Émilie Dequenne : « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu des horaires de bureau »

Dans Maman a tort, Émilie Dequenne embrasse un rôle atypique, celui d’une mère désarçonnée par son enquêtrice de fille (Jeanne Jestin) dans un monde du travail infernal. Nous avons rencontré Émilie, fatiguée, après avoir enchaîné quatre tournages de films très attendus, mais heureuse. Charmante, par-dessus tout.

 

Bonjour Émilie, comment avez-vous pris part à ce projet ?

Les choses se sont faites très simplement, Marc Fitoussi est venu me chercher. Nous avions déjà travaillé ensemble pour son premier film, La vie d’artiste, et le fait qu’il me propose à nouveau un rôle, c’est extrêmement flatteur mais ça fait aussi… peur : s’il revient vers moi, c’est qu’il était satisfait de ma première prestation, mieux vaut ne pas le décevoir ! J’ai lu son scénario, il m’a ému. Puis, le personnage qu’il me proposait, c’était assez nouveau. Je n’avais pas l’impression d’avoir déjà incarné une femme comme ça au cinéma. J’étais séduite par la relation mère-fille développée dans le film mais aussi par le parcours initiatique de cette adolescente. Donc la question ne s’est même pas posée, je voulais être cette Maman, quand bien même elle aurait tort.

 

 

Un rôle nouveau, c’est vrai que Marc Fitoussi disait qu’il ne savait pas si vous accepteriez le rôle de Cyrielle, peu glamour et n’évoluant pas au cours du film.

Je dirais même plus, elle se tasse ! On la découvre au fur et à mesure et en même temps que sa fille. Et de la jeune femme active, super-maman, qui gère tout, elle finit rabougrie. Après, on ne la juge pas. Et Marc a réussi quelque chose de très fort, jamais il n’est dans le jugement dans son film. Finalement, le spectateur est amené à comprendre ce que vit cette femme. Et si l’acte est condamnable, la personne fait ce qu’elle peut. Et ce personnage-là était vraiment intéressant. Ce n’est pas évident de jouer un tel personnage, effacé, un peu soumis. Sans héroïsme, quoi. C’était un challenge.

 

Et comment se prépare-t-il ?

C’est très difficile à expliquer, c’est une sorte de cuisine intérieure extrêmement inconsciente. Un personnage vient à vous petit à petit. Bien sûr, on peut observer, réfléchir à des références, c’est plutôt l’inconscient qui amène ce personnage.

Après, c’est très bête, mais le fait d’avoir tourné avec des horaires adaptés à Jeanne Jestin qui joue Anouk, ma fille dans le film et qui est de tous les plans, quasiment, m’a donné des horaires de bureau. Je partais de la maison à 8h et je rentrais à 18h. Ce qui est loin d’être un horaire de travail « normal » dans notre métier : en général, je pars à 8h pour revenir à 22h, voire même plus tard. Avoir un « horaire de bureau », ça ne m’était jamais arrivé ! Et surtout, je suis rarement chez moi. Et là, une sorte de train-train s’est installé. Le matin, je prenais la direction de ces bâtiments qui sont réellement des bureaux. Il y avait une sorte de parallélisme qui n’était pas désagréable et m’a pas mal aidé à m’installer dans ce rôle.

Évidemment, le soir, je rentrais à la maison, je ne retrouvais pas Anouk mais mes enfants.

 

 

Ce film, c’est un peu l’enfance au pays de la loi du marché, non ?

Oui, un peu. Bien sûr que le film est dramatique, qu’il retourne un peu les tripes, mais Marc est fort dans sa vision des choses : dans la vie, on peut être mis face aux pires épreuves, mais il y aura toujours quelque chose pour nous donner un fou rire. Son choix de porter l’attention sur le regard d’une enfant, c’est très fort et ça nous renvoie à notre propre naïveté. Ça nous réconcilie, je trouve, avec l’enfant qu’on était et qu’on a tendance à oublier dans la société actuelle. Parce que, évidemment, Marc ne raconte pas une histoire qui pourrait uniquement se dérouler dans une compagnie d’assurances. Non, il dépeint la société, en général.

 

 

Justement, cette relation avec Jeanne qui en est à son premier rôle de cinéma, comment s’est-elle nouée ?

Le plus naturellement du monde. Tout s’est fait instantanément. Peut-être que le fait d’avoir une fille du même âge que Jeanne n’y est pas étranger. Ca me plaçait en terrain connu. Je n’ai pas eu besoin de me forcer. À treize ans, Jeanne est extrêmement agréable, intelligente, mature. Mais je ne vous apprends rien, je crois que ça se voit à l’écran, elle a quelque chose de puissant en elle.

En plus de ça, Jeanne me renvoyait quelque chose de très personnel. Quand j’ai tourné Rosetta, j’avais 17 ans, Jeanne est encore plus jeune mais, cela dit, elle porte le film, elle est de tous les plans, pas une séquence n’a lieu sans elle. Et cela installait une ambiance particulière sur le film qui me rappelait Rosetta. Jeanne, c’était le petit moteur du tournage et on était tous aux aguets pour cette « petite ». Mais la petite était sacrément grande et faisait des choses assez incroyables.

 

Naturellement, vous retrouvez Marc Fitoussi. Le jeune réalisateur que vous découvriez en tournant La vie d’artiste a-t-il changé ? A-t-il pris « de la bouteille », si je puis dire ?

