Delphine Lehericey: « La comédie doit surmonter l’épreuve du plateau, puis celle du montage »

Delphine Lehericey nous parle de son dernier film, Last Dance, qui sort cette semaine en Belgique. Une histoire drôle, d’amour, de deuil et de danse. 

Comment présenteriez-vous Last Dance en quelques mots?

J’ai écrit le film pendant le confinement, et mon idée, c’était de donner envie aux gens de retourner au cinéma, et de leur donner envie de rebondir malgré la fatalité, les problèmes qui nous arrivent dans la vie, et que l’on traverse malgré tout. La pire chose, c’est surement le deuil, et c’est ce dont j’ai voulu parler. Comment faire pour donner des clés pour rebondir?

Je venais de lire le livre de Joan Didion, L’année de la pensée magique. Quelle poésie, quelle beauté, quelle intelligence! Ce n’est pas du tout une comédie, c’est tragique, mais ça ouvre la porte à une renaissance. Et pour moi la meilleure manière de renaître, c’est de créer des choses, ce que fait Germain. A la fin du film, Germain danse, et accepte que Lise va devenir une photo sur un buffet, comme dans le livre. J’ai l’impression qu’on vit avec nos morts, et qu’ils nous aident à traverser le deuil. J’avais très envie de raconter ça, je crois, qu’on peut s’en sortir dans une forme de liberté, dans une forme de joie.

D’où le ton de la comédie?

Il fallait que ce soit un film simple et léger. A l’origine je voulais faire une franche comédie, ce n’est pas encore tout à fait le cas, ce sera peut-être le prochain film. Le milieu de l’horizon était un film assez dur, Puppy Love aussi. Je continue à creuser le sillon de la famille, et des obstacles qu’elle peut rencontrer. Mais je cherche plus de simplicité, plus de légèreté, j’admire beaucoup ce que peuvent faire par exemple Ann Sirot et Raphaël Balboni. Ils ne cherchent pas à nous expliquer la vie, ils partagent avec humilité ce qu’ils ressentent. Il y a une vraie générosité dans leur cinéma.

Comment ces envies se sont cristallisées dans cette histoire-là, avec ce personnage-là? Il y a une envie aussi de parler des personnes âgées?

On ne parle pas des personnes âgées, on ne parle pas de la fragilité, on ne parle pas du fait de rien faire non plus. Mes grands-parents sont encore là, ils ont 98 et 96 ans. Mon grand-père est à la retraite depuis ses 60 ans, et j’admire la façon dont il trouve tout le temps des choses à faire, alors qu’il ne travaille plus depuis près de 40 ans. Il n’est pas dans la performance, ni dans la visibilité. Il y a plein de manières d’être vivant qui ne sont pas valorisées. La vie après le travail, c’est encore la vie.

Donc oui, je voulais un vieux. Pas une vieille, parce que comme je le dis souvent, si ça avait été une femme, il n’y aurait pas eu de film, elle se serait débrouillé, elle n’aurait pas eu besoin d’être prise en charge par ses enfants. Bon, j’espère que c’est la dernière génération d’hommes qui doit se faire servir.

Ce que le film met en scène aussi, c’est la façon dont chacun et chacune vit son deuil, Germain le danse, son fils l’organise, sa voisine le cuisine…

Oui, effectivement. La génération de ses enfants, ce qui les angoisse, c’est le vide, le fait de faire face à leurs émotions. Il faut faire des tableaux, remplir des cases, mettre des Tupperwares dans le frigo, c’est une façon de ne pas être traumatisé, ne pas être malheureux. Ils sont chiants certes, mais touchants. Les petits-enfants sont dans l’observation, ils sont tristes, mais c’est dans l’ordre des choses.

C’est une mort triste, bien sûr, mais dans l’ordre des choses. Ce n’est pas la mort d’un enfant. On a tout juste le temps de s’attacher au personnage de Lise. J’avais d’ailleurs écrit sa mort, d’une façon que je trouvais drôle, à l’écriture. Mais à tourner, ce n’était pas drôle du tout. Toutes les choses légères que l’on écrit en comédie rencontrent deux épreuves, celle du plateau, puis celle du montage. C’est ce qui rend les comédies difficiles à fabriquer.

Last-Dance-Delphine-Lehericey

Surmonter la mort de l’autre passe aussi pour Germain par se ré-approprier son propre corps, imparfait, à travers la danse.

