Emilie Dequenne: « le lien entre nous existait avant même que l’on arrive sur le plateau »

« Tout ce que je n’ai pas pu pleurer pendant le tournage, je l’ai pleuré en voyant le film pour la première fois. » Rencontre avec Emilie Dequenne, une fois de plus bouleversante dans Close, le nouveau film de Lukas Dhont. Elle nous parle de cette expérience extraordinaire, et de ce rôle qui ne l’est pas moins. De cette histoire d’amitié poignante entre deux jeunes garçons, séparés par le regard des autres.

Qu’avez-vous ressenti quand Lukas Dhont vous a proposé le rôle?

Je connaissais le cinéma de Lukas, mais apprendre qu’il avait envie de travailler avec moi, c’était déjà émotionnellement très fort pour moi. Je me souviens avoir dit à mes proches: « Mais vous vous rendez compte, c’est un prodige Lukas, et il veut travailler avec moi! »

Et puis je crois qu’inconsciemment il y avait quelque chose d’ancré en moi, qui était qu’un metteur en scène flamand ne viendrait jamais chercher une comédienne wallonne. Comme un clivage inconscient dans ma tête. 

J’ai rencontré Lukas avant même de lire le scénario, et il m’a expliqué ce qu’il avait dans la tête. C’était tellement axé sur l’émotion et le ressenti. Lukas a une grande générosité, et une grande douceur. Ce qu’il propose au cinéma, c’est ce qu’il est. Il s’empare de thèmes très durs, et les transcende de façon très forte et très belle. Il m’a surtout parlé de Sophie, et des mères dans sa situation. Il m’a parlé de choses que je pouvais lire, de témoignages qu’il me transmettrait.

Ce n’est qu’après que j’ai lu le scénario. Il m’a bouleversée. C’est tellement universel comme sujet. Le personnage de Sophie était passionnant, et s’inscrivait dans un récit essentiel pour la société. Un film n’est jamais plus réussi que quand il vous transforme, même un petit peu. Et quand on voit un film de Lukas, on n’est pas tout à fait le même après. Aussi bien pour celles et ceux qui ont pu être mis à mal par les autres, que pour celles et ceux qui ont pu agir ainsi. 

Et puis je me demande si ça ne peut pas aussi éveiller aussi les consciences des institutions. Je suis convaincue que ce qui se passe à l’école reste à l’école, que les enfants n’en parlent pas à la maison, et que c’est donc à l’école qu’il faut agir. 

Qu’est-ce qui justement résonne le plus en vous des trajectoires de ces personnages?

Tout résonne en moi. Je crois à la liberté, c’est essentiel de pouvoir être soi au maximum, de savoir s’écouter. Je crois à la curiosité envers l’autre, le respect de l’autre, l’envie de connaître l’autre tel qu’il est. Je n’aime pas le mot tolérance, je le trouve moche, tolérer quelque chose, c’est presque triste. Je veux juste connaître les autres, les découvrir, peut-être même les comprendre. Je trouve que le film s’inscrit dans cette philosophie de vie. J’aimerais tellement que le monde soit dans une position d’ouverture, tout le temps.

L’histoire de Léo et Rémi, c’est l’illustration douloureuse de cette petitesse d’esprit, sur les a priori mortels, l’éducation aussi. Ca m’a rappelé une discussion que j’avais eu en famille, avec mes enfants, ils étaient encore jeunes à l’époque. On parlait mariage pour tous, de la GPA, et l’un des enfants disait: « Mais vous vous rendez compte comment l’enfant va être traité à l’école, par les autres? ». Et moi je lui disais: « Mais non, justement, tout part de l’éducation qu’on donne aux autres enfants. Si on leur apprend à être ouverts, il n’y aura pas de problème. » C’est un objectif pour moi, dans l’éducation de mes enfants, mais aussi dans ce que je veux transmettre en tant que comédienne, vivre en harmonie avec les autres, et surtout dans l’acceptation de l’autre tel qu’il est, avec ses croyances, ses désirs, ses envies, et sa manière de vivre sa vie. Alors forcément, le film de Lukas résonne.

Et puis dans la lutte pour l’égalité des sexes, les hommes ont aussi le droit d’avoir des amitiés aussi charnelles et sensuelles que celles que peuvent avoir les femmes. Je crois que c’est l’un des premières choses dont Lukas m’a parlé. Il me disait: « Vous les filles, vous pouvez vous prendre la main, vous embrasser, aller aux toilettes ensemble. » Il y a quelque chose de sensuel et charnel dans les amitiés féminines qui n’est pas sans cesse ramené à la sexualité. C’est quelque chose que j’avais aussi envie de partager. 