Déjà à l’époque, il avait une sacrée vision des choses, il savait bien ce qu’il faisait. Mais je ne suis pas suffisamment dans le jugement pour dire qu’il a pris de l’expérience. Maman a tort est son cinquième film donc, oui, forcément il a évolué. Après, j’ai retrouvé ce qui m’avait marqué chez lui : un réalisateur heureux qui vous transmet tout le bonheur qu’il a à réaliser son film. Et, en même temps, on sait quand il est content, quand il a ce qu’il veut. Après, il aime aussi pouvoir recommencer des prises avec des ajustements, il aime avoir plusieurs choix au moment du montage. Il nous fait essayer plein de choses différentes, sans rien cadenasser, et c’est très agréable.

 

 

Il réussit aussi à faire passer un côté très naturel, documentaire même sur certaines séquences, non ?

C’est l’idée, effectivement. Même si c’est très chiadé en termes de décors, de costumes, de couleurs et même de dialogues particuliers. Avec une identité très forte dans son cinéma, Marc arrive quand même à faire émerger un réalisme indéniable.

 

Tourner le film et le regarder, ce n’est pas la même chose. Que s’est-il passé en vous, la première fois que vous avez vu ce film ?

Pour que j’aille vers lui, un scénario doit me parler, me toucher, résonner. Et la petite boule au ventre est toujours présente avant de découvrir le film. On se demande si on va retrouver au cinéma ce qui nous a fait chavirer à la lecture du scénario. En voyant Maman a tort, j’étais heureuse, j’ai eu ce à quoi je m’attendais, j’ai retrouvé ce que j’avais éprouvé. Et même plus, car comme je vous le disais, Marc fait des choix et se laisse la possibilité de changer son fusil d’épaule au montage. Il voulait plusieurs versions de certaines scènes. Certaines tendaient à faire passer le personnage de Cyrielle pour plus ou moins sympathique. Jusqu’à la projection du film, je ne savais pas quel parti il prendrait. Et je me suis rendue compte à quel point Marc aimait ses personnages, sans les juger, même les plus salopards et les plus véreux. Il laisse une part d’humanité tellement grande chez ces personnages. Ce pari est vraiment réussi.

En plus, il est tellement avec Jeanne. Lors de la scène des révélations au restaurant de l’aéroport, sans en dire trop, Marc a fait beaucoup de plans, serrés voire très serrés, sur moi, pendant tout ce dialogue. En face de moi, Jeanne m’écoutait. Je n’avais jamais vu ça, la caméra n’était même pas sur elle. Mais cette jeune comédienne m’écoutait vraiment et prenait en plein cœur toute ce que sa mère pouvait lui faire comme révélations. Elle l’a refait ça en contre-champ pour Marc. Sur le coup, je me suis dit : « Pourvu qu’il monte cette scène en se focalisant sur Jeanne ». Et c’est ce qu’il a fait. C’était magnifique ce quise passait en face de moi, cette réaction d’enfant. Marc a vraiment réalisé ce film avec et dans les yeux de cette enfant.

 

Ça ne vous a pas empêchée de lui mettre une gifle !

J’avais tellement peur de me rater et… j’en ai raté une. Ce fut le moment le plus horrible de ma vie. Jeanne s’en est parfaitement remise, tout va bien, mais moi j’ai eu du mal à m’en remettre. (rires) C’est très dur de devoir donner une gifle au cinéma ou au théâtre. Vraiment !

 

 

Ce film trouve un casting très fort aussi avec Stéphane Bissot, Nelly Autignac, Camille Chamoux, Annie Grégorio, Jean-François Cayrey…

J’étais bien contente de retrouver Stéphane Bissot, après avoir incarné sa sœur (NDLR dans A perdre la raison). C’était chouette. Mais, plus largement, Annie Grégorio est formidable, comme le duo de « pestouilles » Chamoux-Autignac… Marc a trouvé un casting extra et fait une belle mayonnaise, si je puis dire !

 

Quelle est la suite, pour vous ? Au vu de vos prochains films, j’ai l’impression que le spectateur va se régaler. Dupontel, Jolivet, Belvaux, que de beau monde !

Dans l’immédiat, je vais me reposer au maximum. J’ai tourné quatre films en un an, et j’ai vraiment besoin de souffler. Mais, cela veut aussi dire qu’il y a plein de films qui vont arriver.
Maman a tort sort dans quelques jours. Après quoi, ce sera au tour de Chez nous, nouveau film de Lucas Belvaux et qui n’a rien à voir avec Pas son genre puisqu’il est nettement plus engagé politiquement et qu’il suit la trajectoire d’une infirmière qui devient tête de liste aux municipales d’un parti populiste d’extrême droite. Je serai aux côtés d’André Dussolier et de Guillaume Gouix.

Plus tard, il y aura Les hommes du feu de Pierre Jolivet avec Roshdy Zem et Michaël Abiteboul qui suivra le quotidien d’une caserne de pompiers en pleine saison des feux de forêts.

Enfin, il y aura le tant attendu Au revoir là-haut d’Albert Dupontel qui est l’adaptation du Prix Goncourt de Pierre Lemaître. Albert a une réputation qui peut faire peur et, en fait, non, c’est un homme qui travaille énormément. Il n’est pas obsédé par son film, il est possédé ! Il dirige extrêmement bien tout en étant lui-même acteur. Il a trouvé des mots très intéressants pour créer le personnage. C’est un sacré chantier mais il est vraiment habité par son film. J’ai été bluffée, ce fut une rencontre magnifique. C’est un film très masculin porté par Nahuel Perez Biscayart (vu dans Je suis à toi de David Lambert) dans le rôle d’Édouard Péricourt, un ancien Poilu qui va être défiguré par un obus en sauvant un homme. Moi, je joue la sœur d’Édouard, Madeleine. Mais j’ai tellement peur de trop en dire…

 AS

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