Géraldine Doignon, de son vivant

Les films, il vaut mieux les découvrir… De Leur vivant… Dès leur lancement dans les salles. Mobilisation générale donc pour le premier long métrage de Géraldine Doignon qui arrive ce 9 mai sans tambour ni trompette, mais avec l’ambition de vous toucher en plein cœur. De Leur vivant ne manque pas d’atout, mais on peut légitimement penser qu’il marque avant tout l’émergence d’une réalisatrice qui va compter dans le paysage belge.

 

Née en 1977 à Bruxelles, Géraldine Doignon (photo) a fait des études de cinéma à l’IAD. Pas fini, son film de fin d’études qu’elle réalise en 2000 fait le tour des festivals de films d’écoles.  En 2003, avec Trop Jeune,  Géraldine met en scène une fille qui fantasme sur une relation avec son père et décroche  le Grand Prix au Festival de Bruxelles. Son court s’embarque alors dans une tournée internationale de festivals spécialisés.

 

Sans délaisser le thème de la famille qui imprègne déjà son œuvre naissante, elle enchaîne en 2006,  avec Comme personne, portrait d’une mère qui n’arrive plus à gérer sa vie avec son fils.

 

La conséquence logique de ce parcours sans faute est un long métrage. De leur vivant prolonge l’exploration des liens familiaux en mettant en scène un père et ses enfants confrontés au deuil et à la difficulté de se parler. Vous pouvez relire ici tout le bien que nous pensons de ce petit film digne et bouleversant. Et découvrir ensuite ce que dit la réalisatrice de son univers et de son travail sans une interview passionnante (merci à Hélicotronc).

 

 

 

 

Une thématique qui se dégage, en fil rouge, de tous vos films est celle de la famille…

Et aujourd’hui, pour “De leur vivant”, c’est le deuil dans la famille.

Oui, depuis mes films d’école, j’explore le thème de la famille. Il me passionne, car il contient, à mon sens, toute la complexité et l’essence des rapports humains. Je suis persuadée que nous sommes influencés, voire déterminés, par nos rapports familiaux. Que l’on ait pris ses distances ou gardé des liens forts, on trimballe, dans notre rapport aux autres, nos souvenirs d’enfance, notre éducation, notre manque ou notre attachement à l’équilibre familial. Tous mes films ont ce dénominateur commun, celui de la recherche d’identité au sein de la famille. Avant d’être un frère, une sœur, une fille, un père, chaque individu essaie de construire sa propre vie et de trouver ses propres désirs, en se libérant du schéma familial. Cette conscientisation et cette recherche identitaire m’ont toujours profondément intéressée.  Nous sommes tous, un jour ou l’autre, confrontés à la mort.

 

Personnellement, je ne me pose pas la question du devenir du mort, pour moi, il a juste cessé d’exister. Mais ce qui m’intéresse est le travail de deuil que nous faisons pour continuer à vivre sans lui. L’empreinte immatérielle et affective qu’il a laissée, l’influence qu’il a encore sur notre présent. Une déclaration de Guillermo Arriaga, scénariste et réalisateur, m’est d’ailleurs restée en tête pendant toute l’écriture du scénario : “J’ai toujours été obsédé par le poids de la mort sur les vivants. Pourquoi ? Parce qu’au fond, je ne sais pas qui je suis. Mon identité se construit grâce aux personnes qui m’entourent. Et quand l’une d’entre elles s’en va irrémédiablement, quand je la perds, cela affecte en profondeur mon identité.“

 

 

Dans la première partie du film, le deuil isole le père et les enfants. Ils ne partagent pas leur peine… C’est cette incapacité à communiquer que vous vouliez montrer ?

Je pense que nous vivons, en Occident, dans une société qui nie de plus en plus la mort. Elle est de plus en plus codifiée, dénaturée, expédiée. Les obligations sociales et morales sont toujours là : le noir, l’enterrement, les condoléances, etc… mais le sens s’est perdu. La mort est rentrée dans une case, elle a ses codes et ses règles, conformes à tous. Je crois que cela rassure et permet de nier l’essentiel : la peur de la fin, inéluctable. Les gens ont alors l’illusion et la prétention de savoir ce qu’il faut faire. Il faut agir, oublier, ne surtout pas affronter la douleur ni l’absence. “Je sais ce qui est bon pour toi. Tu n’es pas en état de prendre des décisions. Tu as besoin d’oublier pour t’en sortir“. Il y a une sorte d’ingérence sur celui qui est faible. Cet aspect-là de la gestion du deuil m’intéressait beaucoup. C’est le cœur du problème entre le père et ses enfants, au début. Ils ne se respectent pas, n’essaient pas de se comprendre.

 

Le père pourtant s’affirme dès le départ puisqu’il ne va pas à l’enterrement de sa propre femme.

Et puis, un événement va provoquer le changement et dénouer les nœuds…

Oui et c’est un élément extérieur à la famille. Le personnage d’Alice, une femme enceinte – symbole familial évident – qui arrive par hasard à l’hôtel et que personne ne connaît, va s’installer au cœur de cette famille en prenant la place d’un interlocuteur neutre et privilégié. Elle va écouter et parler sans jugement, elle va combler le manque qui s’est progressivement installé entre eux, celui de la parole.

