C’est aujourd’hui que sort dans les salles Eclaireuses, documentaire de Lydie Wisshaupt-Claudel sur l’expérience singulière de deux enseignantes devenues héroïnes par la grâce de leur engagement et du cinéma, qui ont créé une structure accueillant des enfants qui n’ont jamais été scolarisés, entre 6 et 15 ans.
Ce lieu unique, c’est La Petite Ecole. On le découvre à travers leurs yeux, leurs âmes et leurs corps, à elles, mais aussi aux enfants qui les rejoignent. Enfants de l’exil, rescapés de drames souvent inimaginables, marqués par la guerre, la peur, et la méfiance, ces enfants trouvent en ce lieu la possibilité d’étancher leur soif d’apprendre, mais aussi d’exprimer leur colère, et même leur violence, que Marie et Juliette cherchent à canaliser plus qu’à faire taire. La violence forcément doit avoir sa place dans leurs parcours de reconstruction. Il faut l’accepter pour la comprendre, et un jour la transcender.
La Petite Ecole donne à ces enfants qui ont vécu des drames d’adultes le droit et l’occasion d’être encore, voire à nouveau des enfants. Marie et Juliette sont aussi pour eux d’autres référents adultes, pour des jeunes qui souvent ne sont confrontés qu’à leurs parents. A côté du contexte familial, ils peuvent surement aussi s’inventer autrement. Il faut voir d’ailleurs le regard de ces pères, qui souvent ne comprennent rien au français qui leur est parlé, mais tout aux gestes et aux attitudes de leurs enfants.
La Petite Ecole est à la fois un laboratoire de recherche, et un marchepied vers une scolarisation plus classique. Pourtant, on comprend au fil du film que l’insertion dans le système traditionnel n’est pas forcément un but idéal. Marie et Juliette s’interrogent, se demandent qui on ne les pousse pas à « préformater » ces enfants pour « les faire entrer dans un système défaillant. »
Finalement, ce n’est pas tant un formatage académique, la transmission de savoirs nécessaires à une éducation primaire ou secondaire telle qu’elle est conçue en Belgique que vise la structure. Ce qui apparaît comme un enjeu plus fondamental se joue dans un certain rapport au temps. Une façon d’aider les enfants à vivre autrement que dans le présent. Cela se joue sur le rapport aux temps d’apprentissage, de découverte et de détente, cela se joue dans les emplois du temps, cela se joue dans la façon d’intégrer les rythmes de l’apprentissage. Cela se joue dans la capacité de penser au futur, de s’imaginer un avenir, parfois très immédiat.
Les enfants arrivent dans la structure alourdis de poids parfois difficiles à soulever, leurs peurs, leurs blessures. Ils cherchent leurs limites. Pour ça et bien d’autres choses encore, Marie et Juliette ont développé des approches alternatives qui les accompagnent pour trouver et définir leur place. Elles ne sont pas des maîtresses, elles sont des accompagnatrices. « On est sur le siège passager, c’est l’enfant qui décide ».
Mais l’expérience ne peut se faire hors sol. Elle est en partie, bien que timidement financée, et s’inscrit forcément dans un système, qui demande de rendre des comptes, de suivre des préceptes. Elle s’inscrit aussi dans une société, toute une architecture relationnelle complexe, qui soulève la questions de notre position face aux problématiques migratoires, souligne les incompréhensions culturelles, les privilèges invisibles, et la complexité de la mise en regard de toutes ces données.
Pourtant ce qui subsiste en fin de compte, c’est l’espoir, et les relations, parfois fragiles, toujours puissantes qui unissent à ces deux adultes qui ont pris le temps de les regarder et les écouter ces enfants qui cherchent où et comment atterrir. La question n’étant plus de savoir « où ils doivent aller », mais bien « où on peut les amener. » Sachant que toujours, ils seront au volant.