Emilie Dequenne et Lukas Dhont, Festival de Gand.
Photo: Bart Bavegems

Il y a effectivement ce droit d’exprimer l’amitié, l’affection par le corps sans être jugé. Le film d’ailleurs est fait de beaucoup de regards, de gestes, de silences. Beaucoup de choses se jouent à travers le corps. 

C’est vraiment le cinéma de Lukas ça, on retrouvait déjà cette corporalité ultra-présente dans Girl. C’est un sujet de prédilection pour lui, comment notre propre corps, notre propre physique peut être une entrave à notre développement. 

Là par exemple, entre Léo et Rémy, ce n’est pas l’homosexualité le problème, c’est le fait qu’on les en accuse. On leur suppose une relation amoureuse entre garçons, mais c’est presque un prétexte, on aurait pu leur reprocher n’importe quoi d’autre. Leur proximité et leur sensualité gênent. 

Comment vous êtes-vous préparée pour le rôle?

Lukas crée des vrais liens entre les gens. Il ne se contente pas de nous réunir autour d’une table, faire une lecture et partager quelques banalités. Il a créé des moments entre nous pour que l’amour soit réel, qu’il y ait un vrai lien d’affection, que j’ai vraiment éprouvé pour Eden, pour Gustav, pour Lea aussi. On n’a pas travaillé le texte autour d’une table, on a pris le bateau, mangé une glace. Arrivés sur le tournage, le lien on ne doit plus le prétendre, il existe. C’est une des grandes forces de Lukas.

Qu’est-ce qui caractérise le personnage de Sophie?

C’est quelqu’un qui a une certaine pudeur. Elle est très généreuse avec son fils, et les amis de son fils. Remi est comme un fils pour elle. C’est quelque chose que je partage avec elle d’ailleurs. Certaines amies de ma fille Mila sont comme des filles pour moi. Je devais développer ce côté « copine » qu’une mère peut avoir avec ses enfants, ce qui n’a pas été très difficile à trouver pour moi car j’ai vingt ans d’écart avec ma fille! J’ai beaucoup fait appel à mon rapport avec mes propres enfants finalement. Je n’ai pas eu à fabriquer grand chose.

Par contre, je suis beaucoup plus transparente que Sophie, je garde beaucoup moins les choses pour moi, donc j’ai dû travailler sur la construction de l’armure que se confectionne Sophie pour se protéger. Sur sa pudeur aussi. Cette pudeur, cette façon de respecter à tout prix l’intimité de son fils, c’est peut-être ce qui se retourne contre elle, et c’est surement la clé de sa culpabilité. 

Léa Drucker, Eden Dambrine, Lukas Dhont, Gustav De Waele et Emilie Dequenne.
© J.P.Malherbe/N.L.P.

Elle est face à son propre sentiment de culpabilité et de responsabilité, mais aussi à celui de Leo, qui est comme son deuxième fils. Elle est à la fois en deuil d’un fils, et bouleversée par la souffrance de cet autre enfant. 

C’est comme s’ils se voyaient dans un miroir, Sophie et Leo, quand ils se regardent. C’est pour ça qu’ils se cherchent, qu’ils se parlent sans se parler. En même temps ils sont à la recherche d’exactement la même chose. Ils culpabilisent tous les deux, ils ont besoin de réponses tous les deux. C’est ça qui va faire tomber l’armure de Sophie, c’est ça peut-être qui va libérer Leo. Il y a une grande complémentarité, et un effet miroir. Ils vivent exactement la même chose.

Quel était le plus grand défi pour vous?

La vraie difficulté, c’était de ne pas céder à l’émotion. D’ailleurs j’ai craqué à certains moments, ce qu’on ne voit évidemment pas dans le film. En tant que mère, on a forcément une empathie, on a tendance à plonger avec les personnages. En plus on a tourné dans la continuité, donc quand Rémi (ndlr: le personnage) n’est plus là, Gustav (ndlr: le jeune comédien) n’était plus là non plus. La mise en abîme était très forte. Les séquences avec Eden dans la cuisine, c’était très difficile de garder pour moi les mille morceaux qu’il y avait à l’intérieur de moi. Tout ce que je n’ai pas pu pleurer pendant le tournage, je l’ai pleuré en voyant le film pour la première fois.

J’adore ce film. J’y croyais en lisant le scénario, je l’ai su en voyant Lukas travailler, il est incroyable. Je me doutais qu’il aurait un point de vue, une douceur, de l’amour. Une beauté. Et puis quand j’ai vu le film, il m’a retournée. Quand cette émotion s’est retrouvée partagée à Cannes, c’était incroyablement galvanisant et jubilatoire. 

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