 

 

 

Le film quitte alors le côté sombre du deuil pour plus d’espoir…

“De leur vivant” a pour toile de fond un deuil, mais ce n’est pas un film pessimiste ou larmoyant. Je le voulais en effet lumineux, émouvant, libérateur. L’épreuve que traversent les personnages va petit à petit se transformer en quelque chose de positif et constructif.

Pour moi, la proximité de la mort, les parents qui partent, l’idée qu’on sera le prochain, toutes ces angoisses sont intimement liées à notre identité et à notre condition humaine. Elles nous ramènent à l’essentiel, à notre désir de vivre. A notre besoin d’aimer et de se sentir aimé. La “vérité”, que l’on trouve dans ces moments-là, la sincérité qui se livre enfin sont au cœur des relations familiales.

Les mots que l’on ose enfin dire à un père, une soeur, un fils arrivent parce qu’on a besoin de parler devant la fin. Pourquoi ces mots si importants, n’arrivons-nous pas à nous les dire plus tôt ? Pourquoi est-ce si difficile, de notre vivant, de dire à nos proches qu’on les aime ? J’ai toujours été bouleversée par ces déclarations d’amour filial, plus que par les autres. Parce que je pense que, toute notre vie, à travers les parcours les plus différents, nous recherchons l’amour et la reconnaissance de nos proches.

 

 

 

Le film a été tourné et réalisé dans une incroyable économie de moyens, en “low budget” comme on dit. Comment avez-vous fait pour mobiliser et organiser tout ça ?

Pour moi, l’envie initiale était de raconter une nouvelle histoire, de reprendre le chemin d’un plateau, d’être à nouveau sur le terrain, avec une équipe. Cela faisait plus de 4 ans que j’avais réalisé mon dernier court-métrage et, pendant 2 ans, j’ai écrit “Un homme à la mer”, mon premier scénario de long. En fait, il deviendra mon deuxième film !

 

La recherche de financement classique étant longue et difficile, j’ai eu de plus en plus envie de

faire exister un film “low budget“, facile et rapide à réaliser. Un film sans argent, mais avec beaucoup de motivation!

 

Je pense qu’un tel projet, s’il est profondément désiré et bien préparé, peut exister, même dans ces conditions. Mais, ayant conscience des contraintes et des sacrifices inhérents à un tel tournage, j’ai choisi d’écrire une histoire simple, dépouillée dans la narration, mais humainement complexe. Avec des contraintes que je me suis imposée: peu de personnages, un lieu unique, un temps de tournage court. Car ce film, je n’aurais pu le faire sans le soutien de mon producteur Anthony Rey et sans une formidable équipe de comédiens et de techniciens qui se sont engagés à 100 % dans cette aventure.

 

 

 

Comment s’est passée la préparation avec l’équipe ? Les répétitions avec les comédiens ?

 

« Ce que j’aime particulièrement dans le travail de scénariste et de réalisatrice », explique Géraldine Doignon dans le dossier de presse, « c’est que je commence à imaginer et écrire une histoire, toute seule dans mon coin, puis, au fur et à mesure du processus de création, des collaborateurs me rejoignent et enrichissent ce que j’avais dans la tête. Ce film, tout le monde y a mis ses idées, son histoire, sa sensibilité. Particulièrement les comédiens, avec qui j’ai créé les personnages et écrit les dialogues. Au départ, je voulais travailler en improvisations, mais en discutant avec eux, en faisant des lectures et des répétitions, les mots se sont écrits. Ce sont tous des comédiens qui travaillent en Belgique, au théâtre surtout, que j’ai pu découvrir au fil de leurs créations sur scène. Personnellement, je n’aime pas les castings, je préfère repérer des talents, des physiques dans des pièces ou dans des films et les imaginer dans mes personnages.  »

 

Pour l’image, j’ai retravaillé avec Manu Dacosse, qui avait déjà fait la lumière de “Comme personne” et que je connais depuis l’IAD », précise la réalisatrice.  « Ensemble, nous avons défini des teintes, un style, choisi des références lumières. On voulait un rendu naturel, doux, qui mette en valeur l’hôtel, les matières, la nature, avec du relief et de la profondeur dans l’image. Il y a beaucoup d’intérieurs, mais aussi beaucoup de fenêtres et d’entrées naturelles de lumière. Nous en avons tenu compte dans la mise en scène et dans le placement de la caméra. Le découpage s’est fait en répétitions et au tournage, en essayant toujours de s’adapter aux comédiens, être proches d’eux. Pour gagner du temps, nous avons tourné des séquences à 2 caméras, avec les appareils photo Canon 5D et 7D. C’est ce que j’ai particulièrement aimé dans ce film: des contraintes de moyens, de temps et d’espace nous ont finalement donné une grande liberté d’action, une sorte de laboratoire créatif, sans aucune pression.  »

 

 

 

De leur vivant sort ce mercredi dans les salles belges. Vous n’entendrez pas parler à tous les JT et le film ne fera pas les gros titres des suppléments culturels. Mais il n’appartient qu’à vous de goûter à la subtilité du travail de Géraldine et d’y emmener vos amis. Ou vos enfants. Mise en abyme assurée !

 

 

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