« Dealer »: l’impossible rédemption

"Dealer" de Jeroen Perceval

Dealer, premier long métrage du comédien et cinéaste flamand Jeroen Perceval sort ce mercredi, un film âpre, suintant de désespoir, autour de l’amitié improbable entre deux solitudes, celles d’un jeune dealer qui tente de se construire sur les ruines de la masculinité toxique et d’un vieux comédien qui court après  sa jeunesse disparue et ses rêves de gloire.

Aperçu chez Felix Van Groeningen dans Dagen Zonder Lief, puis chez Michael Roskam dans Bullhead, Jeroen Perceval a percé sur la scène internationale avec son rôle dans D’Ardennen de Robin Pront, qu’il a d’ailleurs co-écrit, un drame familial sur fond de pègre, de pauvreté, de drogue et d’alcool, une plongée au cœur de la low life anversoise, où l’on aperçoit déjà quelques marqueurs présents dans Dealer. Une vie où l’on ne choisit rien, où Anvers est filmée comme Detroit. Ici aussi, la ville est blafarde.

On suit le parcours de Johnny, 14 ans, qui vit dans un foyer pour jeunes en difficulté. Son père est aux abonnés absents, sa mère, artiste peintre bipolaire, demande plus de soin qu’elle n’en procure, même si elle lui offre les rares rayons de soleil qui éclairent sa triste vie. Dealer à la petite semaine, il rêve d’une vie meilleure. Mais quelles sont ses chances? Un tel passé n’est-il pas un passif insurmontable?

Au hasard d’une entourloupe, et d’une première rencontre sous tension, il noue une amitié bancale avec Anthony, un célèbre acteur de cinéma et de théâtre, qui devient un client régulier, tout en offrant une figure paternelle inespérée. Alors que Johnny se demande comment devenir adulte, Anthony court après sa jeunesse. Chacun offre à l’autre un reflet doré, qui peu à peu va se déformer, jusqu’à devenir monstrueux. 

Entre rêves de gloire et masculinité toxique, Johnny va essayer de se construire, sur des bases particulièrement instables, d’autant que sur lui s’appuient de (trop) nombreux adultes, au point même de l’écraser. 

Cette enfance endommagée va se heurter à la profondeur blessure narcissique d’Anthony, monstre d’égocentrisme qui s’étant fantasmé un temps dans une séduisante posture paternelle, passe à autre chose avec une arrogante légèreté dès que les choses se compliquent. 

C’est un film profondément noir que livre Perceval, un film de gangster doublé d’un thriller psychologique aussi sombre qu’un jour de pluie, une pluie qui s’invite d’ailleurs dans de nombreux plans, au diapason de l’image tour à tour stroboscopique ou crépusculaire, signée par David Williamson. Un film profondément nocturne, marqué par une décadence poisseuse qui contraste avec la lumière des projecteurs, braqués sur la célébrité d’Anthony, et l’innocence envolée de Johnny. 

C’est un film, sur l’impossible rédemption, les premières chances qui se transforment en dernières chances, l’enfance sacrifiée, la précarité et les addictions. Un film où le monde des adultes se révèle profondément cynique et désincarné, un monde cruel et sans merci, où les rêves sont broyés par l’avidité et l’individualisme. 

Le film est porté par une interprétation au cordeau. Johnny est incarné par Sverre Rous, stupéfiant nouveau venu dont vous n’êtes pas prêts d’oublier le regard. Ben Segers, star de la télévision flamande, excelle dans un registre particulièrement noir en Acteur avec un grand A aussi fragile qu’égoïste. Veerle Baetens joue le rôle bref mais intense de la mère du jeune héros. Et Bart Hollanders, comédien lui aussi beaucoup vu à la télévision flamande, compose un dealer sévèrement cramé particulièrement terrifiant. 

Dealer, produit par Bart Van Langendonck pour Savage Film (à qui l’on doit déjà Rundskop et D’Ardennen) et la société liégeoise Tarantula sort ce mercredi en Belgique.

Check Also

« TKT »: anatomie du harcèlement

Avec TKT, Solange Cicurel dresse le portrait saisissant d’une jeune fille terrassée par le harcèlement, …