Oui, la danse, c’est aussi l’école de l’humilité. Je me souviens que Fabrice Du Welz, lors d’une interview à Ostende, m’a dit que j’étais une fille gentille. Sur le moment, ça m’a interpellée, mais en fait oui, bien sûr. Je pense qu’on doit être beaucoup plus gentils, notamment avec les corps, beaucoup plus indulgents. Face à la fragilité des corps, les corps malades, les corps vieux, les corps gros, les corps maigres, c’est ça qu’on voit dans la rue. Et il est temps qu’on les voit au cinéma. Qu’on voit que les corps gros et vieux bougent, et sont beaux à regarder. Je ne trouve pas que l’image de nos corps s’améliore. Quand j’ai casté la comédienne qui joue la jeune fille qui fait du soutien scolaire avec Germain, j’ai vu débarquer plein d’adolescentes qui se transformaient pour correspondre à ce qu’elles pensent qu’on attend d’elles, avec du maquillage, etc. Mais il faut vraiment qu’on fasse place aux corps normaux sur les écrans, on a une responsabilité à cet égard. De faire des films abordable, où chacun, chacune puisse se reconnaître, se dire: « Tiens, on dirait mon oncle, ma belle-soeur. »

La danse passe aussi par l’humour, ce qui apporte une certaine surprise dans l’équation.

La Ribot, la chorégraphe et danseuse qui joue face à François Berléand a été une rencontre magique. On s’est follement amusé. C’est une punk, elle a 60 ans, mais elle est tout le temps en recherche, elle est humble, a du second degré et de l’humour. A la base, je voulais qu’elle coache une actrice, mais en la rencontrant, il est devenu évident qu’elle devait jouer.

Moi je ne voulais pas me moquer de la danse contemporaine, je viens du spectacle vivant. Mais il fallait pouvoir la montrer avec recul. Je peux considérer que pour la plupart des gens, au premier abord, on se demande: « C’est quoi le délire? » Et j’aime bien l’idée qu’on puisse se dire que c’est n’importe quoi. Il y a des endroits où on peut rester extérieur, mais ce qui importe, avec un spectacle ou un film, c’est ce que ça nous fait, pas ce qu’on en dit. On nous demande pas d’être d’intelligent, mais d’être disponible. J’aime l’idée qu’on prend le risque d’aller vivre une aventure, d’être transformé. Je crois très fort au pouvoir qu’a l’art de changer nos vies, ce qui n’empêche pas de pouvoir s’en moquer.

Chez La Ribot, il y a aussi une place pour les amateurs, les corps non formés à la danse, pour une contamination de la vraie vie sur le plateau.

C’est ça aussi qui me passionne. Dans le cinéma que je fais, le cinéma que je raconte, j’essaye que ça ait l’air vrai.

Comment avez-vous choisi de filmer la danse?

J’ai beaucoup filmé des danseurs avant de faire du cinéma, je faisais de la scénographie pour de la danse contemporaine notamment. Je me suis rappelé ma pratique de vidéaste. J’ai revu des films de danse, mais c’est souvent la danse classique que l’on montre, et puis la danse n’est pas filmée en entier. Soit c’est une captation, soit on morcelle les corps. Moi je voulais montrer comment Germain met son corps en mouvement, et change physiquement. Avec mon chef opérateur Hichame Alaouie, on a travaillé comme sur un documentaire. Il y a plein de moments où on a improvisé la création. On avait écrit et répété des choses. Et puis parfois je nous trouvais trop installés, j’avais besoin que l’on se mette en mouvement, Hichame se mettait au milieu du groupe, et La Ribot dirigeait. Moi j’envoyais des gens au front. Je leur donnais une indication, et je les envoyais devant l’image. C’est aussi une façon de diriger, mais qui relève moins de la fiction que les scènes de l’appartement par exemple. Sur la forme, il y a clairement deux films, et mon monteur Nicolas Rumpl a fait un très beau travail pour faire se rencontrer ces deux mouvements.

Le théâtre et sa scène apparaissent comme une bulle où Germain va faire évoluer son deuil.

La troupe de danse devient sa famille rêvée, jusqu’a la rencontre avec sa vraie famille. Le lien est fait, et Germain peut devenir lui-même. Le cloisonnement crée la comédie, mais ne permet pas à Germain d’achever son processus.

Ce que vit Germain, c’est aussi une histoire d’amour au-delà de la mort, à travers les lettres qu’il continue à écrire à sa femme.

Moi je lis tout le temps, je trouve la littérature tellement puissante… Et l’écriture. Ecrire un scénario, je le vis comme le fait d’écrire une lettre aux gens. Plus je lis, plus je fais des films, même si les scénarios ne sont pas de la littérature, plus j’admire l’acte d’écrire.

Toute ma vie, j’ai écrit à mes grands-parents, je le fais encore. Pendant le confinement, ma grand-mère est tombée malade du Covid, elle était en quarantaine, et mon grand-père s’est retrouvé à lui écrire tous les jours. De prime abord, ça ne lui ressemblait tellement pas, c’est un jurassien pur jus, pas franchement romantique. Mais il lui écrivait, lui racontait ses journées, ses sensations, ses pensées. Moi je trouvais ce geste incroyablement beau et romantique. Et je me suis dit que quand ils allaient mourir, j’aurais peut-être envie de garder ce lien par l’écriture. C’est ce que j’ai imaginé pour Germain. Sa femme continue à être là pour lui, il lui écrit, lui parle, c’est une façon de supporter l’absence.

 

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