Fien Troch : Quelques considérations à propos de mon cinéma

En réfléchissant à ce qui pourrait être l’essence de mon cinéma, je suis arrivée à la conclusion que je ne pourrai jamais abuser du cinéma pour raconter une histoire. Cela semble peut-être contradictoire à première vue, mais je vais essayer de clarifier ce point de vue.

J’ai toujours eu pour ambition d’explorer le cinéma dans toutes ses facettes, comme une forme d’art à part entière. Quand je fais un nouveau film, je veux étudier à chaque stade ce que je peux réaliser avec les paramètres habituels. Depuis la phase du scénario, en passant par le casting, la production, le jeu, la photographie, jusqu’au montage et à l’utilisation de la musique, je DOIS tout mettre à l’épreuve. Ce questionnement des fondements du cinéma n’a rien à voir avec une quelconque incertitude mais avec la volonté affirmée d’éviter les évidences. Rien ne doit aller de soi. Tout doit, y compris moi-même, être remis en question et repensé.

C’est aussi une des raisons pour lesquelles le style de mes films varie. Pour moi, le cinéma n’est pas une activité statique où je me cramponne à une formule à succès que j’ai déjà pu éprouver et que je perpétue dans la suite de mon œuvre. Chaque nouveau projet doit s’accompagner de nouvelles découvertes, de nouvelles théories et convictions.

Il y a une seule constante : pour moi, le cinéma n’est pas un moyen de raconter une histoire, c’est un but en soi. Le but étant d’élargir et d’interroger le cinéma en tant que forme artistique, et oui… même de le redécouvrir.

Dans cette recherche, ce qui prime c’est l’émotion. Selon moi, la narration est souvent surestimée et l’aspect émotionnel sous-estimé. Jusqu’à nouvel ordre, mes films sont mus par un univers émotionnel qui s’efforce de refléter la vraie vie. Ce reflet ne doit pas nécessairement être anatomiquement correct. Comme dans un palais des glaces, des déformations peuvent faire surgir et révéler certains traits caractéristiques et même susciter l’hilarité. Déformer en restant fidèle à la nature, donc.

Je suis convaincue que le spectateur est malin et qu’il « voit » et « comprend » davantage que ce qu’il est communément admis, et cette conviction m’encourage à persévérer dans mon approche. Le spectateur moyen ne peut peut-être pas d’emblée énoncer le concept de « sous-texte », mais il reconnaît à coup sûr le sentiment qui l’accompagne. Le sous-texte est en effet quotidien et universel.
Il s’agit donc de présenter au spectateur certaines conventions nouvelles en matière de « voir » et de lui faire comprendre qu’il peut se fier à sa perception.

En définitive, pour moi, la vision ne doit pas toujours être facile et agréable. Mes films n’ont pas pour intention de distraire simplement le spectateur et de lui permettre de rentrer chez lui de bonne humeur.

Le cinéma peut troubler, ébranler, nous secouer et même nous laisser aux prises avec un sentiment « d’inquiétante étrangeté » ou de ce que les Allemands appellent « Unheimlichkeit ».

Dans mes deux films précédents, les personnages principaux étaient toujours des adultes et la présence des enfants jouait un rôle important. Les enfants m’aidaient à raconter le monde des adultes et à le clarifier. Dans ces deux films, les enfants étaient un miroir permettant de raconter la dureté, l’humour, l’absurdité ou la tristesse des personnages adultes.

Pour « Kid », je suis d’emblée partie de l’univers d’un enfant. Je voulais me confronter confrontation à des thèmes qui m’interpellent, mais vus à travers le regard des enfants. Cela me semble intéressant d’aborder une histoire par le biais de l’instinct de découverte, ludique et spontané propre aux enfants, mais sans « adoucir » ou adapter le sujet du film.
Le regard qu’un enfant pose sur l’univers des adultes est pur, émouvant et en même temps c’est un regard qui démasque. Il peut alléger ce qu’une histoire a de tragique mais il la rend aussi plus douloureuse et confrontante. Il réduit les évènements et les sentiments à l’essentiel et nous rappelle ce que nous sommes vraiment, il nous ramène à nos sentiments et expériences d’origine.
Avec « Kid » je veux sonder où se situe la frontière : jusqu’où un enfant peut-il rester un enfant ? Quand la perception enfantine se mue-t-elle en un regard adulte ?
Quand et où un enfant perd-il sa naïveté sous le poids de son environnement ?

Fien Troch

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