aide à l’Afrique dont il est le président. Mais cela ne suffit pas à combler la monotonie de son existence. Alors Christian surfe. Sur le net, il s’invente une deuxième personnalité et flirte avec de jeunes Africaines en quête d’un avenir meilleure. Jusqu’au jour où Faustine, jeune burkinabée de 26 ans, débarque dans son cabinet…

À partir de ce pitch, toutes les options sont ouvertes : drame social, comédie débridée ?

Vivian Goffette a choisi une autre voie : il nous livre un film sensible qui nous happe sans crier gare et nous emmène dans un tourbillon de sentiments antagonistes.

 

Présenté à la fin de l’été au Festival des films du monde de Montréal, Yam Dam est le premier long métrage d’un réalisateur dont on serait bien étonné de ne pas entendre reparler : Vivian Goffette.Un micro budget comme il l’avoue lui-même, conçu dans le cadre de Cinéastes Associés… et une vraie belle réussite.

A tel point qu’au FIFF namurois début octobre, il s’est vu remettre le prix Cinevox par un jury de cinéphiles qui l’ont élu « meilleur film belge de la manifestation ». Et pourtant, les concurrents sérieux ne manquaient pas.

 

[Photo FIFF]

 

D’abord, il faut dire que le manque de moyens ne se sent pas. Le film est intimiste certes, mais son scénario ne demande pas autre chose. Finalement, cette absence d’opulence a obligé le réalisateur à se concentrer sur le cœur de son sujet, quelques personnages. L’intelligence et le talent font le reste.

 

 

Le cœur de l’œuvre est l’histoire d’une relation ambiguë entre deux personnages : Faustine, Burkinabé qui espère simplement trouver en Belgique un peu d’oxygène, une occasion de sortir la tête de l’eau et Christian, déchiré entre un quotidien plan-plan, la perspective d’une grande histoire qui se dessine peu à peu et une peur irrationnelle de s’égarer.

 

Mais Yam Dam (même le titre est beau, il est expliqué dans le film) habille ce noyau d’une série d’interrogations pertinentes totalement d’actualité : il questionne notre relation aux pays émergents, l’investissement personnel qui dépasse rarement le stade de la « bonne conscience », l’envie de donner qui ne parvient jamais à effacer la peur de perdre.

 

 

Trop court (c’est un compliment), Yam Dam va à l’essentiel et ne nous laisse pas le temps de reprendre notre respiration. En cause un scénario brillant qui comporte son lot de surprises, d’ellipses et de trouvailles et une réalisation impeccable, sans fioriture, sans effet de style, mais dont la sobriété est avant tout un gage d’efficacité. On a vu pas mal de films de 2 ou 3 millions d’euros qui semblaient plus étriqués que celui-ci.

 

Excellent scénariste et réalisateur habile, Vivian Goffette est également un fin directeur d’acteurs. Son casting à 95% belge, n’est pas composé de visages très connus au cinéma, mais pas un comédien ne déçoit : Fabio Zenoni, Clarisse Tabsoba, Valérie Lemaître, Christophe Sermet, Delphine Cheverry, Pierre Dherte et Vincent Grass, plus quelques seconds rôles croustillants comme  l’amusante Nicole Shirer (vue dans BXL/USA), s’offrent le luxe d’un sans-faute.

 

 

Les deux premiers nommés sont clairement ceux qui tirent le film vers l’émotion, mais sans aucune exagération, sans le moindre pathos. Fabio Zenoni qu’on n’avait jamais vu si bien servi sur grand écran catalyse l’attention et l’intelligence du spectateur. Omniprésent, il est celui qui nous entraîne. Son personnage n’est pas sans rappeler l’ouvrier joué par Vincent Lindon dans l’admirable Mademoiselle Chambon (les deux œuvres devraient plaire à un même public). Sa trajectoire est émouvante, inéluctable. Il incarne sans ostentation la passion et la lâcheté, la détresse d’un homme comme tous les autres, déchiré entre le désir et la peur de se perdre.

 

Face à lui, Clarisse Tabsoba, actrice de théâtre burkinabé, campe la détermination de celle qui sait que le monde meilleur est ici et qui compte bien s’accrocher à la toute petite opportunité qu’elle estime avoir d’échapper à la misère. Sa dignité pourrait arracher quelques larmes à Maggie De Block. On peut rêver… En cela, le film renvoie clairement à Illégal d’Olivier Masset-Depasse.

 

 

Soutenu par une campagne offerte par Brightfish en récompense du prix décroché à Namur, le film sortira en mai dans quelques villes belges. Difficile à ce stade d’imaginer si Yam Dam pourrait avoir sa chance en salles où, chacun le sait, la lutte à la visibilité est en train de tourner au fiasco pour les « petits films », quelle que soit leur nationalité.  Mais si, d’aventure, vous avez l’occasion de croiser sa route, n’hésitez pas : voilà 77 minutes (c’est trop court, on le répète) qu’on peut difficilement regretter.

 

La fin (que nous ne révélerons naturellement pas) est d’ailleurs exemplaire. Alors que l’on craint soudain le dérapage incontrôlé, le réalisateur nous sert une ultime pirouette qui laisse pantois. Brillant !

 

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