Emmanuelle Nicot: « Dalva, c’est un chemin de reconstruction »

On l’avait remarquée avec son court métrage, A l’arraché, Emmanuelle Nicot présentera Dalva, son premier long métrage, à la Semaine de la Critique. Un bel aboutissement pour ce projet fort et attendu, et un beau début dans la cour des grands pour la jeune cinéaste. Nous l’avons rencontrée, à un mois du Festival, pour parler du film et de cette expérience.

« Je suis restée un peu sans voix quand j’ai appris la sélection, un peu comme maintenant en somme, je ne m’attendais pas à tant pour mon premier film », explique Emmanuelle Nicot dans un sourire.

Avant toute chose, on a envie d’en savoir plus sur Dalva. « C’est un drame, mais c’est un drame solaire. C’est l’histoire d’une petite fille qui vit seule avec son père depuis des années. Elle a douze ans, mais elle s’habille, elle se maquille et elle se vit comme une petite femme. Suite à un signalement du voisinage, son père est arrêté, elle est placée dans un foyer. On comprend que Dalva est complètement sous l’emprise de son père, elle vit un inceste depuis des années, qu’elle voit comme un amour. Petit à petit, elle va se rendre compte qu’elle n’a pas été aimée, mais victime. La question de l’inceste, ce n’est pas directement ce qu’on raconte, puisque l’on est après, au moment de l’arrestation. Je dirais que Dalva, c’est un film qui va vers la lumière, c’est un trajet de reconstruction. En fait, c’est l’histoire d’une petite jeune fille qui commence comme objet mais qui va finir sujet de son propre destin. »

C’est compliqué, aujourd’hui de réaliser un premier film d’art et essai, et de lui trouver une place sur le marché pour qu’il puisse rencontrer son public. Les sélections en festival sont à cet égard cruciales pour assurer une visibilité suffisante au film, qui donnera envie aux diffuseurs et la presse de se pencher sur le projet, pour s’en faire le relai auprès de l’audience. Alors forcément, une sélection à Cannes, c’est un bon début.

Sa productrice, Julie Esparbes, revient sur ces premiers pas: « J’avais vu le film de fin d’études d’Emmanuelle, que j’avais beaucoup aimé. J’ai produit son premier court, et très vite, nous avons décidé de lancer son premier long métrage. Le film traite d’un sujet ultra-contemporain, il parle d’après l’inceste, et nous avons pu trouver relativement vite des partenaires pour nous accompagner, surement grâce à l’audace de celles et ceux qui ont osé parler, grâce à #metooinceste notamment. Cette sélection, c’est vraiment une belle opportunité pour ce projet. »

Pour incarner Dalva, il fallait trouver un nouveau visage, et Emmanuelle Nicot, qui a justement une expérience de directrice de casting, apprécie particulièrement le casting sauvage. L’incarnation était d’ailleurs l’un des point fort de son court, A l’arraché. Pour Dalva, elle s’est faite accompagnée par une directrice de casting française, plus expérimentée. La quête était complexe. « Il me fallait quelqu’un qui vienne d’un milieu socio-culturel plutôt élevé, explique la cinéaste, une jeune fille avec une façon de parler assez soutenue, et qui ait de la grâce. J’ai déposé des annonces dans des centres équestres, des écoles de musique, de danse classique. J’ai reçu près de 1000 vidéos, c’était pendant le confinement. J’en ai retenu une centaine, puis j’ai contacté les parents pour leur parler du sujet. Zelda Samson, c’est un coup de foudre. Dans sa vidéo, elle expliquait qu’elle voulait devenir astrophysicienne, spécialiste de la matière noire, et puis elle était hyper féministe. Elle avait 11 ans, mais une façon de s’exprimer extrêmement mature. »

Une perle rare, mais mise face à un défi complexe, celui d’incarner un personnage au premier abord assez éloignée d’elle, par le vécu bien sûr, mais aussi dans l’allure. « Zelda est assez garçon manqué dans la vraie vie. Quand je l’ai rencontrée, elle était un petit peu voûtée et alors que moi j’avais besoin de quelqu’un qui ait un port de tête et la grâce d’une danseuse. On a fait des répétitions, pendant trois, et Zelda a travaillé avec une coach qui l’a accompagnée, notamment pour trouver la posture de Dalva. »

La cinéaste a dû lier une relation très particulière avec la jeune comédienne. « Sur mes projets précédents, j’avais toujours travaillé avec des comédiennes qui avaient une approche très viscérale du jeu, et de la relation à la metteuse en scène. On se confiait beaucoup les une aux autres, on se parlait de nos vies, et j’utilisais tout ce terreau d’intimité dans le travail. Mais Zelda est extrêmement cérébrale, j’ai dû complètement repenser ma manière de travailler. Il fallait trouver la clé, et on a fini par la trouver ensemble. »

On demande à Emmanuelle Nicot si elle prend un plaisir particulier à travailler avec des jeunes filles dont c’est le premier rôle, et comment se construit ensemble l’incarnation? « Ce que j’aime beaucoup quand on fait du casting sauvage, c’est que l’on va chercher des gens qui ressemblent hyper forts au personnage que l’on a écrit. Après, tout le jeu, c’est de réussir à donner assez de confiance aux gens pour qu’ils arrivent à être eux-mêmes, dans toute leur puissance devant une caméra, tout en jouant, en oubliant ce qu’il y a autour. C’est passionnant. Et puis c’est magique d’être avec des gens qui ne sont pas blasés, qui découvrent tout, pour la première fois. J’adore fusionner avec eux et c’est la raison d’être du travail que je fais. »

Un premier film est forcément une expérience unique, pleine de joie surement, de tension aussi, une expérience que l’on ne vit par définition qu’une seule fois. Les défis y sont nombreux, professionnels, personnels. « Evidemment, je voulais faire le meilleur film possible, c’était ça mon plus grand défi. Mais je pense qu’il y a un autre grand défi que j’ai relevé, c’est que j’ai réussi à faire mon premier film et mon premier enfant en même temps. Ce n’était pas prévu, j’ai même hésité à décaler mon tournage d’un an, mais en fait, j’avais envie de pouvoir mener les deux de front, d’être mère et réalisatrice. Mon fils avait 5 mois quand on a débuté le tournage, j’ai fait toute la préparation avec lui collé contre moi. Je suis heureuse et fière d’y être arrivée, et je crois que c’est important de le dire, car je vois plein d’amies réalisatrices qui se posent la question, que l’on dissuade de faire un enfant tant qu’elle n’ont pas fait leur premier film. Ca peut prendre une éternité de faire un premier film, les financements sont souvent longs, moi ça m’a pris 6 ans, du coup on peut avoir tendance à mettre sa vie personnelle en stand-by. Il me semble important aujourd’hui de dire que réalisation et maternité, réalisation et grossesse sont compatibles, même si cela demande forcément de l’organisation. »

Un défi professionnel et personnel loin d’être anodin. Mais le film présentait également un défi artistique de taille: celui de tenir sur les épaules d’une jeune fille de 12 ans. « Dalva est de tous les plans, confirme Emmanuelle Nicot. Il fallait vraiment que Zelda soit entièrement présente, et elle l’a fait avec une force et une énergie sidérantes. Elle est magnifique. Et c’est une grande fierté d’avoir réussi à l’accompagner pour faire vivre ce personnage. »

Nous aussi, on a hâte de rencontrer Dalva. Rendez-vous en mai prochain sur la Croisette pour cette première rencontre.

 

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