Etre, tout simplement

 

François, est au bout du rouleau. Il ne supporte plus son travail de policier et sa vie conjugale avec une épouse très dépressive. Son fiston est sa seule lueur dans un univers très gris. Mohammed veut quitter sa cité par tous les moyens.

Pas facile avec une femme enceinte, sa mère victime de la maladie d’Alzheimer et sa sœur qu’il a perdu de vue. Ester n’arrive pas à accepter sa condition de fille adoptée. Elle rêve d’évasion. Au grand dam de celle qui l’a recueillie et qui n’excelle pas dans sa tâche de maman. Christian veut aussi laisser son village et la boulangerie familiale dans laquelle il travaille. S… vit dans la rue et traîne dans son sac les fantômes de son passé. Son horizon? Le bitume et la grisaille.

Tous ces gens ordinaires vivent entre Paris et la province. En l’espace de dix-huit heures, leur destin vont se croiser, puis basculer. Irrémédiablement.

 

 

Ainsi expliqué, vous aurez sans doute l’impression que le scénario du premier film de Fara Sene, Etre, risque de nous égarer dans les dédales individuels. Il n’en est rien.

La prouesse est d’autant plus bluffante que les personnages évoqués plus haut… ne sont qu’une petite partie des héros anonymes que le scénariste-réalisateur sème sur notre route de spectateurs fascinés.
Le miracle de ce film puzzle (à ce stade on ne peut même plus parler de film choral) est de ne jamais nous égarer.

 

Le réalisateur au travail (photo de tournage)

 

Alors qu’il jongle avec les destins, Fara, cinéaste pourtant débutant en long format, réussit l’exploit de caractériser ses personnages de manière à ce qu’en un clin d’œil on identifie les enjeux sans jamais perdre le fil. Ceux qui parfois se jettent à corps perdu dans certaines séries américaines basées sur le même principe apprécieront la performance à sa juste valeur.

 

L’autre point fort est que tous ces individus, quels qu’ils soient provoquent l’empathie. C’est une autre des forces du film (et de son réalisateur) d’être positif sans être mièvre.

 

Dans ce type d’œuvre, un des petits plaisirs que peut s’offrir le cinéaste consiste à faire s’entrecroiser les personnages qui ne se connaissent pas, sur différents niveaux. Parfois ils se confrontent. Parfois ils apparaissent dans le même plan sans en être conscients. Souvent, Fara Sene s’amuse aussi  à cacher ses connexions jusqu’à ce qu’elles nous sautent au visage et peignent sur nos traits un sourire entendu et enjoué: bien joué l’artiste.

 

 

Sur cette trame, on pourrait penser à un mélo de Lelouch mais même si l’analogie tient vaguement la route, c’est du côté d’Innaritu (21 Grams, Babel) et du cinéma américain que Fara regarde avec insistance. Son film préféré Crash/Collision de Paul Haggis. Mais Magnolia de Paul Thomas Anderson vient également à l’esprit.

 

Il y a mille et une choses très positives à écrire sur Être qui concentre en un long métrage d’une durée par ailleurs fort raisonnable autant de thèmes et de réussites. Mais Cinevox oblige, un des attraits de cette production franco-belge, pilotée ici par Nicolas Georges et ses films du Carré est de nous proposer la plus belle brochette d’acteurs belges talentueux jamais vue ensemble dans un long métrage: Sophia Leboutte, Stéphanie Van Vyve, Benjamin Ramon, Astrid Whettnall, Mathilde Rault, David Murgia, Eric Larcin, Pierre Nisse, Anne-Pascale Clairembourg… ne sont que quelques visages épinglés parmi les quarante-neuf retenus ici.

Un exploit à mettre à l’actif de Nicolas George donc, mais aussi de Bernard Garant, assistant-réalisateur sur ce projet qui a avancé tous ces noms. Un homme de goût !

 

 

Grâce aux Film du Carré que Nicolas a créé pour pouvoir coproduire ce film auquel il croyait tant, Etre a été tourné à Liège avec une équipe essentiellement belge . Seuls quelques extérieurs ont été filmés à Paris. Minutieusement disséminés ici et là, à quelques endroits stratégiques, ils donnent l’impression que cette histoire alambiquée se déroule dans la ville lumière. C’est ce qu’on appelle « la magie du cinéma ».

 

 

Présenté en Première Mondiale au FIFF namurois 2014, Être a mis de longs mois à sortir dans les salles. Bizarrement, aucun distributeur belge ne semblait intéressé de sortir ce film populaire, pourtant porté par un acteur bankable (Bruno Solo a fait beaucoup de plateaux télé) et réussi.
Agacé par ce défaitisme, c’est à nouveau Nicolas George qui a pris le taureau par les cornes et contacté un à un les exploitants de salles qui lui semblait les plus adéquates.

Résultat : Être sort ce 10 juin un peu partout dans la partie francophone du pays dans de grands complexes : Imagix Mons et Tournai, Eldorado namurois, Cinépointcom (Charleroi et Verviers), Kinepolis Liège. Et aussi au cinéma Aventure à Bruxelles.

Autant dire que comparé à cette offre inédite pour un film de ce calibre, la sortie de plupart des films à petits et moyens budgets diffusés chez nous semble soudain riquiqui, pas du tout maous costaud.

 

 

Évidemment, cette magnifique sortie n’implique pas du tout que le film va cartonner auprès des spectateurs. Coincé entre Jurassic World, San Andreas, Mad Max, Tomorrow Land et Spy, en plein milieu des examens, il aura forcément toutes les peines du monde à tirer son épingle du jeu.

Mais quoi qu’il advienne désormais, on ne peut que saluer d’un big up, le formidable travail d’un producteur qui a cru à son projet du début à la fin. Et souhaiter que le public fasse la fête à ce drame complexe, aussi touchant que passionnant.

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