Veerle Baetens livre son premier long métrage comme réalisatrice, Débâcle, une adaptation du roman éponyme de Lize Spit, qui s’interroge sur la permanence de nos traumas
On ne présente plus Veerle Baetens, actrice prodige dont la performance dans The Broken Circle Breakdown de Felix Van Groeningen en a bouleversé plus d’un·e. On l’a non seulement vue dans quelques films phares du cinéma flamand, mais aussi côté francophone dans Duelles notamment d’Olivier Masset-Depasse, qui lui a valu le Magritte de la Meilleure actrice, ou récemment dans Quitter la nuit de Delphine Girard, qui sortira en février prochain. Si elle a co-écrit la série Tabula Rasa, et réalisé de nombreux clips, Cette adaptation à haut risque tant le roman a marqué son public est son premier long métrage, un livre et un film sans concession, qui dresse le portrait en deux mouvements d’Eva, jeune femme traumatisée par un cruel été qui a annihilé pour elle toute prétention au bonheur.
Le film débute dans un fracas. Eva, jeune femme solitaire et renfermée, survit plus qu’elle ne vit, affectivement dépendante de sa jeune soeur qui vit à ses côtés. Lorsque celle-ci décide de quitter leur colocation pour se mettre en couple, Eva perd pied. Et voit dans une réunion des anciens de son village d’enfance l’occasion de solder ses traumas. Car Eva vit dans le passé, passé qui nous est exposé en flashback, le temps d’un été où aux portes de l’adolescence, Eva et ses deux meilleurs amis, Tim et Laurens, vont dire adieu à l’enfance, et passer du côté obscur de l’âge adulte.
Ils ont tout vécu ensemble, les étés d’indolence, les cours où l’on s’ennuie, les familles où l’on se cherche, et même la mort tragique du frère de l’un d’entre eux, pourtant leurs chemins vont radicalement diverger quand Eva va comprendre à ses dépends qu’elle doit choisir son camp, qu’il n’y a pas de place pour elle dans le boy’s club.
Le récit progresse en parallèle, au fil de cet été symboliquement meurtrier, et de l’intrigante mission dans laquelle s’embarque Eva adulte, son trajet vers les lieux du crime, sa préparation méticuleuse de ce qu’on imagine devenir sa vengeance, ou à tout le moins sa croisade pour régler ses comptes. Avec les enfants dont la cruauté l’a clouée au pilori. Avec les adultes aussi dont le silence l’a peut-être plus encore anéantie. Alors qu’elle s’approche du but, on fait avec elle le chemin à l’envers, jusqu’au drame qui va sceller son destin.
Avec Débâcle, Veerle Baetens tente la difficile réhabilitation d’une victime qu’on préfère ne plus regarder ni écouter, de celles dont on ne veut plus voir l’insondable douleur de peur de s’y perdre. Que fait-on de nos blessures d’enfance, quand elles ne sont pas solubles dans le temps? Peut-on se reconstruire dans le silence, quand l’oubli n’est pas une option? Et comment entendre celles et ceux qui ne parlent pas? Porté par une direction artistique soignée, et l’impressionnante opiniâtreté de son casting, au premier rang duquel Charlotte de Bruyne et la jeune Rosa Marchant, le film ose plonger dans les abysses du mal-être de son héroïne, sans faux semblant.